In memoriam · Vol. 20 Septembre 2016

Frederick Griffith Pearson, légende en chirurgie thoracique (1926-2016)

Auteur : Jean Deslauriers, CM, MD, FRCS (C) Professeur Émérite, Université Laval, Québec, Que, Canada Correspondance : jean.deslauriers@chg.ulaval.ca     [caption id="attachment_2630" align="alignleft" width="248"] Frederick Griffith “Griff” Pearson. Photographie prise en 2011.[/caption] À la suite d’une courte maladie, le docteur Frederick Griffith (Griff) Pearson est décédé, entouré de ses proches, le 10 août 2016 à l’âge de 90 ans. Il était considéré comme un chirurgien innovateur, voire même audacieux, et certainement l’un des artisans de l’essor spectaculaire qu’a connu la chirurgie thoracique après la fin de la deuxième guerre mondiale.   Natif de Toronto en 1926, il était l’ainé d’une famille de trois garçons. En 1949, il complétait ses études médicales à l’Université de Toronto avec obtention de la “Médaille d’Argent” de sa promotion et, par la suite, son internat à l’Hôpital General de Toronto (Toronto General Hospital (TGH)). En 1950, il faisait une année de recherche fondamentale avec Wilfred Bigelow sur l’utilisation de l’hypothermie en chirurgie cardiaque avant de se lancer en pratique générale pour une durée de trois années à Wawa, une petite ville minière de 2,400 habitants du Nord de l’Ontario. Selon ses propres dires, c’est à cet endroit qu’il a appris à devenir un “Bon Docteur”. En 1955, il débutait sa résidence en chirurgie générale à l’Université de Toronto et développait un intérêt marqué pour la chirurgie thoracique. En 1959, il était nommé récipiendaire de la prestigieuse bourse McLaughlin (McLaughlin Travelling Fellowship) et s’embarquait pour l’Europe pour étudier avec les grands maîtres de l’époque, notamment avec le regretté Ronald Belsey en Grande Bretagne (hôpital Frenchay, Bristol). Au cours de sa carrière, Griff a toujours insisté sur le fait qu’il avait été très influencé par l’approche systématique et le souci du détail préconisés par Ronald Belsey. C’est également au cours de cette période avec Belsey qu’il est devenu un expert dans le traitement chirurgical du reflux gastro-œsophagien. Suite à son séjour en Grande Bretagne, il a voyagé pendant quelques mois en Scandinavie ou il eut l’opportunité de rencontrer Eric Carlens (Stockholm), qui avait été le premier à décrire la technique de médiastinoscopie utilisée à l’époque pour documenter l’importance de l’atteinte silicotique au niveau ganglionnaire. Voici ce que Griff raconte au sujet de son apprentissage de la médiastinoscopie avec Carlens : « He had me stick my middle finger through the incision into the mediastinum, and I was sold on the ingenuity of this approach for simultaneous bilateral exploration of the nodes in the superior mediastinum. »   [caption id="attachment_2632" align="alignright" width="300"] Schémas illustrant les ganglions accessibles à une biopsie en cours de médiastinoscopie. De Pearson FG, Canad J Surg 1963; 6 : 423-9.[/caption] À son retour à Toronto au début des années soixante, il a été le premier à préconiser l’utilisation routinière de la médiastinoscopie pour compléter l’évaluation préopératoire des cancers du poumon présumés opérables.   En 1967, il mettait sur pied la première division autonome de chirurgie thoracique (séparée de la chirurgie cardiaque et chirurgie générale) au Canada et probablement au monde. Ce modèle a éventuellement motivé le Collège Royal des Médecins et Chirurgiens du Canada à reconnaitre la chirurgie thoracique comme spécialité primaire et a été dupliqué dans plusieurs pays, notamment en Europe et en Asie. Au cours des années, Il a développé une “École de Pensée” qu’il a transmis aux centaines de gradués de son programme de formation, gradués subséquemment devenus des leaders de la spécialité dans tous les continents. Voici d’ailleurs quelques notes reçues par l’auteur de cet article suite au décès de Griff Pearson : « I owe it totally to him that I am now a thoracic surgeon. Without the time spent with Griff, I could not have introduced various techniques and ideas in Japan. More than that, what I have learned from Griff was modesty, friendliness, and kindness to young fellows. Dr Pearson was my mentor. » (Noriaki Tsubota, Nishinomiya, Japan, Fellow in Toronto, 1974) « Dr Pearson is the only one great academic surgeon that I have