Résultats du remplacement valvulaire aortique isolé chez l’octogénaire : évaluation monocentrique périopératoire sur 769 patients entre 2002 et 2014
Basile Marie1, Thomas Sénage1, Philippe Lacoste1, Sabine Pattier1, Magali Michel1, Ousama Al Habash1, Christian Périgaud1, Antoine Mugniot1, Bertrand Rozec2, Jean-Christian Roussel1*
1. Service de chirurgie thoracique et cardiovasculaire, CHU de Nantes, France.
2. Département d’anesthésiologie, CHU de Nantes, France.
*Correspondance : jeanchristian.roussel@chu-nantes.fr
DOI : 10.24399/JCTCV21-2-MAR
Citation : Marie B, Sénage T, Lacoste P, Pattier S, Michel M, Al Habash O, Périgaud C, Mugniot A, Rozex B, Roussel JC. Résultats du remplacement valvulaire aortique isolé chez l’octogénaire : évaluation monocentrique périopératoire sur 769 patients entre 2002 et 2014. Journal de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 2017;21(2). doi: 10.24399/JCTCV21-2-MAR
Résumé
Objectif : évaluer la morbimortalité hospitalière du remplacement valvulaire aortique (RVA) isolé dans une population d’octogénaires opérée entre 2002 et 2014.
Méthodes : Sept cent soixante-neuf octogénaires de sexe masculin dans 46,4 % des cas (n = 357), d’un âge moyen de 82,7 ± 2,4 [80-94,4] ans ont été opérés d’un RVA biologique isolé dans un même centre. L’indication opératoire était un rétrécissement valvulaire aortique serré dans 79,3 % des cas (n = 610). Les chirurgies redux étaient exclues.
Résultats : La mortalité hospitalière a été de 1,95 % (n = 15) pour un EuroSCORE 2 moyen de 2,7 ± 3 [0,9-41,2]. La durée d’hospitalisation en réanimation était de 3,1 ± 4,5 jours pour un séjour global de 13,5 ± 7,9 jours. Les principales complications postopératoires étaient la transfusion sanguine (62,5 %), l’insuffisance rénale (15,6 %) nécessitant une dialyse dans 2,7 % des cas, des fuites paraprothétiques (1 à 2/4) (3,4 %), une ventilation prolongée (> 48h) (2,9 %), l’implantation d’un pacemaker (1,4 %), un accident vasculaire cérébral (1,2%), une médiastinite (0,5 %). En analyse multivariée, les facteurs de risque de mortalité hospitalière étaient le choc cardiogénique préopératoire (OR = 34,8 [4,2-215,9]) et le BMI > 30 (OR 4.5 [1,3-16,2]).
Conclusion : le remplacement valvulaire aortique isolé chez l’octogénaire est une chirurgie sûre, présentant une très faible morbimortalité et dont les sujets à risque sont bien identifiés.
Abstract
Outcomes of isolated aortic valve replacement in a monocentric cohort of 769 octogenarians between 2002 and 2014
Objective: To assess hospital morbi-mortality of isolated aortic valve replacement (AVR) in a monocentric cohort of octogenarians.
Methods: Between 2002 and 2014, 769 octogenarian patients, male in 46.4% (n=357), with a mean age of 82.7±2.4 years [range: 80–94.4], underwent isolated AVR with implantation of a biological valvular prosthesis in our center. The main surgical indication was aortic stenosis in 79.3% of patients. Patients who underwent redo surgeries were excluded from the study.
Results: The hospital mortality rate was 1.95% (n=15) with a Euroscore 2 average of 2.7±3 [range: 0.9–41.2]. Mean intensive care unit stay was 3.1 ±4.5 days with a total hospital stay of 13.5±7.9 days. The main postoperative complications included blood transfusion (62.5%), renal failure (15.6%) requiring dialysis in 2.7 % of the cases, para-prosthesis aortic insufficiency (1 to 2/4) (3.4%), prolonged artificial ventilation (>48h) (2.9%), pace-maker implantation (1.4%), stroke (1.2%) and mediastinitis (0.5%). Multivariate predictors of hospital mortality were cardiogenic shock (OR=34.8 [4.2–215.9]), and a BMI greater than 30 (OR 4.5 [1.3–16.2]).
Conclusion: Currently, aortic valve replacement in octogenarians is a reliable surgery with a low hospital morbi-mortality rate. It also provides effective identification of patients at risk.
