Place de la chimiothérapie et des thérapeutiques ciblées periopératoires dans la métastasectomie pulmonaire du cancer colorectal
Stéphane Renaud1,2*, Mickaël Schaeffer3, Pierre-Emmanuel Falcoz1, Benoît Romain2,4, Anne-Claire Voegeli5, Michèle Legrain5, Anne Olland1, Nicola Santelmo1, Serge Rohr4, Cécile Brigand4, Dominique Guenot2, Gilbert Massard1
Service de chirurgie thoracique, hôpitaux universitaires de Strasbourg, Strasbourg, France.
Unité de recherche EA 3430 : Progression tumorale et micro-environnement. Approches translationnelles et épidémiologiques, université de Strasbourg, Strasbourg, France.
Département de biostatistiques, hôpitaux universitaires de Strasbourg, Strasbourg, France.
Service de chirurgie générale et digestive, hôpitaux universitaires de Strasbourg, Strasbourg, France.
Service de biologie moléculaire, hôpitaux universitaires de Strasbourg, Strasbourg, France.
Correspondance : sterenaud0@gmail.com
Résumé
Introduction : la place de la chimiothérapie périopératoire (CPO) et des thérapies ciblées (TC) dans la métastasectomie pulmonaire (MP) du cancer colorectal (CRC) est débattue. Nous avons évalué si la CPO et les TC étaient associées à des suites différentes.
Matériel et méthodes : nous avons revu rétrospectivement les données de 223 patiens ayant bénéficié d’une MP pour CRC entre 1998 et 2015.
Résultats : un total de 167 patients (75 %) avait bénéficié de CPO. Les mutations de KRAS (mKRAS) étaient observées chez 122 patients (55 %), BRAF (mBRAF) chez 26 (12 %). La CPO n’influençait pas significativement les survies sans récidive locorégionale (SSRLR) (p = 0,21) et globale (SG) (p = 0,29). Chez mKRAS, le bévacizumab périopératoire était associé à une amélioration significative de la SSRLR (70 vs 24 mois, p = 0,001) et de la SG (101 vs 55 mois, p = 0,004). Ce bénéfice ne restait significatif qu’en cas de mutation de l’exon 12 du codon 2 de KRAS (SG médiane : 101 vs 60 mois, p <0,0001, LRRFS médiane : 76 vs 44 mois, p < 0,0001). mBRAF n’était pas associé à des suites différentes.
Conclusion : le bévacizumab périopératoire semble être bénéfique en cas de mutation du codon 12 de l’exon 2 de KRAS.
Abstract
Place of perioperative chemotherapy and targeted therapies in lung metastasectomy of colorectal cancer
Introduction : Place of peri-operative chemotherapy (POC) and targeted therapies (TT) in lung metastasectomy of colorectal cancer (CRC) is still subject of debate. We aimed to evaluate whether POC and TT were associated with different outcomes according to mutational status.
Material and Methods : We reviewed data from 223 patients who underwent pulmonary metastasectomy for CRC from 1998 to 2015, and for whom KRAS and BRAF mutational status was known.
Results : A total of 167 patients (75%) underwent POC. KRAS mutations (mKRAS) were observed in 122 patients (55%), whereas BRAF (mBRAF) were observed in 26 (12%). On the whole cohort, POC did not significantly influence either loco-regional recurrence-free survival (LRRFS) (p=0.21) or overall survival (OS) (p=0.29). In mKRAS, perioperative bevacizumab was associated with significant improvement of both LRRFS (70 vs 24 months, p=0.001) and OS (101 vs 55 months, p=0.004). However, this benefit was only significant in the case of KRAS exon 2 codon 12 mutations (median OS : 101 vs 60 months, p<0.0001, median LRRFS: 76 vs 44 months, p<0.0001). Finally, mBRAF were not associated with significant different outcomes.
Conclusion : Perioperative bevacizumab seems to be beneficial in exon 2 codon 12 mKRAS patients undergoing lung metastasectomy of CRC.
1. INTRODUCTION
Le cancer colorectal (CRC) constitue le 3e cancer le plus fréquemment diagnostiqué au monde, représentant environ 10 % des cancers dans le monde [1]. En Europe, avec 450 000 nouveaux cas et 215 000 décès, le CRC était en 2012 le deuxième cancer le plus diagnostiqué et la deuxième cause de décès par cancer [2]. Jusqu’à 5 % de ces patients développeront des métastases au cours de la vie, essentiellement aux dépens du foie et des poumons. Même si jusqu’à présent aucune étude prospective randomisée n’a été réalisée, la resection chirurgicale des métastases hépatiques et pulmonaires est devenue routine chez des patients selectionnés pour la très grande majorité des équipes chirurgicales. En effet, même si la métastasectomie pulmonaire des CRC reste débatttue, une revue systématique a récemment conclu à une survie globale (SG) à 5 ans variant entre 40 % et 68 % après résection complète de métastases pulmonaires [3], bien supérieure à ce que l’on peut observer chez des patients ne bénéficiant que de chimiothérapies. Une autre récente analyse confirmait ces résultats en concluant quant à elle à une SG à 5 ans atteignant 54,3 % après métastasectomie pulmonaire [4].
