Chirurgie thoracique · Vol. 21 Juin 2017

Évolutions actuelles du drainage thoracique après lobectomie : vers une approche standardisée

Imen Bouassida1, Agathe Seguin-Givelet*1,2*, Emmanuel Brian1, Madalina Grigoroiu1, Dominique Gossot1   Institut du thorax Curie-Montsouris, département thoracique, institut mutualiste Montsouris, Paris, France. Université Sorbonne Paris Cité, UFR SMBH université Paris 13, France. * Correspondance : agathe.seguin-givelet@imm.fr DOI : 10.24399/JCTCV21-2-SEG Citation : Bouassida I, Seguin-Givelet A, Brian E, Grigoroiu M, Gossot D. Évolutions actuelles du drainage thoracique après lobectomie : vers une approche standardisée. Journal de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 2017;21(2). doi: 10.24399/JCTCV21-2-SEG   Résumé Objectifs : proposer une gestion standardisée du drainage thoracique après exérèse pulmonaire majeure. Méthodes : nous avons fait une revue de la littérature récente et une analyse des publications (des études prospectives, études randomisées, revues et séries monocentriques jugées pertinentes) publiées sur la base PubMed entre 2001 et 2016 et ayant pour objectif principal la gestion du drainage thoracique après chirurgie d’exérèse pulmonaire majeure (pneumonectomies exclues). Résultats : nous émettons 7 propositions : favoriser l’utilisation d’un seul drain thoracique ; arrêter l’aspiration en premier jour postopératoire en l’absence de fuites ; éviter de traire le drain, le retirer pour un recueil quotidien de liquide séreux n’excédant pas les 400 ml/24 h ; réaliser les radiographies thoraciques de contrôle de façon ciblée ; mettre le drain en siphonnage au cinquième jour postopératoire en cas de bullage prolongé et réserver le système de drainage électronique à des indications particulières. Conclusion : au vu de l’hétérogénéité de gestion du drainage thoracique après chirurgie d’exérèse pulmonaire majeure, nous avons émis plusieurs propositions permettant de standardiser cette prise en charge.   Abstract Current trends in thoracic drainage after lobectomy: Towards a standardized approach Objectives: To propose a standardized management of thoracic drainage after major lung resection. Methods: We performed a review of recent literature and analysis of publications (prospective and randomized studies, reviews, and relevant monocentric series) on the Pubmed database between 2001 and 2016. The main objective was to develop a strategy for the management of thoracic drainage after major lung resection (excluding pneumonectomy). Results: The following strategies were proposed: (1) promote the use of one chest tube, (2) stop suction on the first post-operative day if no air leak occurs, (3) avoid milking the drain, (4) remove it when the daily quantification of serous liquid does not exceed 400 mL/24 h, (5) perform targeted chest X rays, (6) proceed to under-water seal drainage on the fifth post-operative day in cases of prolonged air leaks, (6) reserve the electronic drainage system for specific indications. Conclusions: Considering the heterogeneous approaches of thoracic drainage after lung resection, we have proposed strategies to standardize management of the procedure.   1. Introduction Bien que le drainage pleural existe depuis le temps d’Hippocrate [1], le premier système de drainage fermé pour le traitement d’un empyème n’a été mis au point par Gotthard Bülau qu’en 1875 [2]. Il a été repris en 1922 par Lilienthal pour la prise en charge postopératoire des patients [3,4] et depuis lors, les techniques de drainage et les systèmes de recueil ont connu de nombreuses modifications et améliorations. Toutefois, il n’existe actuellement aucune approche standardisée de la gestion du drainage thoracique après chirurgie d’exérèse pulmonaire majeure. L’attitude la plus habituelle consiste en la mise en aspiration continue du ou des drains thoraciques puis de leur ablation à l’arrêt du bullage et si le liquide séreux recueilli quotidiennement n’excède pas les 100 mL/24h/drain. Dans la surveillance des patients drainés, la réalisation systématique de radiographie pulmonaire quotidienne reste une pratique répandue [5,6]. Cette attitude est de plus en plus discutée en raison de l’évolution des techniques chirurgicales et d’une permissivité plus grande notamment en termes de recueil journalier des sérosités postopératoires. Une enquête nord-américaine récente, s’intéressant à la gestion du drainage thoracique entre différents groupes de chirurgiens [7], met en évidence des différences significatives dans la prise en charge du drainage thoracique en fonction de l’âge du chirurgien (junior versus senior), de son mode d’exercice (public versus libéral) et de son activité opératoire (< 30 lobectomies par an versus > 75 lobectomies par an). Les chirurgiens juniors ayant une activité opératoire importante n’utilisaient dans cette étude qu’un seul drain retiré rapidement. Par ailleurs, seuls 50 % d’entre eux continuaient à pratiquer une surveillance radiologique quotidienne de leurs patients drainés. Ceci témoigne de l’hétérogénéité et de l’évolutivité des pratiques dans la gestion du drainage thoracique.   2. Objectif L’objectif de ce travail a été d’analyser et de faire une synthèse des différents articles publiés entre 2001 et 2016 sur le drainage thoracique après résection pulmonaire majeure (lobectomies ou segmentectomies, les pneumonectomies étant exclues), afin de déterminer une approche consensuelle répondant à 7 questions pratiques : Combien de drains thoraciques après lobectomie ? Quelle est la place de l’aspiration ? La manipulation (ou traite) du drain en postopératoire est-elle utile ? Quels sont les critères décisionnels pour enlever un drain ? Une radiographie thoracique quotidienne systématique est-elle nécessaire après résection pulmonaire majeure ? La gestion en ambulatoire du drain en cas de bullage prolongé est-elle possible ? Quelle est la place de l’utilisation du système de drainage électronique après lobectomie ?   3. Méthodes Nous avons réalisé une analyse de la littérature à partir de la base de données PubMed en sélectionnant les articles répondant aux critères suivants : travaux publiés entre 2001 et 2016 ; études prospectives, études randomisées, revues de la littérature, séries monocentriques jugées pertinentes ; travaux ayant pour objectif principal la gestion du drainage thoracique après chirurgie d’exérèse pulmonaire majeure, les pneumonectomies étant exclues. Au terme de cette analyse, 41 articles ont été retenus, une synthèse des données de la littérature a été établie et nous avons émis les propositions suivantes.   Tableau récapitulatif. Gestion du drainage thoracique après lobectomie. Problématique Types d’étude Propositions de l’institut mutualiste Montsouris Nombre de drains Tanaka 2014 (11) (RCT) Okur 2009 (10) (RCT) Gómez-Caro 2006 (9) (RCT) Dawson 2010 (12) (Revue de la littérature) Alex 2003 (8) (Série rétrospective)   Un seul drain dans la majorité des cas Aspiration ou siphonnage Lang 2016 (13) (Méta analyse de RCT) Qiu 2013 (19) (Méta analyse de RCT) Coughlin 2012 (20) (Méta analyse de RCT) Deng 2010 (21) (Méta analyse de RCT) Prokakis 2008 (18) (RCT) Brunelli 2005 (17) (RCT) Alphonso 2005 (15) (RCT) Brunelli 2004 (22) (RCT) Marshall 2002 (15) (RCT) Cerfolio 2001 (14) (RCT) Marshall 2002 (22) (RCT) Cerfolio 2001 (21) (RCT) Mise au bocal à J1 (en l’absence de fuite aérique et/ou de pneumothorax) Manipulation du drain Dango 2010 (23) (RCT)   Pas de manipulation du drain Ablation du drain Xie 2015 (25) (RCT) Zhang 2014 (26) (RCT) Olgac 2014 (28) (RCT) Bejerrgaard 2014 (27) (Série prospective) Jiang 2015 (29) (Série rétrospective) Cerfolio 2008 (24) (Série rétrospective)   Si quantité recueillie n’excède pas 400 mL/24h + absence de bullage + liquide séreux Radiographie thoracique systématique Cunningham 2014 (30) (Série rétrospective) Reeb 2013 (31) (Méta analyse) Sepehripour 2012 (33) (Méta analyse) Cerfolio 2011 (32) (Série rétrospective)   En salle de réveil, à la demande, au retrait du drain Bullage prolongé Leo 2013 (37) (RCT) Schmocker 2016 (34) (Série rétrospective) Drahush 2016 (35) (Série rétrospective) Cerfolio 2009 (38) (Série rétrospective) Rice 2002 (36) (Série rétrospective)   Drain au bocal à partir de J5 Possibilité de gestion en ambulatoire au-delà Système de drainage électronique Likendik 2015 (41) (RCT) Gilbert 2015 (42) (RCT) Pompili 2014 (39) (RCT) Afoke 2014 (48) (Méta analyse de RCT) Brunelli 2013 (43) (RCT) Varela 2010 (45) (Revue) Brunelli 2010 (40) (RCT) Filosso 2010 (46) (RCT) Varela 2009 (44) (RCT) Cerfolio 2008 (47) (RCT)   Utilisation réservée pour un drainage prolongé en aspiration   RCT : essai contrôlé randomisé.   