1. Introduction
Les octogénaires constituent une population particulière en chirurgie, notamment en chirurgie cardiaque [1] en raison de leur fragilité et de comorbidités plus fréquentes. Malgré tout, les résultats du remplacement valvulaire aortique (RVA) chirurgical après 80 ans continuent de s’améliorer [2].
Même si les résultats à long terme restent à démontrer, l’essor du TAVI (Transcatheter Aortic Valve Implantation) bouleverse actuellement les indications opératoires chez un nombre important de patients à haut risque chirurgical [3,4]. L’incidence élevée du rétrécissement valvulaire aortique dans une population occidentale vieillissante [5] et l’émergence de ces nouvelles technologies constituent autant de nouveaux enjeux dans la prise en charge des octogénaires porteurs d’une valvulopathie aortique. L’évaluation des risques opératoires pour cette sous-population de patients âgés est maintenant primordiale dans la discussion de leur prise en charge [6-9], surtout depuis la publication récente d’études comparant le TAVI et la chirurgie pour des patients à risque modéré [10]. Dans un avenir proche, les patients octogénaires porteurs d’une sténose aortique seront probablement dirigés en première intention vers un programme TAVI. D’où l’importance d’évaluer les complications postopératoires du remplacement valvulaire aortique actuel, notamment sur le plan neurologique et rythmologique. L’objectif de cette étude rétrospective monocentrique était d’évaluer la morbimortalité hospitalière du RVA isolé chez l’octogénaire, et d’identifier les facteurs de risque de mortalité précoce.
2. Patients et méthodes
2.1. Patients
Entre janvier 2002 et décembre 2014, 769 patients octogénaires ont été opérés consécutivement d’un remplacement valvulaire aortique isolé avec implantation d’une bioprothèse dans le service de chirurgie cardiaque du centre hospitalier universitaire de Nantes. Les patients opérés d’un remplacement du culot aortique (intervention type Bentall), de la crosse aortique ainsi que de tout autre geste associé ont été exclus de notre étude. De même, les interventions redux n’ont pas été incluses dans notre cohorte. Durant la même période, 555 patients octogénaires ont été opérés d’un remplacement valvulaire aortique associé à une revascularisation myocardique chirurgicale (moyenne 1,7 pontage par patient).
2.2. Gestes opératoires
Les techniques opératoires, le choix de la cardioplégie ainsi que le modèle de la bioprothèse implantée étaient laissés à la discrétion de l’opérateur. Tous les patients ont bénéficié d’un abord chirurgical classique par sternotomie médiane. Il n’a pas été réalisé de voies mini-invasives. La cardioplégie était antérograde ou rétrograde, soit au sang répétée à 20 minutes d’intervalle, soit au cristalloïde répétée à 30 minutes d’intervalle. Les valves étaient implantées par trois surjets de Prolène 2-0.
Un contrôle échocardiographique postopératoire était systématiquement réalisé avant la sortie du patient. Un traitement anticoagulant à dose curative pendant la durée de l’hospitalisation a été réalisé pour l’ensemble de la cohorte. Les données cliniques et paracliniques ont été enregistrées rétrospectivement puis prospectivement dans une base de données informatisée utilisée dans le service de chirurgie cardiaque (CordaBase, autorisation CNIL n° 910300) depuis 2009. La morbimortalité a été analysée en respectant les recommandations de l’AATS-STS-EACTS [11]. La mortalité décrite dans cette étude est celle observée à la fin du séjour hospitalier. L’étude a été menée dans le respect de la législation des études cliniques.
2.3. Caractéristiques
L’âge moyen des patients de cette étude était de 82,7 ± 2,4 [80,0-94,4] ans, 16,9 % (n = 130) des patients avaient plus de 85 ans et 46,4 % (n = 357) étaient de sexe masculin. L’indication de la chirurgie était un rétrécissement valvulaire aortique dans 79,3 % des cas et 29,1 % (n = 256) des patients présentaient une dyspnée stade III ou IV de la NYHA. Les caractéristiques préopératoires cliniques et échographiques de cette population sont précisées dans les tableaux 1 et 2. Les bioprothèses implantées étaient principalement la valve Mitroflow (Sorin S.p.A., Milan, Italie) (31,5 % ; n = 242), la valve Magna Ease (Edwards Lifesciences, Irvine, États-Unis) (24,4 % ; n = 188) et la valve Carpentier Edwards Perimount (Edwards Lifesciences, Irvine, États-Unis) (23,7 % ; n = 182), les autres modèles représentant 20,4 % des implantations (n = 158). Nous n’avons pas implanté de valve type sutureless lors de cette période. La répartition des tailles de prothèse était la suivante : 19 mm (14,6 %), 21 mm (38,5 %), 23 mm (30 %), 25 mm (14 %) et 27 mm (2,3 %). Les temps moyens de circulation extracorporelle et de clampage aortique ont été respectivement de 67 ± 18 min et 51 ± 14 min. La cardioplégie était réalisée au sang chaud dans 81,1 % des cas (n = 624), et de façon antérograde dans 95,8 % des cas (n = 737).