La résection pulmonaire étant toujours responsable d’une altération de la fonction respiratoire et pouvant également être morbide, plusieurs facteurs de risque d’évolution péjorative après métastasectomie pulmonaire ont été identifiés, afin de sélectionner les patients adéquats qui pourront réellement bénéficier d’une chirurgie. Ainsi, un taux élevé d’ACE préopératoire, l’envahissement ganglionnaire thoracique, les antécédents de métastases hépatiques, une survie sans progression (SSP) courte, le nombre de métastases pulmonaires, le nombre de métastases pulmonaires et les résections incomplètes ont été associés à des suites plus péjoratives [5]. Plus récemment, l’amélioration dans la connaissance des altérations moléculaires des cellules cancéreuses a permis d’identifier 2 proto-oncogènes semblant intéressants: V-Ki-ras2 Kirsten sarcoma viral oncogene homolog (KRAS) et V-raf Murine sarcoma viral oncogene homolog B1 (BRAF). Ainsi, de précédentes publications ont conclu à une SG et une survie sans récidive plus courtes après métastasectomie pulmonaire de CRC chez les patients présentant ces mutations [6].
En cas de métastases hépatiques résécables, les résultats de l’European Organisation for Research and Treatment of Cancer (EORTC) 40983 ont permis de conclure à un bénéfice en terme de survie en cas de chimiothérapie périopératoire (CPO) en comparaison à la chirurgie seule [7], faisant de la CPO une modalité à part entière de la prise en charge chirurgicale des métastases hépatiques de CRC. Cependant, la place de la CPO dans la métastasectomie pulmonaire de CRC est actuellement controversée, essentiellement du fait de la présence de très peu de données publiées.
L’objectif de notre étude est donc d’évaluer le bénéfice de la CPO dans une large cohorte de patients ayant bénéficié d’une métastasectomie pulmonaire pour CRC, et plus particulièrement si le statut mutationnel (KRAS et BRAF) a été associé à des suites différentes.
2. MATÉRIEL ET MÉTHODES
Nous avons revu de façon rétrospective les données de 223 patients présentant un CRC métastatique et ayant bénéficié d’une métastasectomie pulmonaire dans le service de chirurgie thoracique des hôpitaux universitaires de Strasbourg (France) entre janvier 1998 et décembre 2015, et pour qui le statut muté ou non pour KRAS et BRAF était connu. La majorité de la cohorte faisait partie d’une étude déjà publiée [6], à laquelle nous avons ajouté 43 nouveaux patients ayant bénéficié d’une chirurgie pour métastases pulmonaires entre janvier 2012 et décembre 2015. Tous les nouveaux patients inclus étaient considérés comme en rémission complète de leur tumeur primitive au moment de la métastasectomie pulmonaire, et toutes les métastases pulmonaires étaient métachrones du primitif colorectal. La décision de réaliser ou non une chirurgie pulmonaire était prise en comité de concertation pluridisciplinaire en présence d’un chirurgien thoracique diplômé. En cas de métastases extrathoraciques, seuls les patients avec métastases hépatiques ont été inclus.
L’évaluation préopératoire, le geste opératoire thoracique et la technique d’analyse moléculaire ont été réalisés comme préalablement publié [6].
Les patients ont alors été classés en fonction de leur âge, leur statut OMS, leur sexe, le nombre de métastases pulmonaires, le taux d’ACE préopératoire, la présence ou non d’une atteinte ganglionnaire thoracique, la SSP et le statut mutationnel. Les patients dits « Wild Type » (WT) étaient définis comme ceux ne présentant ni la mutation de KRAS ni celle de BRAF. La SSP était définie comme la période séparant la chirurgie du primitif colorectal au premier diagnostic d’une métastase pulmonaire ou hépatique par imagerie. La SG était définie comme la période séparant la chirurgie pulmonaire du décès ou de la date des dernières nouvelles. La survie sans récidive locorégionale (SSRLR) était définie comme la période séparant la métastasectomie pulmonaire du premier diagnostic de récidive thoracique. La mortalité postopératoire a été définie comme les décès survenant à l’hôpital ou dans les 30 jours suivant l’intervention. L’index de comorbidités de Charlson (ICC) a été calculé pour chaque patient. L’ICC inclut 19 pathologies chroniques pondérées en fonction de leur association à la mortalité. Nous avons ensuite groupé les patients, en fonction de leur score, dans les catégories suivantes : 0 (pas de comorbidité) ; 1-2 (moyen) ; 3-4 (modéré) ; et ≥ 5 (sévère) [8]. Les patients étant adressés à notre service de chirurgie thoracique par de nombreux oncologues différents, les protocoles de chimiothérapie réalisés n’étaient pas uniformes. Cependant, l’ensemble des protocoles de chimiothérapie correspondait à des fluoropyrimidines (5-fluorouracile [5-FU]), seuls ou en association à de l’oxaliplatin (Folfox/XelOx) et/ou de l’irinotecan (Folfiri/Folfoxiri). Enfin, certains patients bénéficiaient de l’ajout de bévacizumab. Le timing de la chimiothérapie était défini comme suit : néo-adjuvant en cas de traitement précédant la chirurgie pulmonaire, adjuvant en cas de traitement faisant suite à la métastasectomie et CPO en cas de traitement néo-adjuvant et adjuvant à la chirurgie pulmonaire.