4. Discussion     4.1. Combien de drains thoraciques après lobectomie [8-11] L’utilisation de 2 drains thoraciques après lobectomie, l’un antéro-apical pour le drainage de l’air, l’autre postérobasal pour les sérosités, était jusqu’à maintenant de pratique courante. Certaines équipes ont cependant décrit l’utilisation d’un seul drain : ainsi Alex et al. ont publié en 2003 une étude sur 120 patients comparant l’utilisation d’un seul drain thoracique après lobectomie à deux drains. La douleur postopératoire était significativement moindre pour le groupe ayant un seul drain, ainsi que le coût du traitement expliqué par la réduction du nombre d’examens radiologiques [8]. Par la suite, dans une étude randomisée publiée en 2006, Gómez-Caro et al. ont montré que le groupe possédant un seul drain après lobectomie nécessitait moins d’analgésiques que le groupe à deux drains [9]. Dans l’étude d’Okur et al., l’analyse prospective d’une série de 100 patients opérés pour des lobectomies et bilobectomies par thoracotomie montrait l’équivalence de l’utilisation d’un seul drain comparé à deux drains en termes de durée de drainage et d’hospitalisation, et une diminution de la douleur évaluée par le score EVA (échelle visuelle analogique) et mesurée au deuxième jour postopératoire et à la fin de la deuxième semaine postopératoire. Les auteurs ont souligné cependant l’intérêt de l’utilisation de deux drains chez les patients avec lobectomie et pariétectomie ou en cas de risque hémorragique [10]. Plus récemment, Tanaka et al. dans une étude prospective randomisée comparant l’utilisation d’un drain versus deux drains en cas de chirurgie vidéo-assistée n’ont pas mis en évidence de différence significative en termes de réexpansion pulmonaire et de durée de drainage [11]. Les données actuelles de la littérature sont en faveur de l’utilisation d’un seul drain thoracique après lobectomie. Le choix de mettre en place deux drains est néanmoins laissé à l’opérateur, en fonction du geste réalisé (bilobectomie), de la qualité du parenchyme pulmonaire (emphysème) et des conditions locales (suintement hémorragique en fin d’intervention, par exemple).   4.2. Quelle est la place de l’aspiration sur le drain ? [13-22] Les avantages de l’aspiration versus la mise en siphonnage après résection pulmonaire majeure sont discutés. En théorie, la mise en aspiration du drain thoracique assure une apposition des plèvres diminuant ainsi le risque de décollements postopératoires. Cependant, cette pratique pourrait favoriser la persistance de fuites aériennes [13]. Les premières études randomisées publiées depuis 2001 ont montré la supériorité de la mise au bocal, après une brève durée d’aspiration versus une aspiration exclusive sur la durée du bullage [14,15]. A contrario, l’étude randomisée d’Alphonso et al. publiée en 2005 ne montrait pas de différence significative en termes de durée de bullage [16]. Une pratique intermédiaire serait une mise en aspiration de manière discontinue : Brunelli a montré en 2005 que le recours à une aspiration faible à moins de 10 cm H2O la nuit, alternée par la mise au bocal le jour, diminuait la durée de drainage comparativement à la mise au bocal exclusive [17]. En 2008, Prokakis montrait que l’aspiration initiale diminuait l’incidence des décollements apicaux persistants mais sans mettre en évidence de différence significative sur la durée du drainage et la durée d’hospitalisation [18]. Deux méta-analyses récentes, regroupant des études prospectives randomisées réalisées entre 2001 et 2013, ont montré que la mise en aspiration comparée à la mise en siphonnage ne présentait aucun avantage en termes de diminution du bullage, de durée du drainage et d’hospitalisation [13,19]. Il faut toutefois souligner l’hétérogénéité des indications et des pratiques de certaines études intégrées dans ces deux méta-analyses rendant leurs conclusions moins solides : en effet, certaines cohortes mêlaient des interventions de chirurgie pulmonaire majeure (lobectomie ou segmentectomie) à des résections atypiques, voire des patients opérés de pneumothorax. La date de mise en siphonnage était également variable, allant de J0 à J2. Dans une méta-analyse publiée en 2016, 70 % des chirurgiens reconnaissaient utiliser une aspiration sur le drain sans pouvoir justifier cette pratique par des arguments scientifiques [13]. Les données actuelles de la littérature sont en faveur de l’absence d’intérêt d’une aspiration exclusive et de l’innocuité de la mise en siphonnage du drain de façon précoce. Notre proposition est de mettre le drain au bocal à J1 (en l’absence de fuites aériques ou de pneumothorax constaté sur la radiographie postopératoire immédiate). 4.3. La manipulation ou la traite du drain est-elle utile ? [23] La manipulation du drain thoracique afin de mobiliser les caillots et de favoriser le drainage sans obturation du drain est de pratique courante. L’utilité de cette traite du drain peut être remise en question par les résultats d’une étude prospective randomisée qui a montré l’augmentation du volume de sérosités recueillies lors de la manipulation du drain sans différence significative sur la durée du bullage, du drainage et de l’hospitalisation ni de différence sur les taux de la morbimortalité [23]. Les rares données actuelles de la littérature (basées sur une seule étude randomisée) sont en faveur de ne pas traire le drain thoracique après lobectomie. 4.4. Quand réaliser l’ablation du drain ? De quels critères décisionnels disposons-nous ? [24-29] Des critères stricts ont été adoptés antérieurement pour l’ablation du drain: 1) absence de bullage et 2) débit quotidien de sérosités maximum compris entre 100 mL à 250 mL/24h, les auteurs qualifiant de sérosités un liquide non sanglant et non chyleux. Néanmoins plusieurs équipes tolèrent actuellement un débit quotidien plus important sans connaître une augmentation significative du taux de complications ni de réhospitalisation. Ainsi dans l’étude rétrospective de Cerfolio et al., comprenant 2077 résections pulmonaires opérées par thoracotomie, le sous-groupe des 364 patients ayant bénéficié de l’ablation du drain thoracique pour un volume situé entre 250 et 450 mL/24h ont eu des suites simples et une diminution de leur durée moyenne d’hospitalisation, sans majoration des complications ni du taux de réhospitalisation [24]. De même l’étude prospective de Xie et al. portant sur 168 lobectomies et comparant l’ablation du drain pour un volume total < 450 mL/24h versus un volume < 300 mL/24h versus un volume de < 150 mL/24h mettait en évidence une diminution significative de la durée de drainage et d’hospitalisation pour les deux premiers groupes, avec une augmentation des ponctions pleurales pour le groupe < 450 mL/24h sans augmentation du taux de patients nécessitant un drainage itératif [25]. Zhang et al. ont comparé dans une étude prospective randomisée le retrait du drain pour un volume de < 300 mL/24h versus < 100 mL/24h et ont montré une diminution significative de la durée du drainage et d’hospitalisation sans différence en termes de complications postopératoires [26]. Enfin, Bjerregaard, dans une étude prospective portant sur 622 lobectomies et bilobectomies par chirurgie vidéo-assistée, a montré que l’ablation des drains pour un recueil quotidien séreux < 500 mL/24h était associée à un taux minime de réintervention estimée à 2,8 % et qui consistait dans la majorité des cas en la réalisation d’une simple ponction pleurale [27]. D’autres critères en rapport avec la composition chimique du liquide recueilli ont été étudiés pour conforter cette décision. Ainsi l’étude prospective randomisée d’Olgac et al. montrait que le drain peut être retiré en toute sécurité en prenant comme critère d’ablation un ratio appelé PrRP/B (correspondant au dosage des protides dans la plèvre rapporté au dosage des protides dans le sang) et qui doit être inférieur à 0,5 quel que soit le volume de sérosités recueilli [28]. Néanmoins si ce critère biologique est corrélé au volume quotidien drainé, il s’avère que dans cette étude, le ratio PrRP/B était inférieur à 0,5 lorsque le volume avoisinait les 450 mL/24h. Le recours à ce ratio PrRP/B < 0,5 lors de l’ablation du drain thoracique pourrait probablement aider à la prise de décision mais son inconvénient majeur est de multiplier les dosages biologiques. Les données actuelles de la littérature sont en faveur d’une ablation du drain thoracique lorsque le recueil quotidien de liquide pleural séreux n’excède pas 400 mL/24h, sans réalisation de dosage biologique particulier.   