Tableau 1. Caractéristiques démographiques préopératoires de la cohorte d’octogénaires et leurs influences sur la mortalité observée.
Âge ≥ 80 ans (n = 769)
n
%
p
Âge (années)
82,7 ± 2,4 [80,0-94,4]
ns
Sexe féminin
412
53,6
ns
Surface corporelle
1,7 ± 0,2 [1,2-2,4]
0,064
Indice de masse corporelle
26,6 ± 4,3 [15,4-45,3]
0,063
Insuffisance aortique isolée
14
1,8
ns
Maladie aortique
81
10,5
ns
Endocardite active
4
0,5
ns
NYHA III ou IV
224
29,1
ns
Syncope
76
9,9
ns
Antécédents familiaux
39
5,1
ns
Hypertension artérielle
499
64,9
ns
Diabète
114
14,8
ns
Dyslipidémie
311
40,4
ns
Obésité
166
21,6
ns
Tabac
119
15,5
ns
Insuffisance respiratoire (VEMS < 50 %)
13
1,7
ns
BPCO
43
5,6
ns
SAS
12
1,6
ns
AOMI
59
7,7
ns
Néoplasie
42
5,5
ns
Insuffisance rénale
64
8,3
0,03
Dialyse
1
0,1
ns
AVC
23
3
ns
Sténose carotidienne > 50 %
24
3,1
ns
Infarctus du myocarde
21
2,7
ns
Statut programmé
600
78
ns
Statut pressé
109
14,2
ns
Statut urgent
31
4
ns
Choc cardiogénique préopératoire
7
0,9
0,007
Intubation préopératoire
1
0,1
ns
OAP préopératoire
79
10,3
ns
Fibrillation auriculaire
115
15
ns
Log EuroSCORE
10,5 ± 6,6 [5,5-67,9]
ns
EuroSCORE 2
2,7 ± 2,96 [0,9-41,2]
ns
La colonne de droite affiche l’analyse statistique univariée de l’effet de chaque facteur sur le décès hospitalier.
NYHA : New York Heart Association ; BPCO : bronchopneumopathie chronique obstructive ; SAS : syndrome d’apnée du sommeil ; AOMI : artériopathie oblitérante des membres inférieurs ; AVC : accident vasculaire cérébral ; OAP : œdème aigu pulmonaire.
Tableau 2. Paramètres échographiques préopératoires de la cohorte.
n
%
p
Fraction d’éjection du VG (FEVG)
60,1 ± 10 [25-85]
ns
FEVG < 50 %
110
14,3 %
ns
FEVG < 30 %
11
1,43 %
-
PAPS > 60 mmHg
19
2,5 %
ns
Surface Aortique
0,66 ± 0,17 [0,25-2,25]
ns
Gradient aortique moyen
54,9 ± 15,1 [16-105]
ns
Insuffisance Aortique > 2
95
12,4 %
ns
La colonne de droite affiche l’analyse statistique univariée de l’effet de chaque facteur sur le décès hospitalier.
FEVG : fraction d’éjection du ventricule gauche ; PAPS : pression artérielle pulmonaire systolique.
2.4. Statistiques
Les données quantitatives sont exprimées en moyenne ± écart type. Des tests non paramétriques (test exact de Fisher et test de Mann-Whitney) ou paramétriques (test de Student et du Chi2) ont été utilisés selon les données comparées. Un p < 0,05 a été considéré comme significatif (test bilatéral). Une analyse multivariée par régression logistique a été réalisée selon un algorithme pas à pas descendant en ayant comme seuil d’entrée un p < 0,20, afin de rechercher des facteurs indépendants de mortalité périopératoire. La calibration du modèle a été vérifiée (test de Hosmer-Lemeshow).