IBM SPSS (Armonk, New York, États-Unis) v.20 a été utilisé pour l’analyse statistique. Les comparaisons entre les groupes ont été réalisées à l’aide du test de Chi2, des tests de Fisher et de Student de façon appropriée. L’impact pronostique des variables sur la survie a été évalué par les modèles du log-rank et du hazard proportionnel de Cox. Tous les tests étaient bilatéraux, et les variables ont été considérées significatives pour les valeurs de p < 0,05. Toutes les variables présentant une valeur de p < 0,2 ont été testées en analyses multivariées.
3. RÉSULTATS
Le suivi médian était de 57 mois (min : 1, max : 122). L’âge moyen au moment de la métastasectomie thoracique était de 63,47 ans (± 9,39). Les données démographiques de la population sont représentées dans le tableau 1. Concernant le statut mutationnel KRAS, nous avons noté en terme de mutations : 43 G12D (35 %), 28 G12V (23 %), 30 G13D (25 %), 9 G12C (7,4 %), 8 G12S (7 %), 4 G12A (3 %). En ce qui concernait la chimiothérapie : 167 patients (74 %) avaient bénéficié de chimiothérapie, dont 67 (30 %) patients avaient bénéficié d’un traitement par bévacizumab : 19 (28 %) en période néo-adjuvante, 30 en période adjuvante (45 %) et 18 (27 %) en période périopératoire. Par ailleurs, 33 (44 %) patients WT, 31 (25 %) mKRAS et 3 (12 %) mBRAF avaient bénéficié d’un traitement par bévacizumab.
Tableau 1 : Comparaison des données démographiques et principaux facteurs pronostiques connus entre les groupes (basée sur le fait qu’ils aient bénéficié ou non de chimiothérapie).
Pas de CT
CT
p
CT néo-adjuvante
CT adjuvante
CPO
P
Sexe
– Masculin
31
(55 %)
105
(63 %)
0,32
39 (63 %)
38 (64 %)
28
(61 %)
0,77
Âge moyen (années)
63 (+/- 7,86)
65 (+/- 9,81)
0,08
63 (+-/ 10,86)
63 (+/- 9,33)
62 (+/- 9,04)
0,37
Statut OMS
– 0
– 1
- 44
(79 %)
- 12
(21 %)
- 120 (72 %)
- 47
(28 %)
0,32
- 42
(68 %)
- 20
(32 %)
- 44
(75 %)
- 15
(25 %)
- 34
(74 %)
- 12
(26 %)
0,61
Site de la tumeur primitive
– colon
– rectum
- 23
(41 %)
- 33
(59 %)
- 82
(49 %)
- 85
(51 %)
0,3
- 27
(44 %)
- 35
(57 %)
- 27
(46 %)
- 32
(54 %)
- 28
(61 %)
- 18
(39 %)
0,2
ICC
– 0
– 1
– 2
– 3
- 9
(16 %)
- 20
(36 %)
- 10
(18 %)
- 17
(30 %)
- 25
(15 %)
- 70
(42 %)
- 42
(25 %)
- 30
(18 %)
0,22
- 8
(13 %)
- 28
(45 %)
- 15
(24 %)
- 11
(18 %)
- 11
(19 %)
- 22
(37 %)
- 15
(25 %)
- 11
(19 %)
- 6
(13 %)
- 20
(44 %)
- 12
(26 %)
- 8
(17 %)
0,76
Stade pT de la tumeur primitive
– pT1
– pT2
– pT3
– pT4
- 5
(9 %)
- 8
(14 %)
- 28
(50 %)
- 15
(27 %)
- 30
(18 %)
- 20
(12 %)
- 91
(54 %)
- 26
(16 %)
0,15
- 11
(18 %)
- 4
(7 %)
- 30
(48 %)
- 17
(27 %)
- 12
(20 %)
- 12
(20 %)
- 33
(56 %)
- 2
(3 %)
- 7
(15 %)
- 4
(9 %)
- 28
(61 %)
- 7
(15 %)
0,01
Stade pN de la tumeur primitive
– pN+
- 22 (39,3 %)
- 79 (47,3 %)
0,3
- 27
(44 %)
- 25
(42 %)
- 27
(59 %)
0,22
Envahissement ganglionnaire thoracique
– oui
- 23
(41 %)
- 66
(40 %)
0,84
- 28
(45 %)
- 18
(31 %)
- 20
(44 %)
0,37
> 1 métastase thoracique
- 40
(71 %)
- 68
(41 %)
< 0,0001
- 33