4.5. Une radiographie thoracique journalière est-elle nécessaire après résection pulmonaire majeure ? [30-33] La réalisation d’une radiographie thoracique quotidienne de contrôle après résection pulmonaire chez les patients drainés est de pratique courante dans la majorité des équipes. Cette attitude est maintenant discutée. Des études récentes plaident en faveur de la réalisation de radiographies à la demande, c’est-à-dire basée sur l’examen clinique ou la survenue d’un événement imprévu. Ainsi, le travail de Cunningham et al. en chirurgie thoracique pédiatrique comparait 50 enfants ayant eu une radiographie postopératoire immédiate, des radiographies journalières pendant la période du drainage et une dernière imagerie après le retrait du drain à un groupe de 98 enfants ayant bénéficié d’une radiographie uniquement sur signe clinique d’appel (fièvre, hypoxie, emphysème sous-cutané, bullage prolongé) et une radiographie après ablation du drain [30]. Cette étude a montré une diminution de moitié du nombre de radiographies pour le deuxième groupe, sans différence significative du taux de complications et de la durée de drainage. La revue de la littérature de Reeb et al. publiée en 2013 à propos de l’intérêt de la radiographie quotidienne après chirurgie pulmonaire concluait en sa faible valeur diagnostique et thérapeutique. A contrario, la réalisation de radiographies à la demande diminuerait le nombre d’examens radiologiques par patient, sans augmenter les incidents, la durée d’hospitalisation, le taux de réadmission et de mortalité avec une diminution des coûts et de l’irradiation corporelle totale [31]. Cerfolio et al., dans une étude comprenant 1037 résections pulmonaires, ont montré que seuls les patients hypoxiques bénéficiaient d’une radiographie quotidienne [32]. Dans une revue de la littérature publiée en 2012 par Sepehripour analysant l’intérêt de la radiographie après ablation de drain en chirurgie cardiothoracique, le bénéfice de cet examen systématique n’était pas démontré et la symptomatologie clinique était le meilleur critère prédictif de redrainage [33]. En conclusion, la réalisation systématique de radiographie thoracique quotidienne ne semble pas avoir un intérêt. Toutefois il faut noter les limites des études susmentionnées, étant des méta-analyses de chirurgie cardiothoraciques ou des études rétrospectives. Des études prospectives et des essais randomisés s’intéressant particulièrement aux résections pulmonaires majeures sont souhaitables. Les données actuelles de la littérature sont en faveur de radiographies thoraciques ciblées après résection pulmonaire majeure : en salle de réveil, au retrait du drain, en cas d’évolution non attendue : bullage prolongé, emphysème sous-cutané, hypoxie, suspicion d’infection… 4.6. La gestion en ambulatoire du drain en cas de bullage prolongé est-elle possible ? [34-38] La fuite aérienne prolongée définie par un bullage supérieur à 5 jours est la complication la plus fréquente après exérèse pulmonaire majeure [34,35]. En l’absence de conduite thérapeutique codifiée, la gestion du bullage prolongé demeure éclectique. Les études ayant comparé la mise en aspiration versus la mise en siphonnage ont trouvé que cette dernière était supérieure [17,36]. Rice et al. ont souligné l’intérêt de l’arrêt précoce de l’aspiration dans la gestion des fuites d’air persistantes [36]. Néanmoins, Leo et al. dans une étude prospective sur 500 patients ont montré le bénéfice de l’aspiration continue pendant 3 jours, suivie de la mise en siphonnage versus la mise au bocal d’emblée, en termes de diminution de la durée totale de bullage [37]. Par ailleurs, plusieurs études sont en faveur de la sortie du patient à domicile, drain en place, en cas de bullage prolongé [34,36]. Ce type de prise en charge en ambulatoire est considéré comme sûr avec une diminution de la durée d’hospitalisation et du coût de la prise en charge globale sans augmentation de la morbidité. Cerfolio et al., dans une étude comprenant 194 cas de bullage persistant au 4e jour dans une série de 6034 résections pulmonaires, ont montré qu’il était possible de faire sortir les patients drain en place sur un appareil portable. Le drain était retiré en toute sécurité après 14 jours de drainage, si les patients étaient asymptomatiques (ni emphysème sous-cutané, ni majoration du pneumothorax, soit un espace pleural fixé), malgré la persistance du bullage et un décollement stable [38]. Les données actuelles de la littérature sont en faveur de l’arrêt de l’aspiration en cas de bullage prolongé. La gestion en ambulatoire d’un drainage prolongé est envisageable sous réserve d’une prise en charge optimale à domicile. Notre proposition est la mise au bocal à partir du 5e jour en cas de fuites aériennes prolongées.   4.7. Quelle est la place actuelle de l’utilisation du système de drainage électronique après lobectomie ? [39-48] Le système de drainage électronique est un dispositif portable alimenté par une batterie rechargeable, en système fermé. Il élimine la variabilité inter-observateur avec la mesure objective des fuites d’air enregistrée par le système et affichée sur un écran. Il permet également de maintenir la pression intrapleurale initialement prédéfinie par l’utilisateur. Plusieurs études prospectives randomisées ont été publiées ces dernières années plaidant en faveur de l’utilisation du système de drainage électronique [39-40]. L’étude prospective randomisée de Brunelli et al., portant sur 106 lobectomies et comparant un système de drainage électronique à un système « classique », a montré la diminution de la durée du drainage et d’hospitalisation de 0,9 jour en cas de drainage électronique en apportant une diminution des coûts globaux, malgré le prix nettement supérieur du dispositif électronique [40]. L’étude prospective randomisée multicentrique de Pompili et al. portant sur 381 patients ayant eu une lobectomie et/ou une segmentectomie comparait l’utilisation de 191 dispositifs de drainage électronique à 190 dispositifs de recueil traditionnel. Elle a montré une diminution significative de la durée du drainage et d’hospitalisation en cas de drainage électronique avec une satisfaction supérieure du patient et du personnel soignant. Ce système permet en effet une déambulation et une autonomie renforcée du patient [39]. Néanmoins ces résultats sont remis en cause par la publication en 2015 de deux études prospectives randomisées. La première, de Lijkendijk et al., portait sur 105 lobectomies et comparait un système de drainage numérique (Thopaz® Medela AG, Baar, Suisse) au système traditionnellement utilisé (PLEUR-EVAC®) [41]. Aucune différence significative en termes de durée de drainage et d’hospitalisation n’était retrouvée. La deuxième étude de Gilbert et al. comparait l’utilisation d’un dispositif électronique à un dispositif traditionnel sans montrer un avantage du système électronique concernant les durées du drainage et d’hospitalisation, ceci même pour les patients présentant un bullage prolongé [42]. Enfin l’étude prospective randomisée de Brunelli et al. de 2013 réalisée chez 100 patients opérés de lobectomie et portant sur l’intérêt du maintien d’une pression intrathoracique prédéfinie, que le patient soit en aspiration ou en siphonnage, n’a montré aucun bénéfice du système électronique [43]. Si l’avantage reconnu du système électronique est l’autonomisation précoce du patient par l’amélioration de sa capacité de déambulation [39], les recommandations actuelles de mise au bocal précoce du drain dès J1 réduisent l’intérêt du système électronique. Enfin l’utilisation d’un dispositif de drainage électronique est également discutable au vu de l’évolution et de la rapidité du retrait du drain dans certaines équipes de chirurgie thoracique. Les  données actuelles de la littérature sont en faveur du système électronique en termes d’autonomisation du patient. Mais dans la perspective d’une mise du drain précocement en siphonnage (question 2), nous proposons l’utilisation d’un système de drainage électronique pour les patients nécessitant une mise en aspiration prolongée, au-delà de J5.   5. Conclusion Les modalités du drainage thoracique après chirurgie d’exérèse pulmonaire ne sont pas consensuelles. Il nous a semblé utile de définir une approche plus standardisée s’appuyant sur des études récentes qui s’éloignent parfois des habitudes d’équipe.   Références Chadwich J, Mann W. H. The medical works of Hippocrates. Charles C Thomas, Springfield 1950. Meyer JA. Gotthard Bülau and closed water-seal drainage for empyema, 1875-1891. 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juin 2, 2017
Cas clinique · Vol. 20 Décembre 2016

À propos de la gestion chirurgicale de deux tumeurs fibreuses solitaires géantes