Les facteurs suivants ont été testés comme facteurs de risque de mortalité : l’âge, le sexe, la surface corporelle, le BMI, l’insuffisance aortique, la présence d’une endocardite active, un statut NYHA III ou IV, la survenue de syncopes préopératoires, les antécédents familiaux de RVA, l’hypertension artérielle, le diabète, la dyslipidémie, l’obésité, le tabac, l’insuffisance respiratoire, le statut BPCO, la présence d’un syndrome d’apnée du sommeil, l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs, l’antécédent de néoplasie, l’insuffisance rénale, la dialyse préopératoire, l’antécédent d’AVC, l’association d’une sténose carotidienne > 50 %, l’antécédent d’infarctus du myocarde, le degré d’urgence de la chirurgie, la présence d’un choc cardiogénique ou d’un OAP préopératoire, la fibrillation auriculaire préopératoire, le Log EuroSCORE et l’EuroSCORE 2.
3. Résultats
Cette cohorte d’octogénaires a été marquée par une mortalité hospitalière de 1,95 % (n = 15), contre 2,67 % prévue par l’EuroSCORE 2. Les principales causes de mortalité hospitalières sont représentées dans le tableau 3 et étaient dominées par la défaillance multiviscérale et les causes cardiaques. En analyse univariée, les principaux facteurs de risque préopératoires de mortalité étaient l’insuffisance rénale et le choc cardiogénique [tableau 1].
Le caractère urgent de la chirurgie, le terrain respiratoire ou la notion de rétrécissement aortique syncopal n’étaient en revanche pas associés, dans notre cohorte, à une augmentation significative de la mortalité après RVA isolé chez les patients de plus de 80 ans. Les données échographiques préopératoires, notamment la fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG), n’étaient pas non plus associées à une augmentation de la mortalité hospitalière [tableau 2]. Les facteurs de risque de mortalité hospitalière significatifs en analyse multivariée sont représentés dans le tableau 4.
Tableau 3. Causes des décès hospitaliers des octogénaires opérés d’un RVA biologique isolé entre 2002 et 2014 au CHU de Nantes
Cause de décès
n
%
Défaillance multiviscérale
4
26,7 %
Mort subite
3
20,0 %
Choc cardiogénique
2
13,3 %
SDRA
2
13,3 %
Sevrage CEC impossible
2
13,3 %
Tamponnade
1
6,7 %
Sepsis
1
6,7 %
Total
15
100,0 %
SDRA : syndrome de détresse respiratoire aiguë ; CEC : circulation extracorporelle
Tableau 4. Facteurs de risque significatifs de mortalité hospitalière en analyse multivariée
OR
95 % CI
Choc cardiogénique préopératoire
34,8
4,2-215,9
IMC > 30 vs IMC entre 20-30
4,5
1,3-16,2
IMC : Indice de masse corporelle.
De janvier 2002 à décembre 2014, les octogénaires ont représenté 27% (n = 769) de l’ensemble de l’activité chirurgicale du RVA biologique isolé dans notre centre (n = 2843). Le nombre d’octogénaires a progressivement augmenté pour atteindre environ 70 patients par an depuis 2009. Cependant la proportion des octogénaires par rapport à la cohorte globale de patients opérés d’un RVA biologique isolé n’a que légèrement augmenté au cours de cette même période (30,4 % en 2014 contre 22,3 % en 2002).
La durée moyenne de séjour hospitalier était de 13,5 ± 7,9 jours (médiane 11 jours) dont 3,1 ± 4,5 jours (médiane = 1 jour) en réanimation. L’ensemble des paramètres interventionnels et postopératoires sont représentés dans le tableau 5. Par ordre de fréquence les principales complications postopératoires observées dans notre cohorte d’octogénaires sont la transfusion (62,5 %, n = 481), la défaillance rénale postopératoire (15,6 %, n = 120) (mais avec seulement 2,7 % de dialyse) et le passage en fibrillation auriculaire (15,5 %, n = 119). Une fuite paraprothétique (1 à 2/4) a été retrouvée chez 3,4 % des patients et la durée de ventilation a été supérieure à 48h dans 2,9 % des cas. L’implantation d’un pacemaker a été nécessaire pour 1,4 % des patients, et 1,2 % a présenté un accident vasculaire cérébral. Une médiastinite n’a été retrouvée que chez 0,5 % des malades (n = 4).
Tableau 5. Paramètres interventionnels et postopératoires de la cohorte de patients octogénaires.