(53 %)
- 19
(32 %)
- 16
(35 %)
< 0,0001
Métastase hépatique
- 7
(13 %)
- 22
(13 %)
0,9
- 8
(13 %)
- 8 (14 %)
- 6
(13 %)
0,99
ACE préopératoire ≥ 5
- 15
(27 %)
- 79
(47 %)
0,007
- 29
(47 %)
- 25
(42 %)
- 25
(54 %)
0,03
SSP < 24 mois
- 27
(48 %)
- 48
(29 %)
0,008
- 16
(26 %)
- 18
(31 %)
- 14
(30 %)
0,06
Statut mutationnel
– WT
– mBRAF
– mKRAS
- 15
(20 %)
- 9
(35 %)
- 32
(26 %)
- 60
(80 %)
- 17
(65 %)
- 90
(74 %)
0,3
- 16
(26 %)
- 12
(19 %)
- 34
(55 %)
- 25
(42 %)
- 2
(3 %)
- 32
(54 %)
- 19
(41 %)
- 3
(7 %)
- 24
(52 %)
0,05
Les données sont représentées sous la forme n (%). CT : chimiothérapie ; CPO : chimiothérapie périopératoire (patients ayant bénéficié d’une chimiothérapie néo-adjuvante et adjuvante) ; ICC : index de comorbidités de Charlson ; SSP : survie sans progression ; WT : Wild Type ; mBRAF : mutations BRAF ; mKRAS : mutations KRAS.
3.1. Survie globale
La SG médiane était de 94 mois (95 % IC : 79,04-108,96) pour l’ensemble de la cohorte, avec des SG globales à 1, 2, 3 et 5 ans de 96 %, 89 %, 82 % et 71 %, respectivement. En analyses univariées, bien que la SG médiane a été meilleure en cas de chimiothérapie (indépendamment de son caractère adjuvant, néo-adjuvant ou périopératoire), il n’existait pas de différence significative (101 mois [95 % intervalle de confiance (IC) : 76,56-125,45] vs 82 mois [95 % IC : 72,06-91,94], p = 0,29).
Par ailleurs, bien que la chimiothérapie adjuvante a été associée à une SG médiane meilleure (101 mois [95 % IC : 89,93-112,07]), elle n’était significativement pas différente de celle des patients n’ayant pas bénéficié de chimiothérapie (82 mois [95 % IC : 72,06-91,94]), d’une chimiothérapie néo-adjuvante (84 mois [95 % IC : 67,96-100,04]) ou d’une CPO (94 mois [95 % IC : 72,59-115,41]), p = 0,26 [figure 1a]. Par ailleurs, en analyses univariées, la SG médiane était significativement meilleure en cas d’utilisation du bévacizumab (101 mois [95 % IC : 84-117,99] vs 82 mois [95 % IC : 56,24-107,76], p = 0,001). Cependant, lorsque l’analyse était réalisée en fonction du statut mutationnel, ce bénéfice ne restait significatif que pour les patients mKRAS (101 mois vs 55 mois [95 % IC : 49,77-60,23], p = 0,004) [figure 1c], mais ne l’était plus pour les patients WT (98 mois [95 % IC : 80,79-115,21] vs 118 mois [117,23-118,76], p = 0,25) ainsi que pour les patients mBRAF (médiane non atteinte vs 16 mois [13,76-18,24], p = 0,68).
[caption id="attachment_2537" align="aligncenter" width="300"] Figure 1A.[/caption]
[caption id="attachment_2538" align="aligncenter" width="300"] Figure 1B.[/caption]
[caption id="attachment_2539" align="aligncenter" width="300"] Figure 1C.[/caption]
Figure 1 : Représentation graphique de la survie globale selon Kaplan-Meier en fonction de a) la réalisation ou non d’une chimiothérapie (i.e. néo-adjuvante, adjuvante ou périopératoire) ; b) l’utilisation ou non de bévacizumab ; c) l’utilisation ou non de bévacizumab chez les patients mKRAS.
