Utilisation d’une endoprothèse pour résoudre une plaie trachéale majeure suivant une œsophagectomie
George Rakovich
Service de chirurgie thoracique, hôpital Maisonneuve-Rosemont, université de Montréal, Montréal, Canada.
* Correspondance : george.rakovich@umontreal.ca
DOI : 10.24399/JCTCV22-4-RAK
Citation : Rakovich G. Utilisation d’une endoprothèse pour résoudre une plaie trachéale majeure suivant une œsophagectomie. Journal de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 2018;22(4). doi: 10.24399/JCTCV22-4-RAK
Résumé
Les plaies trachéales représentent des situations graves qui sont difficiles à traiter, particulièrement dans le contexte d’une œsophagectomie, où la proximité des sutures gastro-œsophagiennes entraîne un risque de fistule aérodigestive fatale. Le cas rapporté décrit les étapes de la prise en charge d’une plaie de la membraneuse trachéale suivant une œsophagectomie en utilisant une endoprothèse trachéale temporaire, alors que l’imagerie a éventuellement documenté une guérison circonférentielle complète de la trachée.
Abstract
Airway stenting to resolve major tracheal injury following esophagectomy
Major tracheal tears are life-threatening injuries that may be challenging to treat, particularly in the context of an esophagectomy, where the proximity of gastroesophageal sutures represents a risk for developing a fatal aerodigestive fistula. This paper presents the successful treatment of an iatrogenic tear of the mid-zone of the membranous trachea using a self-expandable silicone-covered nitinol stent. Complete circumferential healing was observed on cross-sectional imaging within 8 weeks of stent insertion, allowing its subsequent removal and representing a favorable outcome.
Introduction
Une plaie trachéale chez un patient critique suivant une œsophagectomie peut représenter un défi immense. Une prise en charge chirurgicale agressive et la considération judicieuse de techniques endoscopiques appropriées permettront de maximiser les chances d’une issue positive.
Observation
Un patient de 70 ans avec un adénocarcinome de stade T3N0 du cardia et de multiples comorbidités médicales a subi une œsophagectomie minimalement invasive avec reconstruction cervicale. La procédure s’est déroulée sans incident. Au 7e jour postopératoire, le patient a développé une fibrillation auriculaire et a dû être réintubé pour un syndrome de détresse respiratoire de l’adulte (SDRA). La procédure d’intubation s’est déroulée de façon urgente dans la nuit et a été décrite par l’équipe de garde comme techniquement difficile, nécessitant l’utilisation d’un mandrin métallique et plusieurs tentatives d’insertion du tube endotrachéal.
Le CT scan effectué dans les heures qui ont suivi a démontré une déchirure de la paroi membraneuse de la trachée, confirmée par bronchoscopie. La déchirure était située à 62 mm des cordes vocales et 45 mm de la carène. On dénotait également au CT scan des stigmates de fuite anastomotique, sans qu’il n’y ait de communication avec les voies respiratoires. Le patient a été ramené au bloc opératoire et l’anastomose défaite. La trachée a été réparée avec des points interrompus au fil de polypropylène et recouverte d’un lambeau de muscle intercostal. Le ballonnet du tube endotrachéal a été positionné tout juste distalement à la réparation, mais il y avait peu de jeu à cause de la proximité de la carène. Le conduit gastrique a été repositionné en antérieur afin d’éviter le risque de fistulisation ; la mobilisation du conduit gastrique avait été complète, incluant une manœuvre de Kocher, procurant suffisamment de longueur pour compléter une nouvelle anastomose œsophagogastrique au niveau cervical, à distance de la plaie trachéale.
Douze jours après la réparation trachéale, une bronchoscopie flexible a montré une désintégration de la réparation qui avait été accotée par le ballonnet malgré les précautions. En salle d’opération, une endoprothèse auto-expansible de nitinol recouverte de silicone (UltraflexTM, Boston Scientific, Marlborough, MA, États-Unis) a été déployée par-dessus la déchirure en utilisant un bronchoscope flexible. Le patient a été réintubé au-dessus de l’endoprothèse. La fuite d’air initiale était modérée et s’est résolue en 10 jours ; le patient a été extubé au 14e jour, suivant la résolution du SDRA, et n’a requis aucune autre intervention respiratoire. Des CT scan sériés ont montré une contraction progressive de la déchirure et une guérison circonférentielle de la paroi trachéale à 8 semaines [figure 1].
L’endoprothèse a été retirée sans difficulté 13 mois après son insertion, en utilisant une bronchoscopie flexible sous anesthésie générale (le délai avait été occasionné par des problématiques continues de santé). Une bronchoscopie à 6 semaines a montré une guérison complète de la trachée et le patient a fini par complètement récupérer [figure 2].
