Traumatisme thoracique par blast : analyse de cinq cas à l’hôpital du Mali
Moussa Bazongo1*, Seydou Togo1, Issa Boubacar Maïga1, Abdoul Aziz Maïga1, Jacques Saye1, Amadou Sidibé2, Allaye Ombotimbe1, Cheick Ahmed Sekou Touré1, Ibrahim Coulibaly1, Jérôme Dakouo1, Nouhoun Diani2, Moussa Abdoulaye Ouattara1, Sadio Yéna1
Service de chirurgie thoracique, hôpital du Mali, Bamako.
Service d’anesthésie réanimation, hôpital du Mali, Bamako.
* Correspondance : baz_moussa@yahoo.fr
DOI : 10.24399/JCTCV23-3-BAZ
Citation : Bazongo M, Togo S, Maïga IB, Maïga AA, Saye J, Sidibé A, Ombotimbe A, Sekou Touré CA, Coulibaly I, Dakouo J, Diani N, Ouattara MA, Yéna S. Traumatisme thoracique par blast : analyse de cinq cas à l’hôpital du Mali. Journal de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 2019;23(3). doi: 10.24399/JCTCV23-3-BAZ
RÉSUMÉ
Objectif : décrire les aspects diagnostiques, thérapeutiques et évolutifs des lésions thoraciques par effet blast.
Patients et méthodes : étude prospective et descriptive réalisée dans le service de chirurgie thoracique de l’hôpital du Mali. Il s’agit de cas de traumatisme thoracique suite à un attentat suicide avec explosion. Les données diagnostiques et de prise en charge ont été analysées.
Résultats : au total, quatre hommes et une femme d’un âge situé entre 22 et 46 ans ont été colligés. Le traumatisme thoracique était fermé dans tous les cas. Il y avait des lésions pariétales, pleuroparenchymateuses, médiastinales et trachéales. Sur le plan thérapeutique, après les soins d’urgence, une réanimation et un traitement conservateur ont suffi pour stabiliser les lésions. Les suites ont été simples.
Conclusion : les traumatismes thoraciques par effet blast sont rares et graves. Ils engendrent des lésions multiples et variées. La tomodensitométrie thoracique permet de faire la cartographie des lésions provoquées et le drainage thoracique constitue l’essentiel du traitement chirurgical.
ABSTRACT
Thoracic trauma by blast: analysis of 5 cases at the Hospital of Mali
Objective: to describe the diagnostic, therapeutic and evolutive aspects of the thoracic lesions by blast effect.
Patients and methods: prospective and descriptive study carried out in the thoracic surgery department of the Mali Hospital. These are cases of chest trauma following a suicide bombing. Diagnostic and management data were analyzed.
Results: A total of four men and one woman, ranging in age from 22 to 46 years, were collected. Thoracic trauma was closed in all cases. There were parietal, pleuro-parenchymal, mediastinal and tracheal lesions. Therapeutically, after the emergency care, resuscitation and conservative treatment were sufficient to stabilize the lesions. The suites were simple.
Conclusion: Blast-related chest trauma is rare and severe. They cause multiple and varied lesions. Thoracic CT is used to map lesions and thoracic drainage is the essential of surgical treatment.
1. Introduction
Les traumatismes thoraciques par effet blast sont des lésions résultantes de l’impact de l’onde de choc sur le thorax suite à une explosion [1]. Au niveau du thorax, le poumon serait l’organe le plus sensible aux explosions [1]. Les lésions pulmonaires qui en résultent sont graves et surviennent le plus souvent dans un contexte de polytraumatisme [2]. Il s’agit d’une urgence diagnostique et thérapeutique nécessitant une collaboration pluridisciplinaire. Actuellement, en raison de son accessibilité et de sa réalisation facile, l’échographie thoracique type fast (focused assessment sonography in trauma) permet en urgence, dans un bref délai, de faire un inventaire des lésions pleuropulmonaires et cardiopéricardiques ainsi que de poser l’indication d’un geste thérapeutique [3]. Depuis 2012, le Mali est plongé dans un conflit armé. L’utilisation par les belligérants d’engins explosifs est devenue de plus en plus fréquente [4]. Nous rapportons ici cinq cas démonstratifs de lésions thoraciques par effet blast afin de décrire les aspects diagnostiques, thérapeutiques et évolutifs.