De plus, parmi les patients mKRAS, le bénéfice sur la SG à l’utilisation du bévacizumab n’était noté que pour les patients présentant une mutation du codon 12 de l’exon 2 (n = 124) (101 mois [95 % IC : 83,97-118,02] vs 60 mois [95 % IC : 53-66,99], p < 0,0001), mais pas ceux présentant une mutation du codon 13 (117 mois [95 % IC : 89,32-144,68] vs 118 mois [95 % IC : 117,14-118,86], p = 0,78). Enfin, en fonction de son timing d’utilisation, le bénéfice du bévacizumab était toujours significatif lorsqu’il était utilisé en situation adjuvante (médiane non atteinte vs 65 mois [IC 95 % : 38,58-91,42], p = 0,001), mais ne l’était plus en situations néo-adjuvante (84 mois [95 % IC : 75,22-92,78] vs 60 mois [95 % IC : 41,38-78,62], p = 0,25) et périopératoires (94 mois [95 % IC : 79,19-108,81] vs 118 mois [59,5-176,5], p = 0,48). Enfin, en analyses univariées, l’ICC (p < 0,0001), le stade pT de la tumeur primitive (p < 0,0001), l’envahissement ganglionnaire thoracique (p < 0,0001), les métastases thoraciques multiples (p = 0,003), les antécédents de métastases hépatiques (p = 0,01), un taux préopératoire d’ACE ≥ 5 (p = 0,04) et le statut mutationnel (p < 0,0001) influaient significativement sur la survie. Les données sont compilées dans le tableau 2.
Tableau 2 : Analyses uni et multivariées des facteurs influençant la survie globale (test du log-rank et modèles proportionnels de Cox).
Analyse univariée
Analyse multivariée
SG médiane (mois)
(95 % IC)
p
OR (95 % IC)
p
Sexe
– masculin
– féminin
- 98 (83,86-112,14)
- 84 (62,27-105,73)
0,99
-----
-----
Âge
– < 60
– ≥ 60
- 118 (80,41-155,56)
- 94 (79,29-108,71)
0,17
- 0,456 (0,225-0,924)
0,03
Statut OMS
– 0
– 1
- 94 (81,58-106,42)
- 117 (81,21-152,8)
0,96
-----
----
ICC
– 0
– 1
– 2
– 3
- 101 (90,9-111,1)
- 118 (101,5-134,5)
- 77 (70,46-83,53)
- 72 (62,38-81,62)
< 0,0001
- 0,007 (0,001-0,037)
- 0,073 (0,025-0,213)
- 0,367 (0,146-0,919)
< 0,0001
< 0,0001
0,32
Site de la tumeur primitive
– colon
– rectum
- 94 (75,33-112,67)
- 101 (78,06-123,94)
0,61
-----
-----
Stade pT de la tumeur primitive
– pT1
– pT2
– pT3
– pT4
- NA
- 82
- 94 (83,37-104,62)
- 30 (14,5-45,5)
< 0,0001
- 0,015 (0,002-0,131)
- 0,671 (0,2-2,251)
- 0,598 (0,224-1,591)
< 0,0001
0,52
0,3
Stade pN de la tumeur primitive
– pN0
– pN+
- 117 (106,89-127,11)
- 84 (77,71-90,3)
0,1
----
0,13
Envahissement ganglionnaire thoracique
– oui
– non
- 57 (41,25-72,75)
- 118 (90,25-145,75)
< 0,0001
- 0,285 (0,155-0,526)
< 0,0001
> 1 métastase thoracique
– oui
– non
- 82 (72,96-91,04)
- 117 (106,8-127,12)
0,003
----
0,64
Métastases hépatiques
– oui
– non
- 101
- 94 (68,82-119,1)
0,01
- 0,418 (0,187-0,934)
0,03
ACE préopératoire ≥ 5
– oui
– non
- 94 (83,11-104,88)
- 118 (92,32-143,68)
0,04
----
0,18
SSP < 24 mois
– oui
– non
- 94 (66,09-121,91)
- 98 (82,36-113,64)
0,57
-----
-----
Statut mutationnel
– WT
– mBRAF
– mKRAS
- 117 (107,09-126,91)
- 16
- 84 (58,33-109,67)
< 0,0001
- 0,006 (0,001-0,0029)
- 0,113 (0,037-0,5)
< 0,0001
< 0,0001
Chimiothérapie
– oui
– non
- 101 (76,56-125,45)
- 82 (72,06-91,94)
0,29
----
----
Bévacizumab
– oui
– non
- 101 (84-117,9)
- 82 (56,24-107,76)
0,001
- 2,112 (0,985-4,530)
0,055
SG : survie globale ; IC : intervalle de confiance ; OR : odds ratio ; ICC : index de comorbidités de Charlson ; NA : non atteinte ; WT : Wild Type ; mBRAF : mutations BRAF ; mKRAS : mutations KRAS.
En analyses multivariées, l’absence d’utilisation du bévacizumab, bien que non significative, mais l’approchant, était associée à un pronostic plus péjoratif (OR : 2,112 [95 % IC : 0,985-4,530], p = 0,055). Par ailleurs, un âge < 60 ans (p = 0,03), un ICC faible (p < 0,0001), le stade pT1 du primitif colorectal (p < 0,0001), l’absence d’envahissement ganglionnaire thoracique (p < 0,0001), l’absence d’antécédents de métastases hépatiques (p = 0,03) et le statut mutationnel (i.e. mKRAS et WT en comparaison à mBRAF, p < 0,0001) étaient des facteurs de bon pronostic. Les données sont compilées dans le tableau 2.