[caption id="attachment_4173" align="aligncenter" width="300"] Figure 1. Évolution d’une plaie de la partie membraneuse de la trachée chez un patient ayant subi une œsophagectomie minimalement invasive.La plaie est représentée au moment du diagnostic, immédiatement après l’insertion d’une endoprothèse, et 8 semaines après l’insertion de l’endoprothèse, permettant de documenter une guérison circonférentielle.[/caption]
[caption id="attachment_4174" align="aligncenter" width="300"] Figure 2. Endoprothèse trachéale en place juste avant le retrait (A) ; bronchoscopie cinq mois après le retrait montrant une guérison complète de la membraneuse (B).[/caption]
Discussion
La portion membraneuse de la trachée est mince et vulnérable au traumatisme direct durant la dissection chirurgicale ou au traumatisme thermique différé occasionné par les sources d’énergie utilisées en intraopératoire. Elle peut aussi être lésée par une intubation endotrachéale traumatique [1,2]. Il est probable qu’une combinaison de facteurs ait été à l’origine de la plaie subie par notre patient : un traumatisme chirurgical non reconnu est toujours possible et aurait pu fragiliser la membraneuse, alors que le contexte et les difficultés techniques entourant la procédure d’intubation suggèrent que cette dernière aurait certainement pu occasionner un traumatisme supplémentaire, la résultante de ces différentes blessures étant une perforation transmurale.
Les déchirures trachéales peuvent compromettre la fonction ventilatoire et se compliquer de médiastinite et d’une contamination continue des voies respiratoires dont l’aboutissement est l’insuffisance respiratoire et le décès [1-4]. Dans le contexte d’une œsophagectomie, la proximité du conduit gastrique et des lignes d’agrafes gastro-œsophagiennes complique le problème à cause d’un risque élevé de fistule aérodigestive fatale.
En général, un traitement conservateur comportant l’observation et les antibiotiques peut être une option dans les cas de ruptures limitées et contenues qui provoquent peu ou pas d’emphysème sous-cutané et qui ne compromettent pas la ventilation, à la condition que la trachée ne soit pas exposée à des pressions élevées et qu’il n’y ait pas de plaie concomitante de l’œsophage [1-4]. Le traitement chirurgical consiste typiquement en une réparation primaire sans tension recouverte d’un lambeau musculaire [1,2,4].
L’utilisation d’endoprothèses dans le traitement des plaies trachéales est rapportée de façon anecdotique [1,4]. Dans ces cas, les endoprothèses ont été insérées temporairement et retirées en dedans de quelques semaines, une fois la guérison documentée à l’imagerie. Les endoprothèses de silicone sont faciles à retirer même après de longues périodes, permettant d’accorder à la trachée le temps nécessaire à la guérison, et leur risque de complication est faible [1]. Cependant, leur utilisation exige une bronchoscopie rigide et elles sont difficiles à manipuler, ce qui limite leur utilisation chez le patient critique post-œsophagectomie ; elles se conforment plutôt mal aux contours des voies respiratoires, peuvent migrer, et leur calibre interne restreint les rend susceptibles aux bouchons de mucus [5]. En contrepartie, les endoprothèses métalliques couvertes sont faciles à déployer, moins susceptibles de migrer, se conforment librement à une lumière angulée ou irrégulière, et sont bien tolérées [3,5]. Le métal exposé aux extrémités de la prothèse peut cependant induire de l’inflammation, engendrer une érosion ou stimuler une hypergranulation qui peut occasionner une sténose et rendre difficile l’extraction [3]. En conséquence, l’utilisation des endoprothèses métalliques dans les lésions bénignes des voies aériennes demeure controversée. Cependant, il existe des signalements de succès dans l’utilisation de ces endoprothèses pour traiter des perforations trachéales et plusieurs témoignages de l’évolution du profil de sécurité des conceptions récentes [1,3,4].
Conclusion
Dans ce cas-ci, la transposition du conduit gastrique pour éloigner l’anastomose des voies aériennes est le geste qui nous aura finalement procuré de la flexibilité dans la prise en charge de la plaie trachéale et nous aura permis de considérer l’endoprothèse comme option thérapeutique. Un bris contigu des voies aériennes et digestives aurait mené à une fistule aérodigestive catastrophique et une situation ingérable. Les plaies trachéales survenant dans le contexte d’œsophagectomie représentent une situation très spécifique et un défi immense qui devrait être abordé agressivement par une combinaison d’approches chirurgicales et endoscopiques afin de maximiser les chances d’une issue positive.
Références
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https://doi.org/10.1016/j.athoracsur.2007.11.051
PMid:18222219
Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared.
Date de soumission : 25/09/2018. Acceptation : 15/10/2018.
décembre 3, 2018