Âge > 80 ans
(n = 769)
Nb
%
Durée CEC (min)
67,1 ± 18,3 [32-190]
Durée de clampage aortique (min)
50,8 ± 14,3 [23-157]
Cardioplégie au sang
624
81,1 %
Sortie CEC sous inotropes
67
8,7 %
Sortie CEC sous inotropes (> 2)
13
1,7 %
Passage en fibrillation auriculaire
119
15,5 %
Pose de pacemaker
11
1,4 %
Support inotropique en réanimation
109
14,2 %
Durée de ventilation
10,4 ± 41,8h [0-600] ; médiane 5h
Ventilation prolongée > 48h
22
2,9 %
Défaillance rénale
120
15,6 %
Dialyse
21
2,7 %
Reprise opératoire
31
4,0 %
Fuites paraprothétiques (1 à 2/4)
26
3,4 %
Reprise pour saignement
16
2,1 %
Infection (toutes confondues)
33
4,3 %
Médiastinite
4
0,5 %
AVC
9
1,2 %
Transfusion
481
62,5 %
Durée de séjour en réanimation
3,1 ± 4,5 [0-37] ; médiane 1 jour
Durée de séjour hospitalière (jours)
13,5 ± 7,9 j [6-112] ; médiane 11 j
Décès hospitalier
15
1,95%
AVC : accident vasculaire cérébral.
Durant la période de notre étude, l’évolution du Log EuroSCORE et de l’EuroSCORE 2 moyen dans cette population d’octogénaires est restée relativement stable [figure 1]. Avec un faible nombre d’événements, la mortalité hospitalière de notre cohorte d’octogénaires a été globalement stable entre 2002 et 2014 [figure 1]. Le tableau 6 représente la mortalité observée et prédite en fonction de trois sous-groupes (EuroSCORE < 10 % ; 10 % < EuroSCORE < 20 % ; EuroSCORE > 20 %). La mortalité prédite avec le Log EuroSCORE était systématiquement supérieure à celle observée, alors que l’EuroSCORE 2 estimait cette dernière de façon plus précise.
[caption id="attachment_3690" align="aligncenter" width="300"] Figure 1. Évolution de la mortalité des patients de la cohorte en fonction des années (comparaison de la mortalité annuelle observée avec le Log EuroSCORE et l’EuroSCORE 2 entre 2002 et 2014).[/caption]
Tableau 6. Mortalité observée et prédite, en fonction de 3 sous-groupes de Log EuroSCORE de la cohorte de 769 octogénaires opérés d’un RVA biologique iso.
n
Mortalité prédite Log EuroSCORE
Mortalité prédite EuroSCORE 2
Mortalité observée
Log EuroSCORE < 10 %
494
7,67 ± 1,20
1,93 ± 1,10
2,02 % (n = 10)
10 % < Log EuroSCORE < 20 %
232
12,86 ± 2,64
3,22 ± 1,81
1,29 % (n = 3)
Log EuroSCORE > 20 %
43
31,81 ± 12,06
8,25 ± 9,40
4,65 % (n = 2)
769
10,59 ± 6,57
2,67 ± 2,96
1,95 % (n = 15)
4. Discussion
Avec une mortalité hospitalière de 1,95 %, notre série confirme que la chirurgie valvulaire aortique conventionnelle chez l’octogénaire est une chirurgie sûre, adaptée à la prise en charge de cette pathologie dans ce sous-groupe de population. Cette faible mortalité hospitalière est bien entendue multifactorielle avec en premier lieu, une meilleure prise en charge périopératoire et une meilleure sélection des patients octogénaires. La littérature montre d’ailleurs qu’une sélection rigoureuse des patients permet aux octogénaires d’avoir une mortalité hospitalière équivalente à celle des non-octogénaires après RVA biologique isolé [12]. Ainsi, avec une durée médiane de ventilation de 5 heures et seulement 3 % de ventilation prolongée, le taux de complications respiratoires graves a été très faible dans notre étude, probablement prévenues lors de la sélection des patients avec seulement 5,6 % (n = 43) des patients présentant une bronchite chronique sévère et 1,7 % (n = 13) un VEMS altéré en préopératoire [tableau 1]. Les scores de mortalité actuellement disponibles, comme l’EuroSCORE 2, sont cependant peu discriminants dans la prédiction du risque de mortalité au niveau individuel [13], alors que la mortalité globale semble mieux estimée. L’EuroSCORE 2 donnait ainsi une meilleure estimation du taux de mortalité de notre cohorte de sujets octogénaires [figure 1] que le Log EuroSCORE, bien qu’il surestimait encore le risque individuel de décès [figure 2].