3.2. Survie sans récidive locorégionale
À la fin du suivi, 117 (52 %) patients avaient présenté une récidive thoracique. La SSRLR médiane était de 50 mois (95 % CI : 44,46-55,34) pour l’ensemble de la cohorte, avec SSRLR à 1, 2, 3 et 5 ans de 66 %, 62 %, 60 % et 31 %, respectivement. En analyses univariées, bien que meilleure en cas d’utilisation de la chimiothérapie (50 mois [95 % IC : 43,77-56,23] vs 21 mois [95 % IC : 0-52,65]), la SSRLR médiane n’était pas significativement impactée par son utilisation (p = 0,21). Lorsque l’analyse était poursuivie en fonction du moment de son utilisation [figure 2a], bien que meilleure en cas d’utilisations périopératoire (51 mois [95 % IC : 47,57-54,43]) et adjuvante (51 mois [95 % IC : 47,64-54,35]), en comparaison aux situations néo-adjuvantes (17 mois [95 % IC : 2,32-31,68]) ou à l’absence de chimiothérapie (21 mois [95 % IC : 0-52,65]), la différence n’était pas significative (p = 0,14).
Par ailleurs, la SSRLR était significativement influencée par l’utilisation du bévacizumab (76 mois [95 % IC : 67,55-84,45] vs 36 mois [95 % IC : 17,58-54,43], p = 0,003) [figure 2b]. Cependant, le bénéfice à l’utilisation du bévacizumab était différent en fonction du statut mutationnel. En effet, son bénéfice n’était conservé que chez les mKRAS (70 mois [95 % IC : 41,58-98,42] vs 24 mois [95 % IC : 1,15-46,86]), p = 0,001), mais pas chez les WT (76 mois [95 % IC : 69,21-82,79] vs 55 mois [95 % IC : 44,24-65,76], p = 0,42) et les patients mBRAF (9 mois [95 % IC : 7,4-10,6] vs 4 mois [95 % IC : 1,25-6,75], p = 0,77).
Au sein des patients mKRAS, le bénéfice du bévacizumab sur la SSRLR n’était observé qu’en cas de mutation du codon 12 de l’exon 2 (76 mois [95 % IC : 64,62-87,38] vs 44 mois [95 % IC : 35,27-52,73], p < 0,0001) [figure 2c] mais pas pour le codon 13 (80 mois [95 % IC : 12,8-147,2] vs 57 mois [9,66-104,34], p = 0,32).
Enfin, en fonction du moment de l’utilisation du bévacizumab, son bénéfice était toujours significatif en situations néo-adjuvante (70 mois [95 % IC : 28,39-111,61] vs 12 mois [95 % IC : 7,76-16,24], p = 0,001), adjuvante (82 mois [95 % IC : 75,21-88,79] vs 50 mois [95 % IC : 44,06-55,94], p = 0,001), ainsi que périopératoire (70 mois [95 % IC : 59,73-80,26] vs 49 mois [95 % IC : 17,94-80,05], p = 0,03).
[caption id="attachment_2540" align="aligncenter" width="300"] Figure 2A.[/caption]
[caption id="attachment_2541" align="aligncenter" width="300"] Figure 2B.[/caption]
[caption id="attachment_2542" align="aligncenter" width="300"] Figure 2C.[/caption]
Figure 2 : Représentation graphique de la survie sans récidive locorégionale selon Kaplan-Meier en fonction de a) la réalisation ou non d’une chimiothérapie (i.e. néo-adjuvante, adjuvante ou périopératoire) ; b) l’utilisation ou non de bévacizumab ; c) l’utilisation ou non de bévacizumab chez les patients mKRAS.
Enfin, en analyses univariées, la SSRLR médiane était significativement influencée par le stade pT de la tumeur primitive (p < 0,0001), le stade pN de la tumeur primitive (p < 0,0001), l’envahissement ganglionnaire thoracique (p = 0,04), les métastases thoraciques multiples (p < 0,0001), les antécédentes de métastases hépatiques (p = 0,02) et le statut mutationnel (p < 0,0001). Les données sont présentées dans le tableau 3.
Tableau 3 : Analyses uni et multivariées des facteurs influençant la survie sans récidive locorégionale (test du log-rank et modèles proportionnels de Cox).