2. Patients et méthodes
Il s’agit d’une étude prospective et descriptive réalisée dans le service de chirurgie thoracique de l’hôpital du Mali. Elle a concerné les patients admis dans le service pour un traumatisme thoracique suite à un attentat suicide survenu dans un camp militaire à Gao le 18 janvier 2017. Gao est une localité située à 1200 kilomètre au nord-est de Bamako. L’attentat a été commis par l’utilisation d’une voiture piégée qui contenait une charge explosive faite d’engins artisanaux appelés improvised explosive devices. Après une prise en charge initiale sur place, les patients ont été évacués par voie aérienne à Bamako. À l’admission en urgence, une radiographie standard ainsi qu’une tomodensitométrie (TDM) thoracique étaient réalisées chez tous les patients. Leurs données diagnostiques, thérapeutiques et de surveillance ont été analysées. Le suivi des patients était basé sur l’examen clinique et la radiographie thoracique au 1er, 3e et 6e mois.
3. Résultats
Au total cinq (5) patients ont été enregistrés. Le sexe-ratio était de 4. Les données sociodémographiques ainsi que la prise en charge initiale des patients avant leur évacuation à Bamako ont été résumées dans le tableau 1. Les données cliniques et radiologiques ont été répertoriées dans le tableau 2.
Tableau 1. Récapitulatif des données sociodémographiques et du traitement initial.
Patients
Âge/sexe (ans)
Fonctions
Délai d’admission
Traitement initial
1
22/M
Ex-combattant
12 heures
– Oxygénothérapie
– Drainage thoracique droit
– Antibiotique – antalgique
– Vaccin et sérum antitétanique
2
23/M
Ex-combattant
48 heures
– Oxygénothérapie
– Parage des plaies
– Vaccin et sérum antitétanique
– Antibiotique – antalgique
3
35/M
Militaire
12 heures
– Oxygénothérapie
– Drainage thoracique gauche
– Vaccin et sérum antitétanique
– Antibiotique – antalgique
4
46/M
Militaire
12 heures
– Parage
– Vaccin et sérum antitétanique
– Antibiotique – antalgique
5
38/F
Cuisinière
48 heures
– Trachéotomie
– Oxygénothérapie
– Vaccin et sérum antitétanique
– Antibiotique – antalgique
M : masculin ; F : féminin.
Tableau 2. Répartition des patients en fonction des données cliniques et radiologiques
Patients
Signes cliniques
Signes radiologiques
1
– Dyspnée
– Douleurs thoraciques
– Emphysème sous-cutané droit
– Contusion pulmonaire bilatérale
– Pneumothorax droit compressif
– Emphysème sous-cutané
2
– Douleurs thoraciques
– Délabrement de la paroi thoracique
– Présence de débris telluriques pariétaux
3
– Dyspnée
– Douleurs thoraciques
– Emphysème sous-cutané
– Hémothorax gauche
– Contusion pulmonaire gauche
– Fracture de la scapula
– Emphysème sous-cutané
4
– Douleurs thoraciques
– Délabrement pariétal thoracique
– Plaie de l’avant-bras gauche
– Présence de corps étranger dans partie molle de l’avant-bras gauche
5
– Dyspnée
– Douleurs thoraciques
– Emphysème sous-cutané cervicothoracique
– Saturation en oxygène 78%
– Plaie trachéale
– Pneumomédiastin
– Pneumothorax gauche minime
– Emphysème sous-cutané cervicothoracique
Chez la seule patiente de l’échantillon, une rupture trachéale était suspectée devant un pneumomédiastin et un emphysème cervical dans un contexte de dyspnée avec désaturation à 78% à l’air ambiant. La rupture était objectivée par une TDM cervicothoracique et elle mesurait 1,5 cm. Ce défect n’était pas visualisé à l’endoscopie bronchique, car masqué par la canule de trachéotomie. Sur le plan thérapeutique, elle était la seule initialement admise en réanimation pour détresse respiratoire aiguë sévère. Tous les patients ont bénéficié d’une prise en charge psychosociale après leur hospitalisation par une équipe nationale composée de psychiatres et de sociologues mise en place pour traiter des blessés de guerre. Les autres données thérapeutiques ainsi que la surveillance des patients ont été rapportées dans le tableau 3.