Sani Rabiou1, Layla Belliraj1, El Bouazzaoui Abderrahim2,3, Ibrahim Issoufou1, Fatima Zara Ammor1, Jamal Ghalimi1, Yassine Ouadnouni1,3, Sbai Hicham2,3, Kanjaa Nabil2,3, Mohamed Smahi1,3   1. Service de chirurgie thoracique, CHU Hassan II, Fès, Maroc. 2. Service d’anesthésie-réanimation, CHU Hassan II, Fès, Maroc. 3. Faculté de médecine et de pharmacie, université Sidi-Mohamed-Ben-Abdellah, Fès, Maroc. Correspondance : rabiousani2@icloud.com   Résumé Les tumeurs fibreuses solitaires de la plèvre représentent une entité histologique rare, appartenant aux groupes des tumeurs pleurales d’origine sous-mésothéliale, d’expression clinique variable. L’exérèse chirurgicale totale est seule capable d’assurer une guérison définitive. À travers 2 cas cliniques, les auteurs soulignent l’expression clinique par une importante gêne respiratoire liée au caractère géant de la tumeur comprimant les poumons et le médiastin. L’exérèse complète a été réalisée par un abord antérieur devant l’impossibilité d’anesthésier les patientes en décubitus latéral. Le diagnostic a été confirmé par l’examen anatomopathologique. Les suites opératoires étaient simples pour les 2 patientes avec reprise d’une bonne dynamique respiratoire.   Abstract The surgical management of two giant solitary fibrous tumors Solitary fibrous tumors of the pleura representing a rare histologic entity belonging to the original tumor pleural mesothelial sub-groups have variable clinical expression. Total surgical excision alone is capable of ensuring a permanent cure. Through two clinical cases, the authors emphasize clinical expression by major respiratory discomfort related to the giant character of the tumor compressing the lungs and mediastinum. Complete excision was performed by an anterior approach resulting from the inability to anesthetize patients in lateral recumbency. The diagnosis was confirmed by anatomopathological examination. The postoperative course was simple for two patients with resumption of good respiratory dynamics.   1. INTRODUCTION Les tumeurs fibreuses solitaires de la plèvre sont une entité rare d’origine fibroblastique, le plus souvent localisée et bénigne, représentant moins de 5 % de l’ensemble des tumeurs pleurales. 10 % de ces tumeurs sont malignes avec un risque de récidive et de métastase engageant souvent le pronostic vital [1]. Les manifestations cliniques peuvent être respiratoires ou extrathoraciques avec des arthralgies, un hippocratisme digital et des crises hypoglycémiques. Nous rapportons 2 cas de tumeurs fibreuses solitaires de la plèvre particulières par leur taille et leur expression clinique dont la prise en charge avait nécessité une thoracotomie antérolatérale.   1.1. Patiente 1 Mme M., âgée de 52 ans, hypertendue et diabétique, consulte pour une toux, associée à une douleur thoracique sur un fond de dyspnée d’installation progressive depuis 1 an. La symptomatologie s’est aggravée il y a 6 mois par l’accentuation de la dyspnée devenue de plus en plus insupportable en décubitus dorsal. Elle avait un bon état général, avec une TA = 160/90 mmHg, une FC = 114 bat/mn, polypnéique à 34 cycles/min avec une SaO2 à l’air ambiant = 94 %. L’examen pleuropulmonaire était en faveur d’un syndrome de condensation intéressant l’hémichamp thoracique droit. La radiographie thoracique de face avait objectivé une opacité de tout l’hémichamp thoracique droit avec une importante déviation médiastinale vers le côté gauche. Sur une tomodensitométrie thoracique avec injection de produit de contraste, la masse, de nature tissulaire, occupait tout l’hémichamp thoracique droit, refoulant le poumon ainsi que le diaphragme. Il s’y associait une compression de la trachée et des bronches souches qui sont complètement refoulées vers le côté gauche, ainsi que les gros vaisseaux du médiastin [figure 1]. [caption id="attachment_2955" align="aligncenter" width="300"] Figure 1. Tomodensitométrie thoracique avec injection de produit de contraste montrant une masse de nature tissulaire occupant tout l’hémichamp thoracique droit, refoulant le poumon ainsi que le diaphragme, avec compression de la trachée et des bronches souches qui sont complètement refoulées vers le côté gauche, ainsi que les gros vaisseaux du médiastin.[/caption]   L’étude anatomopathologique d’une carotte obtenue par une biopsie transpariétale guidée par le scanner était revenue en faveur d’une tumeur fibreuse solitaire de la plèvre. L’indication d’une exérèse chirurgicale de la masse était retenue et la voie d’abord était une thoracotomie antérolatérale droite. L’exploration avait permis de découvrir une énorme tumeur, encapsulée, pédiculée à base d’implantation scissurale, comprimant le poumon droit contre le médiastin. L’exérèse complète de cette tumeur avait été obtenue en suivant le plan de clivage existant entre cette tumeur par rapport au poumon, à la paroi thoracique et au diaphragme. Après un séjour de 5 jours en réanimation, les suites opératoires ont été simples avec sortie de la patiente à J+12 du postopératoire. L’évolution 6 mois après était favorable avec reprise d’une bonne dynamique respiratoire et une radiographie de contrôle qui était satisfaisante [figure 2].   [caption id="attachment_2956" align="aligncenter" width="248"] Figure 2. Radiographie thoracique de face en postopératoire qui montre une bonne évolution avec retour du poumon à la paroi.[/caption]   1.2. Patiente 2 Mme A., 52 ans, suivie pour goître cervical depuis 6 mois consultait pour dyspnée d’installation progressive aggravée par le décubitus dorsal, évoluant depuis 5 ans. L’état général était conservé et la TA était à 130/80 mmHg avec une Fc à 108 battements/min et une SaO2 à l’air ambiant à 88 %. Il y avait un hippocratisme digital avec un syndrome cave supérieur. À l’examen physique on notait une immobilité de l’hémichamp thoracique droit avec diminution de transmission des vibrations vocales et de murmure vésiculaire. On notait également la présence d’une masse cervicale antérieure mobile à la déglutition. Le bilan biologique était normal en dehors d’une hypoglycémie à 0,42 g/l. La radiographie thoracique de face était en faveur d’une opacité occupant presque l’hémichamp pulmonaire droit avec déviation des structures médiastinales [figure 3A]. La tomodensitométrie thoracique avec injection de produit de contraste montrait une énorme masse tissulaire pleuropulmonaire droite, hétérogène avec des calcifications, refoulant le poumon et le médiastin à gauche [figure 4].   [caption id="attachment_2957" align="aligncenter" width="300"] Figure 3 - A. La radiographie thoracique de face en faveur d’une opacité occupant presque l’hémichamp pulmonaire droit avec déviation des structures médiastinale. - B. La radiographie thoracique faite à J+13 du postopératoire montrant un retour du poumon à la paroi.[/caption] [caption id="attachment_2958" align="aligncenter" width="263"] Figure 4. Tomodensitométrie thoracique avec injection de produit de contraste montrant une énorme masse tissulaire pleuropulmonaire droite, hétérogène avec des calcifications, refoulant le poumon et le médiastin à gauche.[/caption]   Devant l’aggravation de la dyspnée, la durée d’évolution de la maladie ainsi que le résultat du bilan radiologique, nous avons évoqué le diagnostic d’une tumeur fibreuse solitaire géante de la plèvre. Une chirurgie à visée diagnostique et thérapeutique était jugée nécessaire et la voie d’abord choisie était une thoracotomie antérolatérale passant par le 4e espace intercostal. À l’exploration la masse était encapsulée et pédiculée à base d’implantation scissurale et clivable rendant ainsi possible son exérèse complète [figure 5]. Les suites opératoires étaient marquées par une instabilité hémodynamique jugulée par des drogues vasoactives. L’évolution était favorable après un séjour en réanimation de 7 jours. La radiographie thoracique faite à J+13 du postopératoire était satisfaisante [figure 3B]. L’étude anatomopathologique de la pièce avait conclu à une tumeur fibreuse solitaire de la plèvre [figures 6 et 7].   [caption id="attachment_2959" align="aligncenter" width="300"] Figure 5 - A. Tracée de l’incision. - B. Vue opératoire montrant une énorme tumeur pleurale maintenue par son pédicule (flèche) avant la section.[/caption]   [caption id="attachment_2960" align="aligncenter" width="300"] Figure 6. Aspect macroscopique de la pièce opératoire après fixation au formol 10 % montrant la tranche de section de la tumeur, de couleur beige, homogène.[/caption]   [caption id="attachment_2961" align="aligncenter" width="300"] Figure 7 - A (HES X 100). Prolifération fusocellulaire disposée en nappe diffuse. - B (HES X 400). Les cellules tumorales sont dotées de noyaux ovalaires, peu atypiques, avec un cytoplasme peu abondant éosinophile.