Analyse univariée
Analyse multivariée
SG médiane (mois)
(95 % IC)
p
OR (95 % IC)
p
Sexe
– masculin
– féminin
- 41 (11,21-70,8)
- 50 (45,67-54,33)
0,65
-----
-----
Âge
– < 60
– ≥ 60
- 50 (42,74-57,26)
- 46 (28,74-63,26)
0,79
----
----
Site de la tumeur primitive
– colon
– rectum
- 50 (46,41-53,59)
- 41 (21,82-60,18)
0,89
-----
-----
Stade pT de la tumeur primitive
– pT1
– pT2
- pT3
- pT4
- 98 (93,93-102,07)
- 60 (33,7-86,3)
- 50 (48,97-51,03)
- 10 (7,8-12,21)
< 0,0001
- 0,012 (0,003-0,052)
- 0,191 (0,058-0,624)
- 0,245 (0,109-0,548)
< 0,0001
0,006
0,001
Stade pN de la tumeur primitive
– pN0
– pN+
- 51 (47,83-54,17)
- 12 (0-29,49)
< 0,0001
- 0,427 (0,238-0,768)
0,004
Envahissement ganglionnaire thoracique
– oui
– non
- 15 (4,83-25,17)
- 51 (47,14-54,85)
0,04
-----
0,32
> 1 métastase thoracique
– oui
– non
- 24 (2,2-45,8)
- 55 (41,28-68,72)
<0,0001
----
0,13
Métastase hépatique
– oui
– non
- 51 (49,8-52,19)
- 12 (7,78-16,22)
0,02
- 0,502 (0,253-0,998)
0,049
ACE préopératoire ≥ 5
– oui
– non
- 49 (30,97-67,03)
- 50 (41,86-58,14)
0,053
----
0,77
SSP < 24 mois
– oui
– non
- 41 (13,46-68,53)
- 50 (45,87-54,13)
0,13
-----
-----
Statut mutationnel
– WT
– mBRAF
– mKRAS
- 76 (68,57-83,43)
- 5 (2,92-7,08)
- 44 (34,83-53,17)
< 0,0001
- 0,067 (0,025-0,178)
- 0,203 (0,09-0,457)
< 0,0001
< 0,0001
CPO
– oui
– non
- 50 (43,77-56,23)
- 21 (0-52,65)
0,21
----
----
bévacizumab
– oui
– non
- 76 (67,55-84,45)
- 36 (17,58-54,43)
0,003
- 4,05 (2,2-7,45)
< 0,0001
SG : survie globale ; IC : intervalle de confiance ; OR : odds ratio ; ICC : index de comorbidités de Charlson ; WT : Wild Type ; mBRAF : mutations BRAF ; mKRAS : mutations KRAS.
En analyses multivariées, la non-utlisation du bévacizumab était associée à un plus mauvais pronostic (OR: 4,05 [95 % IC : 2,2-7,45], p < 0,0001). Enfin, un faible stade pT de la tumeur primitive (p < 0,0001), le statut pN0 de la tumeur primitive (p = 0,004), l’absence d’antécédents de métastases hépatiques (p = 0,049) et le statut mutationnel (à savoir l’absence de mBRAF, p < 0,0001) étaient associés à un pronostic favorable. Les données sont compilées dans le tableau 3.
4. DISCUSSION
La place de la chimiothérapie dans la prise en charge chirurgicale des métastases pulmonaires de CRC n’est pas clairement définie. En effet, deux questions sont actuellement sans réponses: 1/ La chimiothérapie améliore-t-elle la SG et la SSRLR ; 2/ À quel moment devrait-elle être réalisée? Jusqu’à présent, les données publiées ne permettent pas de répondre à ces questions. En effet, les séries publiées sur la métastasectomie pulmonaire de CRC ont identifié de nombreux facteurs pronostiques, dont la chimiothérapie. Cependant les suites spécifiques de ce groupe particulier de patients ont rarement été investiguées. En effet, seulement quelques études rétrospectives réalisées sur de petites cohortes se sont réellement intéressées à la chimiothérapie périopératoire. Dans un travail portant sur 221 patients, dont 176 ayant bénéficié d’une chimiothérapie adjuvante, Park et al. [9] ont conclu à une amélioration de la DFS en cas d’utilisation de la chimiothérapie adjuvante (32,7 mois vs 11,2 mois, p = 0,076). Cependant, les auteurs ne rapportaient pas d’impact de la chimiothérapie sur la SG (89,6 mois vs 86,8 mois, p = 0,833). Dans un autre travail portant sur 51 patients, Hawkes et al. [10] concluaient à une amélioration aussi bien de la SG à 5 ans (74 % vs 68 %) que de la survie sans récidive (38 % vs 18 %). Cependant, dans cette dernière étude, les données sur le timing de la chimiothérapie n’étaient pas disponibles. Dans un travail rétrospectif portant sur 229 patients, dont 49 % avaient bénéficié d’une chimiothérapie néo-adjuvante, Subbiah et al. [11] rapportaient une augmentation significative de la survie sans progression en cas de chimiothérapie néo-adjuvante à la chirurgie pulmonaire (18,8 vs 18,1 mois, p = 0,004). Dans notre travail, nous avons noté que, bien que non significatif, l’utilisation de la chimiothérapie était associée à une amélioration de la SG ainsi que de la SSRLR, en particulier en situation adjuvante. Cette observation est en faveur d’une utilisation de la chimiothérapie en situation adjuvante après métastasectomie pulmonaire. Et ce d’autant plus que la chimiothérapie néo-adjuvante pourrait retarder le geste chirurgical et rendre les lésions inopérables en fin de traitement. De plus, certains auteurs ont montré que la chimiothérapie pourrait être associée à une toxicité plus importante en situation néo-adjuvante [12]. Cependant, il est tout de même important de noter que bien que la chimiothérapie néo-adjuvante semble être associée dans notre travail à des suites plus péjoratives, et notamment en terme de SSRLR, ce sous-groupe comportait significativement plus de patients mBRAF, présentant les pires SG et SSRLR. Ceci pourrait ainsi au moins partiellement expliquer les SG et SSRLR plus mauvaises, associées à la chimiothérapie néo-adjuvante.