Tableau 3. Répartition des patients en fonction des données thérapeutiques et évolutives.
Patients
Traitement complémentaire
Évolution
1
– Redrainage thoracique
– Kinésithérapie respiratoire
– Bonne réexpansion pulmonaire
– Durée d’hospitalisation : 6 jours
2
– Parage
– Cicatrisation de la plaie
– Durée d’hospitalisation : 4 jours
3
– Kinésithérapie respiratoire
– Immobilisation épaule gauche
– Bonne réexpansion pulmonaire
– Consolidation de la scapula
– Durée d’hospitalisation : 8 jours
4
Parage
– Cicatrisation
– Durée d’hospitalisation : 5 jours
5
– Cicatrisation dirigée de la plaie trachéale
– Oxygénothérapie
– Corticothérapie
– Kinésithérapie respiratoire
– Cicatrisation de la plaie trachéale en 15 jours
– Fermeture spontanée de la trachéotomie en 38 jours
– Durée d’hospitalisation : 40 jours
La durée moyenne d’hospitalisation était de 12,6 jours avec des extrêmes de 4 et 40 jours (J). La médiane de la durée d’hospitalisation était de 6 jours avec un écart type de 15,39 jours. Au cours du suivi à J30, on notait une bonne évolution chez tous les patients. À J90, quatre patients ont été déclarés guéris sans séquelles avec une bonne réinsertion socioprofessionnelle. Dans un cas, on notait un trouble du comportement à type de syndrome dépressif. À 6 mois, tous les patients étaient déclarés guéris.
4. Discussion
Les attentats terroristes ont été multipliés par quatre et le nombre de victimes par huit ces dix dernières années [1]. Le Mali est plongé depuis 2012 dans un conflit armé opposant les forces gouvernementales aux sécessionnistes d’une part et d’autre part aux djihadistes. L’utilisation des engins explosifs et les attentats suicides sont de plus en plus fréquents [4]. Le poumon reste l’un des organes le plus sensible à l’onde de choc provoquée par ces explosions [1]. Les lésions pulmonaires sont dues à l’impact de l’onde de choc sur le thorax. Le poumon serait le deuxième organe atteint par l’effet blast après le tympan et suivi du tube digestif. Sa prévalence a été estimée de 3 à 6% en fonction des études [1]. Dans les blessures thoraciques par effet blast, les lésions pulmonaires sont graves, multiples, variées et nécessitent une réanimation dans 2/3 des cas [1]. Ceci a été le cas chez un patient qui a bénéficié d’une prise en charge initiale en réanimation. En outre, dans l’étude d’Aschkenasy-Steuer et al., 47 de ces 51 patients ayant une atteinte pulmonaire ont nécessité une assistance ventilatoire [5]. Ces lésions pulmonaires s’intègrent le plus souvent dans le cadre d’un polytraumatisme. Ainsi, les lésions associées sont par ordre de fréquence abdominale, crânienne ou des membres [1,5]. Les lésions associées étaient la plaie trachéale et la fracture de l’omoplate. Dans la littérature, nous n’avons pas retrouvé de cas de description de lésions aortiques et cardiaques directement liées au traumatisme thoracique par blast [6]. Le dysfonctionnement cardiovasculaire observé dans les suites immédiates de l’onde de choc serait une conséquence de l’atteinte pulmonaire [2,6]. Les atteintes pleuropulmonaires ont habituellement un diagnostic clinique évident devant la dyspnée, les douleurs thoraciques, la toux associées parfois à des lésions pariétales [2]. La radiographie thoracique réalisée en première intention a permis une approche du diagnostic positif et de poser l’indication du geste d’urgence. Cependant la TDM thoracique a une sensibilité de 100% sans critère formel de diagnostic de blast pulmonaire [2]. Elle permet de faire un bilan lésionnel complet ainsi que le diagnostic les lésions intrathoraciques occultes. En outre, elle aide le chirurgien à poser une indication chirurgicale. Elle a été systématique en deuxième intention chez tous nos patients après la radiographie standard.