[/caption]   2. DISCUSSION Les tumeurs fibreuses solitaires de la plèvre représentent une entité histologique rare, appartenant aux groupes des tumeurs pleurales d’origine sous-mésothéliale, d’expression clinique variable. Cette pathologie peut survenir à tout âge, mais prédomine aux alentours de la cinquantaine avec un sex ratio équilibré dans la majorité des études [2]. Sur le plan clinique, ces tumeurs sont souvent symptomatiques, s’exprimant par des douleurs thoraciques, dyspnée ou encore une toux. Dans certains cas, une hémoptysie ou une pneumonie obstructive peuvent être observées [3,4]. L’intensité de la symptomatologie est corrélée à la taille de la tumeur par l’effet de compression qu’elle exerce, non seulement sur l’appareil respiratoire mais aussi sur les cavités cardiaques droites, responsable d’une dyspnée de décubitus comme le cas de nos 2 patientes. Certaines études rapportent l’association de cette tumeur avec certains syndromes paranéoplasiques tels qu’un hippocratisme digital, une ostéoarthropathie hypertrophiante pneumique de Pierre-Marie et surtout des hypoglycémies à répétition dans environ 5 % des cas, probablement en rapport avec la sécrétion par la tumeur d’une substance insulin-like [2,5,6]. Ces syndromes paranéoplasiques régressent généralement après résection de la tumeur comme remarqué chez une de nos patientes qui, en dehors d’un hippocratisme digital, avait présenté une hypoglycémie à 0,42 g/l qui s’est nettement améliorée en postopératoire. La radiographie thoracique est une étape diagnostique, montrant le plus souvent une opacité arrondie, homogène et bien limitée, rarement associée à un épanchement pleural. Cependant, pour les tumeurs de grande taille, avec compression pulmonaire comme dans nos 2 observations, l’image radiographique se limite à une simple opacité de tout l’hémichamp pulmonaire concerné associée à une importante déviation médiastinale [4]. La tomodensitométrie thoracique viendra compléter le bilan en confirmant l’origine pleurale et la nature tissulaire de la tumeur, ainsi qu’en précisant sa localisation et ses rapports avec la plèvre et les organes adjacents [7]. La tumeur apparaît souvent bien limitée et homogène, mais un aspect hétérogène peut être observé lorsqu’il existe des remaniements nécroticohémorragiques ou une dégénérescence myxoïde. Des calcifications peuvent également être observées. Cette masse peut se rehausser après injection de produit de contraste et peut être mobile [8]. L’imagerie par résonance magnétique nucléaire permet de déterminer le caractère fibreux de la tumeur surtout en séquence T1, qui la différencie des autres structures médiastinopulmonaires, pariétales et diaphragmatiques [8,9]. À ce stade, une exploration chirurgicale à but diagnostique et thérapeutique peut être proposée d’emblée devant des arguments cliniques et radiologiques de bénignité de la lésion. Cependant, la certitude diagnostique ne peut être apportée que par l’examen anatomopathologique. Macroscopiquement, la tumeur est encapsulée, de taille variable, pouvant être sessile ou pédiculée comme le cas de nos patientes [10]. Les tumeurs sessiles sont associées à un risque de récidive plus élevé (63 % versus 14 %) [11]. Histologiquement il s’agit d’une prolifération plus ou moins dense de cellules fusiformes évoquant des fibroblastes, dispersées de façon plus ou moins ordonnée et soutenues par une trame de fibres de collagène d’abondance variable [2,5,7,10]. L’étude immunohistochimique des tumeurs fibreuses montre classiquement une expression diffuse de la vimentine et du CD34, une expression d’intensité variable du CD99 et de la protéine Bcl-2 et une négativité des marqueurs épithéliaux (cytokératine, EMA) et de la protéine S100 [12]. Le traitement de référence est la résection complète de la tumeur au niveau de sa base d’implantation, pouvant s’étendre parfois au parenchyme pulmonaire ou à la paroi en cas d’envahissement [2,13]. Ainsi, devant un patient qui présente une tumeur fibreuse solitaire géante et compressive, la prise en charge chirurgicale doit répondre à 2 impératifs. Le premier impératif est celui de la rapidité permettant d’extirper la tumeur sans compromettre l’état hémodynamique et respiratoire du patient. Le deuxième impératif concerne l’exérèse carcinologique de la tumeur tout en gardant à l’esprit que l’ablation incomplète de la tumeur représente un élément péjoratif pour l’évolution ultérieure notamment la survenue de récidive. Dans ce contexte, la thoracotomie antérieure plus ou moins associée à une sternotomie partielle constitue une excellente voie d’abord pour ces patients qui sont généralement grands dyspnéiques, symptôme lié au phénomène compressif. Cet abord antérieur est mieux supporté que la grande thoracotomie postérolatérale en présence de volumineuse tumeur pleurale compressive [14]. Il permet ainsi d’éviter l’écrasement médiastinopulmonaire par la masse tumorale pesante lors de l’installation en décubitus latéral. Dans le cas précis de nos observations, vu le degré de la dyspnée et la taille de la tumeur, nous avons opté pour un abord antérieur qui nous a permis de sécuriser ces patientes, tout en ayant un meilleur jour sur la tumeur dont l’exérèse complète a été réalisée. Vu l’origine pleurale de cette tumeur, l’ablation de celle-ci permet d’avoir une réexpansion pulmonaire immédiate. C’est à ce moment qu’il faut surtout demander à l’anesthésiste de réaliser des manœuvres de recrutement alvéolaires qui conditionnent les suites opératoires. Dans le cas précis de nos 2 observations, la réexpansion pulmonaire immédiate était satisfaisante. Dans les formes agressives de tumeurs fibreuses solitaires de la plèvre, la résection chirurgicale peut être suivie d’une chimiothérapie associée ou non à une radiothérapie, dont l’intérêt réel reste encore à démontrer. Du fait d’un profil évolutif difficile à évaluer, une surveillance radioclinique à distance est recommandée par certains auteurs [11, 15]. Un contrôle annuel comportant essentiellement un examen clinique complet et un bilan radiographique, notamment chez des patients à risque avec des tumeurs géantes comme le cas de nos 2 patients serait suffisant.   3. CONCLUSION Nous rapportons 2 observations à propos de la prise en charge des tumeurs fibreuses solitaires pleurales géantes. Les phénomènes compressifs qu’elles engendrent imposent une prise en charge chirurgicale sans délais. Le geste chirurgical, souvent à visée diagnostique et thérapeutique, doit être rapide tout en respectant le principe d’une chirurgie carcinologique. Dans ce cas, la thoracotomie controlatérale, associée ou non à une sternotomie partielle, est une excellente voie d’abord permettant une exérèse de la tumeur dont le caractère complet conditionne l’évolution ultérieure.   RÉFÉRENCES H. Benjelloun, N. Yassine, F.Z. Bourkadi, A. Bakhatar, A. Alaoui Yazidi, A. Bahlaoui. Tumeur fibreuse solitaire de la plèvre à potentiel agressif : à propos d’un cas. 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Kanthan R, Torkian B. Recurrent solitary fibrous tumor of the pleura with malignant transformation. Arch Pathol Lab Med 2004;128:460-2. Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared. Date de soumission : 21/04/2016. Acceptation : 24/06/2016.   
décembre 8, 2016
Chirurgie thoracique · Vol. 20 Septembre 2016

Pneumonectomie pour pathologie maligne avec ou sans drainage thoracique : quelles différences ?

Jérémy Tricard, Claire Eveno, Emmanuel Gardet, Antoine Guerlin, Arez Mameli, Marc Laskar, Elisabeth Cornu, François Bertin Service de chirurgie thoracique et cardiovasculaire et angiologie, CHU Limoges, France. Correspondance : jeremy.tricard@etu.unilim.fr   Résumé Objectif : présenter les suites opératoires précoces de notre série de pneumonectomies pour pathologie pulmonaire maligne réalisées sans drainage de la cavité thoracique. Méthodes : les pneumonectomies sans drainage réalisées pour étiologie maligne de 2001 à 2014 au centre hospitalier yniversitaire de Limoges étaient analysées rétrospectivement. La mortalité à J30 et J90, les complications hémodynamiques et pulmonaires à J30 et la durée d’hospitalisation étaient relevées. Résultats : soixante-treize patients étaient inclus. Le taux de mortalité à J30 était de 6,8 % (5/73) et 12,3 % à J90 (9/73). Nos taux de complications étaient les suivants : insuffisance cardiaque aigue: 1,4 % (1/73), œdème pulmonaire postpneumonectomie :1,4 % (1/73), fibrillation atriale : 9,6 % (7/73), syndrome de détresse respiratoire aiguë : 2,7 % (2/73), fibro-aspiration : 1,4 % (1/73), pneumopathie: 4,1 % (3/73), fistule bronchopleurale (FBP) : 2,7 % (2/73), empyème : 2,7 % (2/73). La durée médiane d’hospitalisation était de 8 jours. Quatre reprises chirurgicales à 30 jours ont été relevées (5,5 %, 4/73) (2 FBP, 1 empyème pleural, 1 hémorragie pariétale). Conclusion : notre expérience est en faveur de la sûreté et de l’efficacité de la technique sans drainage thoracique pour les pneumonectomies pour pathologie maligne.   