[caption id="attachment_3691" align="aligncenter" width="300"] Figure 2. Mortalité observée comparée à la mortalité prédite selon chaque EuroSCORE, estimée à l’échelle individuelle.[/caption]
Malgré un faible nombre d’événements, notre travail a mis en évidence des facteurs de risque significatifs de mortalité hospitalière. En analyse multivariée, le choc cardiogénique préopératoire ainsi que le BMI supérieur à 30 kg/m² comparé au BMI compris entre 20 et 30 kg/m² semblaient significativement augmenter le risque de mortalité hospitalière. Ce dernier résultat va à l’encontre du paradoxe décrit par certaines études [14] sur un éventuel effet protecteur de l’obésité sur la morbimortalité hospitalière en chirurgie cardiaque. Dans l’étude de Stamou et al. [14], les patients obèses étaient cependant significativement plus jeunes que les patients à BMI normal, expliquant peut-être la perte de l’effet protecteur de l’obésité dans une cohorte de sujets plus âgés comme la nôtre.
Les causes de décès postopératoires, dominées par la défaillance multiviscérale et les causes cardiaques (choc cardiogénique et troubles du rythme essentiellement), rappellent la fragilité du terrain de cette population. L’ischémie digestive liée à un bas débit cardiaque ou d’origine thromboembolique, décrite dans la littérature comme potentiellement dramatiques chez des patients octogénaires [15] ne semble pas avoir affectée notre cohorte de patients.
Face à l’essor incontestable et logique du TAVI, les risques du remplacement valvulaire aortique chez l’octogénaire doivent donc être parfaitement évalués et encore améliorés. Les techniques de chirurgie valvulaire aortique mini-invasives (mini-thoracotomie antérieure droite, mini-sternotomie) sont particulièrement séduisantes, notamment chez ces patients fragiles. En dehors d’un point de vue strictement esthétique, elles limitent les perturbations thoraciques mécaniques pouvant influencer la dynamique respiratoire, et contribuent à une reprise d’autonomie plus précoce, paramètre primordial chez les patients les plus âgés. Elles présentent cependant l’inconvénient d’une réalisation technique plus difficile avec une réelle courbe d’apprentissage. Les valves sutureless récemment développées pourraient trouver ici toute leur application.
Même si aujourd’hui les indications du TAVI sont encore réservées aux patients à haut risque chirurgical ou récusés pour une chirurgie, les études cliniques comparatives entre la chirurgie et le TAVI ainsi que les améliorations techniques récentes (valves Sapien III, CoreValve Evolut R…) vont probablement faire basculer les valves percutanées en techniques de première intention chez l’octogénaire. Il est cependant important de rappeler les faibles taux d’implantation de pacemaker (1,4 %) et de fuites paraprothétiques (3,4 %) dans notre série de patients sélectionnés, qui restent des complications relativement fréquentes après les procédures TAVI. En effet, le taux d’implantation de pacemaker est multiplié par 4 dans les registres français et anglais [4,16] par rapport à la chirurgie et concerne même 24,2 % des patients implantés avec une CoreValve. Les fuites paraprothétiques post-TAVI sont également fréquentes et détectées chez plus de 60 % des patients [16], avec un risque de surmortalité démontré à moyen terme [16]. Les complications neurologiques à type d’AVC semblent également non négligeables avec une incidence à 30 jours atteignant 3 à 4 % des patients en post-TAVI [4,16]. Ces complications sont d’autant plus préoccupantes qu’elles sont directement liées à la technique et moins dépendantes du terrain et de la gravité du patient. De ce fait, les améliorations techniques apportées avec les modèles plus récents de valves percutanées, comme la prothèse Sapien III [17] qui est dotée d’une collerette périprothétique ou la prothèse Evolute R qui est repositionnable, permettront probablement un meilleur contrôle des complications post-TAVI.
5. Conclusion
Cette étude confirme les excellents résultats du remplacement valvulaire aortique conventionnel chez l’octogénaire et rappelle que la chirurgie présente une faible morbimortalité hospitalière chez des patients sélectionnés.
L’EuroSCORE 2 semble permettre une meilleure estimation du taux moyen de mortalité. Cependant, il demeure encore incapable de prédire de manière fiable le risque individuel de mortalité hospitalière du sujet octogénaire.
Références
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Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared.
Cet article est réalisé dans le cadre du DIU de chirurgie valvulaire.
Date de soumission : 28/12/2016. Acceptation : 10/05/2017.
juin 2, 2017