Par ailleurs, l’imagerie thoracique reste encore d’accessibilité limitée voire impossible en situation d’urgence, surtout en cas d’afflux massif de blessés dans notre contexte. Cela explique que De Lesquen et al. sur les champs de guerre en Afghanistan n’ont pu réaliser une radiographie et une TDM thoracique que dans respectivement 30 et 63% des cas [7]. De plus en plus, l’échographie thoracique type fast occupe une place importante en urgence traumatologique. Elle permet dans un bref délai de confirmer un épanchement pleural et ou péricardique en cas d’instabilité hémodynamique et de poser l’indication d’un drainage thoracique en urgence [3]. Le fast échographie, bien qu’étant indisponible dans notre contexte, reste nécessaire aujourd’hui chez les patients polytraumatisés en urgence. Dans notre étude, comme chez Yazgan et Aksu [8], les lésions primaires retrouvées ont été entre autres la contusion pulmonaire, l’hémothorax, le pneumothorax et le pneumomédiastin. Cette imagerie doit s’étendre à l’abdomen en vue de rechercher une atteinte digestive associée [1,8]. La plaie trachéale observée chez la seule patiente serait liée à l’hyper-expression de l’onde de choc dans la trachée à glotte fermée. Bien que nous n’ayons pas suspecté d’atteinte tympanique chez nos patients, l’examen otoscopique devrait être systématique devant des lésions thoraciques par effet blast. Cette attitude se justifierait par le fait que les lésions tympaniques sont plus fréquentes que celles des poumons. Yazgan et Aksu [8] ont diagnostiqué 75% de lésions tympaniques contre 11% de lésions thoraciques chez leurs patients.
Sur le plan thérapeutique, la prise en charge est urgente et pluridisciplinaire. Chez nos patients, la prise en charge initiale a été réalisée sur les lieux de l’attentat. L’oxygénothérapie et le drainage thoracique ont été les gestes essentiels qui ont permis une stabilisation de l’état des patients, puis leur évacuation pour une prise en charge en milieu spécialisé. Cette attitude était similaire à celle rapportée par d’autres auteurs [2,6]. L’évacuation d’un épanchement pleural compressif par une ponction ou un drainage constitue avec la ventilation pulmonaire l’essentiel du traitement de la détresse respiratoire [1,6]. Ainsi, le pronostic des blessés thoraciques par blast est fonction de la qualité de sa prise en charge initiale. Elle permet de prévenir ses complications et séquelles anatomofonctionnelles.
5. Conclusion
Les traumatismes thoraciques au décours d’un blast sont graves, multiples et variés. Le diagnostic clinique est évident. La TDM thoracique permet de faire la cartographie des lésions provoquées. La prise en charge est urgente et pluridisciplinaire. L’évacuation des épanchements pleuraux constitue l’essentiel du traitement de la détresse respiratoire.
Références
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De Lesquen H, Béranger F, Berbis J et al. Traumatismes thoraciques de guerre en Afghanistan : analyse du registre du service de santé des armées français. E-Mém Académie Natl Chir 2015;14(4):070-6.
Yazgan C, Aksu NM. Imaging features of blast injuries: experience from 2015 Ankara bombing in Turkey. Br J Radiol 2016;89(1062):20160063.https://doi.org/10.1259/bjr.20160063PMid:26959613 PMCid:PMC5258177
Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared.
Date de soumission : 02/02/2019. Acceptation : 10/05/2019. Pré-publication : 07/06/2019.
septembre 20, 2019