Abstract Pneumonectomy for malignant disease with or without chest tube: what are the differences? Objective: To present the early postoperative events of our pneumonectomy series for malignant disease performed without chest tube. Methods: We conducted a retrospective study including all patients who had undergone pneumonectomy for malignant disease performed without chest tube between January 2001 and December 2014 in Limoges University Hospital Center. Mortality rate at D30 and D90, hemodynamic and respiratory complications at D30 and hospital length of stay were reported. Results: Seventy-three patients were included. Thirty-day mortality rate was 6.8% (5/73) and 12.3% at D90 (9/73). Hemodynamic and respiratory complication rates were reported as follows: acute heart failure: 1.4% (1/73); postpneumonectomy pulmonary edema:1.4% (1/73); atrial fibrillation: 9.6% (7/73); acute respiratory distress syndrome: 2.7% (2/73); bronchoscopy/retained secretions: 1.4% (1/73); pneumonia: 4.1% (3/73); bronchopleural fistula (BPF): 2.7% (2/73); empyema: 2.7% (2/73). The median of length of stay was 8 days. Four reoperations at D30 were reported (5.5%, 4/73) (2 for BPF, 1 for empyema, 1 for parietal hemorrhage). Conclusion: According to our experience, pneumonectomy for malignant disease performed without chest tube is a safe and efficient technique.   1. INTRODUCTION Après pneumonectomie, il existe une mobilité du médiastin qui retentit directement sur la ventilation du poumon restant et sur la stabilité hémodynamique. Des complications telles que le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), l’œdème aigu du poumon et l’arythmie cardiaque peuvent être directement liées à une déviation du médiastin [1-3]. La plupart des équipes réalisent un drainage de la cavité thoracique résiduelle au décours de l’intervention, essentiellement pour gérer la décompression de la cavité thoracique, assurer le drainage des fluides en cas de contamination éventuelle et pour la surveillance précoce du saignement postopératoire [2,3]. Néanmoins, cette pratique n’a jamais fait la preuve de sa supériorité en termes de morbidité et de mortalité postopératoires précoces par rapport aux techniques permettant le retour du médiastin en position médiane sans drainage de la cavité de pneumonectomie, et les habitudes chirurgicales restent très hétérogènes quant à la gestion de la cavité pleurale résiduelle. L’objectif principal de cette étude était de présenter les suites opératoires précoces de notre série de pneumonectomies pour pathologie pulmonaire maligne réalisées sans drainage de la cavité thoracique.   2. PATIENTS ET MÉTHODES   2.1. Recueil des données Nous avons réalisé une étude observationnelle rétrospective sur la cohorte de tous les patients qui ont eu une pneumonectomie programmée pour pathologie pulmonaire maligne sans drainage de la cavité thoracique entre août 2001 et décembre 2014 dans le service de chirurgie thoracique et cardiovasculaire du CHU Dupuytren de Limoges. Les pneumonectomies pour étiologie bénigne et en urgence n’ont pas été incluses. Soixante-treize patients ont eu une pneumonectomie pour étiologie maligne sans drainage de la cavité pleurale réalisée par 4 chirurgiens. Durant cette même période, une seule pneumonectomie pour cancer a été réalisée avec drainage postopératoire, pratiquée par un 5e chirurgien, non familiarisé avec la technique sans drainage. Le recueil des données a été réalisé par l’intermédiaire d’un travail de thèse portant sur les 26 premiers patients, à partir du logiciel d’informatisation des dossiers médicaux utilisé au CHU de Limoges (CrossWay Hôpital®, McKesson), par l’appel téléphonique de médecins traitants et de pneumologues et par la consultation des dossiers médicaux papier des patients.   2.2. Technique opératoire Les interventions ont été réalisées par thoracotomie postérolatérale dans le 5e espace intercostal épargnant le muscle dentelé antérieur. Les sutures vasculaires et bronchiques étaient préférentiellement réalisées avec une pince d’agrafage automatique et une couverture du moignon bronchique était réalisée par un lambeau de graisse thymique ou péricardique. Un examen extemporané de la pièce opératoire était réalisé pour s’assurer que la section bronchique est en marge saine. Un curage ganglionnaire systématique était réalisé, tout en prenant soin de dévasculariser le moins possible le moignon bronchique. Dans le but d’équilibrer les pressions de part et d’autre du médiastin, une aspiration d’un litre d’air après fermeture de la thoracotomie, via un trocart, était effectuée à l’aide d’une seringue et d’un robinet à 3 voies. Aucun drainage de la cavité résiduelle n’était réalisé de principe.   2.3. Management périopératoire Les patients bénéficiaient d’un programme de kinésithérapie respiratoire en préopératoire. Une analgésie péridurale était réalisée de manière systématique sauf échec ou contre-indication. Les patients étaient extubés en salle de surveillance postinterventionnelle si possible. Le remplissage vasculaire était réduit au minimum et les transfusions sanguines étaient limitées au patient présentant un taux d’hémoglobine inférieur à 9,0 g/dL durant la période périopératoire. Les patients étaient transférés en unité de soins intensifs pendant au moins 24 heures puis en secteur conventionnel de chirurgie thoracique. Une kinésithérapie respiratoire était entreprise en postopératoire. Certains patients étaient transférés dans le service de pneumologie avant leur retour à domicile ou leur départ en centre de rééducation respiration.   2.4. Caractéristiques des patients Les caractéristiques démographiques et variables cliniques recueillies étaient le sexe, l’âge, le côté, la prévalence du tabagisme, sa quantification en année-paquets et le caractère sevré (aucune consommation dans les 8 semaines précédant l’intervention), le diabète de type 2, l’indice de masse corporel (IMC) et la notion d’obésité (définie comme un IMC supérieur ou égal à 30 kg/m²), l’insuffisance coronarienne (définie par antécédent de syndrome coronaire aigu [SCA] ou la présence ou d’angor d’effort), l’insuffisance cardiaque (définie par une fraction d’éjection du ventricule gauche [FEVG] ≤ 35 %), le score ASA (American Society of Anesthesiologists), le volume maximal expiré en une seconde (VEMS), le traitement néo-adjuvant, le type de résection (pneumonectomie ou lobectomie de totalisation, résection pulmonaire étendue ou non aux éléments du médiastin ou à la paroi thoracique), l’étiologie de la maladie (cancer primitif, métastase pulmonaire).   2.5. Suites opératoires La mortalité à 30 jours postopératoires ou plus tard si le décès survient dans la même hospitalisation que la chirurgie, la mortalité à 3 mois et la durée d’hospitalisation au CHU de Limoges étaient relevées. L’analyse des suites opératoires a pris en compte rétrospectivement  les complications hémodynamiques, respiratoires et infectieuses potentiellement en rapport avec l’absence d’un drainage thoracique en postopératoire, et survenant dans les 30 premiers jours postopératoires : insuffisance cardiaque aiguë (ICA), œdème pulmonaire postpneumonectomie (OPPP) de reperfusion (œdème pulmonaire sans signe de pneumonie, d’insuffisance cardiaque et d’embolie pulmonaire aux examens diagnostiques), fibrillation atriale (FA), échec d’extubation dans les 24 heures après l’intervention, syndrome de détresse respiratoire aiguë imposant une réintubation (défini comme une hypoxémie artérielle réfractaire à l’oxygénothérapie avec un rapport PaO2/fraction d’air inspiré ≤ 200, associé à une infiltration pulmonaire diffuse à la radiographie thoracique sans signe d’ICA ou SCA à l’électrocardiogramme, au dosage des enzymes cardiaques et à l’échographie cardiaque), mise sous ventilation non invasive (VNI), rétention de sécrétion et/ou atélectasie nécessitant une aspiration par fibroscopie, pneumopathie (définie comme un sepsis associé à une opacité pulmonaire évocatrice à la radiographie thoracique), empyème (défini comme une infection de la cavité pleurale résiduelle sans fistule bronchopleurale [FBP] documenté à la fibroscopie) et FBP. Les causes de reprises chirurgicales et de drainage thoracique à 30 jours et de décès ont également été relevées.   3. RÉSULTATS Les données pré et peropératoires sont résumées dans le tableau 1. Les éléments du suivi à 30 jours postopératoires sont présentés dans le tableau 2. Aucun patient n’est décédé au bloc opératoire ou en salle de réveil. Les 73 patients (100 %) de notre série ont été extubés avec succès à J0 sans aucune réintubation précoce en urgence. Les causes de reprises chirurgicales, de drainage thoracique et de décès de notre série survenus dans les 30 jours postopératoires sont présentées dans le tableau 3. Aucune ponction de la cavité pleurale résiduelle secondaire à une déviation médiastinale ou pour vidange de la cavité n’a été réalisée.   