met in 45 years. He enjoyed watching the progress of his pupils and helped them become better than he was. This is the great recipe of the Toronto Thoracic Surgery Group which Griff created in the early days. » (Sandro Mattioli, Bologna, Italy, Fellow in Toronto,1988-89) « I have just learned of Dr. Pearson passing away. It is very sad but the memory of having met him, talked to him, listened to him, and read him will be with me for all of my life. I feel privileged to have had the opportunity to meet him. » (Ramon Rami-Porta, Barcelona, Spain) « Of course, there were other important thoracic surgeons but none had Griff’s combination of humility, skills, scholarship, enthusiasm, and charisma. » (Alexander Patterson, Saint-Louis, USA) Il a été Président de l’American Association of Thoracic Surgery en 1989-90 et, au cours de sa carrière, nommé ‘Membre Honorifique” de plusieurs sociétés internationales de chirurgie thoracique. Il a été l’inspiration derrière la publication des volumes de spécialité intitulés “Pearson’s Thoracic Surgery” et “Peason’s Esophageal Surgery”. En 2002, il recevait la médaille de l’Ordre du Canada, la plus haute distinction civile décernée au Canada.   [caption id="attachment_2633" align="alignleft" width="300"] Procédure de Pearson pour sténose sous-glottique permettant de préserver l’intégrité des nerfs récurrents laryngés (Courtoisie de FG Pearson).[/caption] Il était un chirurgien-chercheur passionné qui savait transmettre cette passion à ses stagiaires. Alors qu’il était lui-même résident en chirurgie, il a aidé à conceptualiser et mettre en marche la première unité de soins intensifs respiratoires au monde (Respiratory Failure Unit, Toronto, 1957). Il a été le premier à identifier la pathogénie des sténoses trachéales post-intubation à savoir qu’elles étaient secondaires à l’utilisation de tubes endotrachéaux ou de trachéostomie avec ballonnets à haute pression. Il a été une figure de proue incontestée dans le domaine de la chirurgie des voies aériennes supérieures et a d’ailleurs développé une procédure qui porte son nom (procédure de Pearson) pour résection des sténoses sous-glottique tout en évitant de traumatiser les nerfs récurrents laryngés. Son expertise dans la chirurgie des voies aériennes a été très importante dans l’élaboration des techniques de transplantation pulmonaire à Toronto. Sur le plan des maladies bénignes de l’œsophage, il a conceptualisé une procédure qui porte aussi son nom (gastroplastie de Collis-Belsey, Procédure de Pearson), technique impliquant un allongement de l’œsophage distal pour malades porteurs d’un œsophage court secondairement au reflux.   [caption id="attachment_2634" align="alignleft" width="189"] Procédure de Pearson pour œsophage court (Courtoisie de FG Pearson).[/caption] Il était un enseignant hors pair non seulement avec des idées claires mais aussi avec une habileté incomparable pour transmettre ces idées de façon claire. Il possédait un sens de curiosité hors du commun et était toujours ouvert à l’apprentissage de nouveaux concepts ou technologies. Ces aspects de sa personnalité étaient d’ailleurs infectieux auprès des résidents. Il était généreux de son temps et passait un nombre incalculable d’heures avec les stagiaires venus du monde entier pour assimiler son école de pensée. Il faisait un effort pour que chacun d’entre eux se sente important et demeurait très loyal envers eux, une fois leurs stages complétés. Il en a d’ailleurs aidé plus d’un, dont l’auteur de ces lignes, à développer leur pratique clinique et académique une fois qu’ils furent retournés dans leur pays d’origine. Il traitait ses malades avec grande compassion et ses collègues avec respect. Il aimait la nature et était un grand amateur de pêche. Il aura été un grand chirurgien thoracique, enseignant incroyable et motivateur sans pareil. Il a eu une influence prédominante sur la vie de plusieurs de ses stagiaires non seulement sur le plan professionnel mais aussi sur le plan personnel. Il a redéfini la spécialité et plusieurs le considèrent, à juste titre, comme le fondateur de la chirurgie thoracique contemporaine. Son talent, sa curiosité, son esprit innovateur, son charisme et son dynamisme auront été une inspiration pour tous. En un mot, il aura été une vraie “Légende” dans le domaine de la chirurgie thoracique.  
septembre 15, 2016