Tableau 1 : Caractéristiques pré et peropératoires des patients. n = 73 Âge médian 63 Sexe masculin 82,2 % (60) Coté droit 32,9 % (24) Tabagisme (PA) Tabagisme actif 35 41,1 % (30) Diabète de type 2 13,7 % (10) IMC médian Obésité 24,4 5,5 % (4) Traitement néo-adjuvant – Chimiothérapie – Radiothérapie 19,2 % (14) 19,2 % (14) 6,8 % (5) Coronariens/IC 9,6 % (7) VEMS % (médiane) 83 % ASA 1/2 ASA 3/4 68,5 % (50) 31,5 % (23) Cancer primitif Métastase 97,3 % (71)1 2,7 % (2) Résection étendue 13,7 % (10)2 Totalisation 1,4% (1)3 PA : paquets-année ; IMC : indice de masse corporelle ; IC : insuffisance cardiaque ; VEMS : volume maximal expiré en une seconde ; ASA : American Society of Anesthesiologists.  1 Quarante-deux patients présentaient un carcinome épidermoïde (57,5 %), 26 un adénocarcinome (35,6 %), 2 un carcinome mixte (2,7 %), 1 un adénocarcinome à croissance lépidique (1,4 %) et 2 une métastase de sarcome (2,8 %). 2 Deux patients ont bénéficié d’une résection-anastomose de la veine cave supérieure, 7 d’une résection du péricarde avec patch péricardique dont 1 avec une biopsie cardiaque et 1 avec une résection de l’atrium gauche et 1 patient a bénéficié d’une résection extrapleurale. 3 Une patiente a eu une pneumonectomie de totalisation 10 mois après lobectomie inférieure droite.   Tableau 2 : Suivi et complications postopératoires à 30 jours. n = 73 Mortalité à 30 jours 6,8 % (5) Mortalité à 90 jours 12,3 % (9) Hospitalisation moyenne/médiane (jours) 11,8/8 Insuffisance cardiaque aiguë 1,4 % (1) OPPP 1,4 % (1) FA 9,6 % (7) SDRA 2,7 % (2)1 VNI 0 Fibroaspiration/atélectasies 1,4 % (1)2 Pneumopathie 4,1 % (3) Empyème 2,7 % (2) FBP 2,7 % (2) OPPP : œdème pulmonaire postpneumonectomie ; FA : fibrillation atriale ; SDRA : syndrome de détresse respiratoire aiguë ; VNI : ventilation non invasive ; FBP : fistule bronchopleurale. 1 Un patient a présenté un OPPP qui a évolué en SDRA, il avait un VEMS préopératoire de 1,75 L. Un patient a présenté un SDRA secondaire à une pneumopathie, dans un contexte de delirium tremens. Les 2 patients étaient décédés à 30 jours postopératoires. 2 Un patient a bénéficié d’une fibro-aspiration dans un contexte de pneumopathie.   Tableau 3 : Reprises chirurgicales, drainage thoracique et décès à 30 jours postopératoires. Reprise chirurgicale/drainage thoracique1 4 (5,5 %) – FBP2 – Empyème pleural3 – Hémorragie pariétale4 – Recoupe bronchique non saine 2 (2,7 %) 1 (1,4 %) 1 (1,4 %) 1 (1,4 %) Décès à J30 5 (6,8 %) – Cholécystite aiguë5 – SDRA – Insuffisance cardiaque aiguë – FBP 1 (1,4 %) 2 (2,9 %) 1 (1,4%) 1 (1,4 %) FBP : fistule bronchopleurale ; SDRA : syndrome de détresse respiratoire aiguë.  1 Quatre patients ont eu une reprise chirurgicale dans les 30 jours postopératoires, un patient présentait une recoupe bronchique non saine associée à une FBP. 2 Un patient avait reçu une radiothérapie et une chimiothérapie néo-adjuvantes. Il a été repris au bloc opératoire à J18 et J21 pour fermeture de la fistule et était vivant à J30. Un autre a été repris au bloc opératoire devant une FBP associée à une recoupe bronchique non saine pour résection trachéale par sternotomie. Il était décédé à J30. 3 Empyème sans FBP documentée drainé chirurgicalement à J18. 4 Saignement actif intrapariétal avec reprise au bloc opératoire à J2. 5 Cholécystectomie refusée par le patient, décès par choc septique à J5.   4. DISCUSSION Les patients de notre étude ont bénéficié d’une pneumonectomie sans drainage avec aspiration d’un litre d’air après fermeture de la thoracotomie. Le but de cette aspiration est d’équilibrer les pressions de part et d’autre du médiastin et de le recentrer. Une déviation de médiastin vers le côté opéré expose au risque d’arythmie, de luxation cardiaque par rotation autour de l’axe vertical représenté par les veines caves avec l’instabilité hémodynamique qui s’ensuit, à l’œdème pulmonaire et à l’hyperexpansion du poumon restant [1]. L’inverse entraîne une mauvaise fonction du poumon résiduel par compression et des troubles hémodynamiques. Pour certains, il est nécessaire de vidanger le coté opéré soit par drainage pleural, soit par ponction itérative si aucun drainage n’est réalisé, car la résorption de l’air entré durant l’intervention peut parfois être beaucoup plus lente que la sécrétion de liquide lympho-hématique de comblement, entraînant une compression du cœur et du poumon restant. Pour notre part, nous ne réalisons pas de ponctions itératives postopératoires après l’évacuation peropératoire de 1000 cc d’air après la fermeture de la thoracotomie, et nous surveillons de façon rapprochée par radiographie l’évolution du niveau de la cavité. Beaucoup d’équipes réalisent un drainage déclive, en siphonnage, l’extrémité au sol pouvant plonger dans une solution antiseptique dans un bocal stérile, comme l’équipe du CHU de Bordeaux [4]. Dans le but d’éviter le balancement médiastinal induit par le drainage, certaines équipes clampent le drain entre les périodes d’évacuation, comme l’équipe du CHU de Rennes. Ce drain est enlevé précocement, de J0 à J3 postopératoire, avec une grande hétérogénéité dans la gestion du drainage. Dans la littérature récente, on retrouve le suivi à 30 jours postopératoires de séries de pneumonectomies pour pathologie maligne mono ou bicentriques où l’utilisation d’un drainage thoracique est mentionnée. Parmi elles, Bernard et al. rapportent en 2001 une série de 639 pneumonectomies de la Mayo Clinic de Rochester (Minnesota, États-Unis). Un drainage thoracique a été réalisé, avec ablation du drain à J0 dans près de 80 % des cas, à J1 dans près de 20 % des cas et exceptionnellement à J2 ou J3 [5]. Mansour et al. rapportent en 2009 une série de 323 pneumonectomies réalisées au CHU de Strasbourg (France). Un drainage est systématiquement réalisé pendant 48 heures en postopératoire [6]. Licker et al. rapportent en 2002 une série bicentrique de 193 pneumonectomies réalisées à Genève (Suisse), pour laquelle le recours à un drainage thoracique est mentionné [7]. Enfin, Gudbjartsson et al. rapportent en 2008 une série de 130 pneumonectomies réalisées à Lund, Suède. Un drain thoracique est mis en place, en siphonnage ou avec une aspiration de -5 cmH2O, et retiré dans les 12 heures en l’absence de saignement important [8]. Les arguments retrouvés en faveur du drainage sont [2,3] : gérer la décompression de la cavité thoracique après arrêt de la ventilation assistée sur le poumon controlatéral, le drainage éventuel des fluides en cas de contamination (contexte de sepsis pulmonaire chronique notamment), la surveillance précoce du saignement postopératoire, la prévention du rarissime pneumothorax compressif par déhiscence de la suture bronchique ou encore la limitation de l’emphysème sous-cutané à la verticalisation du patient. Les arguments retrouvés contre le drainage sont [9-11] : le risque infectieux lié à la présence d’un corps étranger à travers la paroi, le risque de déviation du médiastin et de fistule bronchopleurale en cas de mauvaise gestion de drainage (mise en aspiration accidentelle, système non adapté), la limitation de mobilité des patients et la gêne de la déambulation, la baisse d’efficacité de la toux et du drainage bronchique par la fuite de l’hyperpression dans le drain, l’inconfort et la douleur dus au drain. De plus, l’absence de matériel de drainage facilite la prise en charge des patients pour la réalisation en urgence d’un scanner ou d’une coronarographie en cas de suspicion d’accident vasculaire cérébral, d’embolie pulmonaire ou de SCA postopératoires notamment. Notre étude rapporte des pneumonectomies pour carcinome bronchique non à petites cellules (CBNPC) (97,1 %) et métastase de sarcome (2,9 %), les pneumonectomies bénignes pour étiologies infectieuse ou bronchéctasies potentiellement infectées n’ont pas été relevées. Seulement 1/3 de nos patients ont eu une pneumonectomie droite et moins de 15 % de ces pneumonectomies ont consisté en une pneumonectomie élargie aux éléments du médiastin. En effet, une seule résection extrapleurale et pneumonectomie de totalisation a été réalisée et aucune résection de paroi thoracique. Ainsi, nous présentons une série de pneumonectomie aux risques hémorragiques et infectieux « modérés » où un drainage de la cavité de pneumonectomie n’était alors pas motivé par le drainage d’un liquide pleural contaminé où le contrôle du saignement postopératoire. Un drainage de la cavité résiduelle demeure à notre sens potentiellement recommandé en cas de risque hémorragique important (pneumonectomie de totalisation, dissection extrapleurale, pleuropneumonectomie, résection étendue à la paroi thoracique ou aux structures médiastinales) pour la surveillance précoce du saignement postopératoire et en cas de pathologie pulmonaire infectieuse (abcès pulmonaire, tuberculose, bronchectasies avec sepsis pulmonaire chronique, empyème). Nous avons choisi de relever uniquement les complications dont la survenue pourrait être en lien avec la présence ou l’absence d’un drainage thoracique. La déviation du médiastin peut entraîner un retentissement hémodynamique par compression de cavités cardiaques et des vaisseaux pulmonaires  à l’origine d’insuffisances cardiaques aiguës, de troubles du rythme, et pouvant favoriser un OPPP de reperfusion [1]. De plus, la compression du poumon restant peut altérer la mécanique ventilatoire responsable d’insuffisance respiratoire aiguë et de rétention des sécrétions bronchiques avec risques d’atélectasies et de pneumopathie. Enfin, les FBP ont été relevées car potentiellement influencées par la pression exercée sur le moignon bronchique ainsi que les empyèmes pleuraux, car favorisés par la présence de sécrétions postopératoires potentiellement contaminées dans un espace clos. La présence ou l’absence d’un drainage thoracique n’ayant potentiellement d’influence que durant la période postopératoire précoce, seules les complications survenant dans les 30 premiers jours postopératoires ont été relevées. Le taux de mortalité à 30 jours de notre série (6,8 %) était similaire à celui rapporté dans les séries de Bernard et al. (7,0 %) [5], Mansour et al. (5,6 %) [6] et Licker et al. (9,3 %) [7]. En revanche, Gudbjartsson et al. rapportaient un taux de mortalité inférieur à 1 %, en partie seulement expliqué par une proportion faible de patients ASA 3 et 4 (mois de 25 %) [8]. Si on se réfère à la mortalité intrahospitalière postpneumonectomie réalisée pour pathologie maligne et présentée par les volumineuses bases de données nationales sans que la réalisation ou non d’un drainage ne soit connue, on retrouve dans le registre français Epithor (French Society of Thoracic and Cardiovascular Surgery general thoracic surgery database [12]), le registre britannique (United Kingdom’s Second National Thoracic Surgery Activity & Outcomes Report [13]) et les registres américains (Society of Thoracic Surgeons (STS) General Thoracic Surgery Database [14] et American College of Surgeons [15]), des taux de mortalité similaires à celui de notre série, de 5,6 % à 8,5 %. Dans notre série, un patient est décédé d’un choc septique sur cholécystite, le patient ayant refusé l’intervention en urgence. Un patient est décédé à J10 d’une insuffisance cardiaque aiguë, après sa sortie de l’hôpital, qui ne semble donc pas en relation avec une défaillance circulatoire secondaire à une compression médiastinale. Deux patients ont présenté un SDRA fatal, le premier possédait un VEMS préopératoire de 1,75 L et a développé un OPPP à J9 et le second a présenté une pneumopathie sur le poumon controlatéral dans un contexte de delirium tremens. Un patient est décédé des suites opératoires d’une reprise chirurgicale à J22 par sternotomie médiane pour FBP et recoupe bronchique non saine à l’analyse anthomopathologique définitive. Ainsi, aucun décès à 30 jours ne semble lié directement à l’absence de drainage thoracique. Les patients de notre série ne présentaient pas un taux de complications hémodynamiques, rythmiques, respiratoires et infectieuses plus important que les patients des 4 séries rapportées de la littérature avec drainage thoracique (tableau 4). Deux patients ont présenté une FBP dans les 30 jours postopéraoires soit 2,9 %. C’est moins que les 4 autres séries rapportées (jusqu’à 6,2 % pour Gudbjartsson et al. [8] mais avec, dans notre série, une plus faible proportion de pneumonectmoie droite [33 % versus 49 %], la couverture quasi-systématique du moignon bronchique [93 % contre 56 %] et une proportion plus faible de patients ayant reçu un traitement néoadjuvant [19 % contre 27 %]). La proportion de patients ayant développé un empyème de la cavité thoracique résiduelle sans FBP authentifiée est comparable entre les séries (de 1,7 % à 2,7 %). L’absence de drain ne semble donc pas augmenter le risque d’empyème potentiellement secondaire à l’absence de drainage des fluides postopératoires.   Tableau 4 : Suivi et complications postopératoires de notre série et de 4 séries de la littérature de pneumonectomies réalisées avec drainage thoracique. Notre série n = 73 Bernard et al. [5] n = 639 Mansour et al. [6] n = 323 Licker et al. [7] n = 193 Gudbjartsson et al. [8] n = 130 Mortalité à 30 jours 6,8 % 7,0 % 5,6 % 9,3 % 0,7 % Hospitalisation moyenne (jours) 11,8 X X 13,5 11,5 Hospitalisation médiane (jours) 8 7 X X 9 Insuffisance cardiaque aigue 1,4 % 3,0 % X 0,5 % 6,2 % OPPP 1,4 % 1,1 % X 2,1 % X FA 9,6 % 21,4 % 9,9 % 24,9 % 11,5 % SDRA 2,7 % X 3,1 % 2,1 % 2,3 % VNI 0 % X X X X Fibro-aspiration/atélectasies 1,4 % 13,5 % X 2,6 % X Pneumopathie 4,1 % 10,2 % X 7,8 % 3,8 % Empyème 2,7 % 1,7 % 2,2 % X 2,3 % FBP 2,7 % 3,9 % 4,3 % 4,7 % 6,2 % X : données non rapportées ou dont la définition n’était pas similaire à celle utilisée pour notre étude. OPPP : œdème pulmonaire postpneumonectomie ; FA : fibrillation atriale ; SDRA : syndrome de détresse respiratoire aiguë ; VNI : ventilation non invasive ; FBP : fistule bronchopleurale.   Kim et al. ont rapporté une série de 164 pneumonectomies pour cancer pulmonaire primitif réalisées sans drainage de la cavité thoracique [16]. Une technique similaire à la nôtre était rapportée : une fois que la paroi thoracique était refermée, l’air de la cavité résiduelle était évacué progressivement jusqu’à obtenir une sensation de résistance. Environ 1 L était aspiré pour permettre le retour du médiastin en position médiane. Cette série rapportait un taux d’OPPP de 1,8 %, de FBP de 4,3 % et d’empyème sans FBP de 1,8 %, soit des résultats similaires à ceux de notre série. En revanche, le taux de mortalité, de SDRA et de pneumopathie étaient plus élevés : 12,8 % contre 6,8 %, 10,4 % contre 2,7 % et 9,8 % contre 4,1 % respectivement [16]. Ces résultats s’expliquent par le fait que les patients avaient tous bénéficié d’un scanner thoracique injecté préopératoire pour évaluer la perfusion pulmonaire, indiqué par des résultats « limites » aux épreuves fonctionnelles respiratoires ou aux gaz du sang. Ainsi, cette série concernait des patients à haut risque de développer des complications respiratoires et de décès postopératoire. Les patients opérés dans leur institution n’ayant pas bénéficié d’un scanner thoracique injecté préopératoire, et donc à plus faible risque chirurgical, présentait un taux de mortalité de 6,5 % et de SDRA de 5,7 % [16]. Quatre patients de notre étude ont été repris au bloc opératoire dans les 30 jours postopératoires dont un repris pour hémostase au 2e jour postopératoire pour hématome de paroi lié à un saignement actif au niveau d’une artère pariétale, sans que les niveaux comparés sur les deux premières radiographies thoraciques (J0) aient pu faire porter l’indication de reprise. Aucune reprise chirurgicale ou drainage thoracique ne semble lié directement à l’absence de drainage postopératoire. Enfin, la durée d’hospitalisation est similaire entre notre série (médiane de 8 jours) et celles rapportées de la littérature [5-8].   4.1. Limites de notre étude Notre étude a plusieurs limites : outre le caractère rétrospectif et la faible taille de notre population, les résultats de notre étude observationnelle sont mis en parallèle avec ceux de 4 séries de pneumonectomies pour pathologie maligne où un drainage thoracique a été réalisé, sans pouvoir réaliser d’analyse statistique comparative, du fait de l’hétérogénéité des populations, des habitudes chirurgicales et anesthésiques et du fait de périodes différentes de réalisation des interventions. De plus, certains facteurs de mortalité et morbidité postpneumonectomie tels que la dénutrition n’ont pas été relevés [17].   5. CONCLUSION Notre expérience montre que dans les pneumonectomies pour pathologie pulmonaire maligne, on peut s’abstenir de drainer la cavité si l’on évacue 1000 cc d’air après la fermeture pour éviter les problèmes dus aux déséquilibres de pression, et si l’on surveille de façon rapprochée par radiographie l’évolution du niveau de la cavité. Une étude prospective comparative serait néanmoins nécessaire pour en apporter la preuve.   RÉFÉRENCES Deslauriers J, Gregoire J. Techniques of pneumonectomy. Drainage after pneumonectomy. Chest Surg Clin N Am 1999 May; 9(2):437-48. Weissberg D. Post-pneumonectomy Chest Tubes. Tex Heart Inst J 2002;29(2):155. Shah T, Sharma R, Mehta H et al. Another indication for chest tube after pneumonectomy. Tex Heart Inst J 2002;29(3):232. Jougon J, Dubois G, Velly JF. Techniques de pneumonectomie EMC (Elsevier SAS, Paris), Techniques chirurgicale-Thorax, 42-300, 2005. Bernard A, Deschamps C, Allen MS et al. Pneumonectomy for malignant disease: factors affecting early morbidity and mortality. J Thorac Cardiovasc Surg 2001;121:1076–82. Mansour Z, Kochetkova EA, Santelmo N et al. Risk factors for early mortality and morbidity after pneumonectomy:a reappraisal. Ann Thorac Surg 2009;88:1737– 44. Licker M, Spiliopoulos A, Frey J et al. 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septembre 15, 2016