Jusqu’à présent, une seule étude a reporté des données sur l’utilisation du bévacizumab dans la métastasectomie pulmonaire de CRC [11], et a conclu à l’absence de bénéfice (SG médiane : 51,5 vs 55,1 mois, p = 0,435). Cependant, dans ce travail, seuls 47 patient avaient bénéficié de bévacizumab. Dans notre travail, l’utilisation du bévacizumab était associée, en analyses uni comme multivariées, avec une amélioration significative de la SG et de la SSRLR, plus particulièrement en situation adjuvante. Cette fois encore, cette observation plaide en faveur de l’utilisation du bévacizumab en situation adjuvante. De façon intéressante, nous avons noté que le bénéfice du bévacizumab n’était observé que chez les patients présentant une mutation du codon 12 de l’exon 2 de KRAS. À notre connaissance, notre travail est le premier à rapporter ce bénéfice après métastasectomie pulmonaire de CRC. Dans une précédente publication sur les CRC métastatiques, Dadduzio et al. [13] ont également rapporté un bénéfice à l’utilisation du bévacizumab chez les patients présentant une mutation du codon 12 de l’exon 2 de KRAS, sans bénéfice chez les patients présentant une mutation du codon 13. Un nombre croissant de publications est en faveur de l’existence de multiples types de mutations de KRAS, en fonction de la substitution acide aminé, conduisant à différents comportements de la cellule cancéreuse [14,15]. De façon intéressante, de précédentes études ont montré que la mutation du codon 12 de KRAS était associée à une augmentation importante de la production de « vascular-endothelial growth factors » (VEGF), impliqué dans la lymphangiogenèse, en comparaison au codon 13 [16,17]. Plus récemment, Schweiger et al. [18] ont montré qu’une lymphangiogenèse augmentée était associée à des taux plus élevés de récidive ganglionnaire et des taux de survie plus faibles. Une part de l’explication au bénéfice du bévacizumab pourrait donc résider sur le fait que ce dernier est connu pour diminuer les effets biologiques du VEGF. De plus, ceci pourrait partiellement expliquer les SG plus faibles et les taux de récurrence ganglionnaire plus élevés chez les patients mKRAS, aussi bien dans cette étude que dans notre précédente publication [6]. Cependant, le vrai bénéfice du bévacizumab et sa durée d’utilisation doivent encore être définis. En effet, dans l’essai de phase III « National Surgical Adjuvant Breast and Bowel Project » (NSABP) comparant en situation adjuvante bévacizumab et Folofox6 vs Folfox6 seule dans les stades II et III de cancer de colon, Allegra et al. [19] ne rapportaient pas de bénéfice à l’utilisation du bévacizumab sur la DFS, bien qu’un effet positif initial ait été noté dans le groupe expérimental pendant la période d’exposition. Ceci a conduit les auteurs à conclure à un effet du bévacizumab sur les cellules cancéreuses durant la période d’exposition, avec un effet rebond à son arrêt. Quoi qu’il en soit, le statut moléculaire n’a pas été pris en compte dans cette étude. En effet, nous n’avons pas noté de bénéfice du bévacizumab sur les patients mBRAF, bien que ce sous-groupe ait été de faible taille, ainsi que chez les patients WT. En conséquence, des études sur la chimiosensibilité des tumeurs en fonction de leur statut mutationnel semblent plus que nécessaires, afin d’adapter chimiothérapies et thérapeutiques ciblées.
Comme nous l’avions précédemment publié [6], nous avons confirmé que le statut mutationnel était un facteur pronostique indépendant après métastasectomie pulmonaire de CRC. Nous avions précédemment conclu que les patients mBRAF, du fait de leur mauvais pronostic, ne semblaient pas être de bons candidats à la métastasectomie pulmonaire. Nous confirmons ici cette observation, et ce d’autant plus que 65 % des patients mBRAF avaient bénéficié d’une chimiothérapie, ce qui pour autant ne permettait pas d’excéder une SG médiane de 16 mois après chirurgie. Par ailleurs, nous avions précédemment montré que les patients mKRAS présentaient plus fréquemment des facteurs de mauvais pronostic après métastasectomie pulmonaire (en particulier un envahissement ganglionnaire thoracique, des métastases multiples et des antécédents de métastases hépatiques) [7], et comme dans ce travail, que le pronostic des patients mKRAS était plus mauvais que celui des WT. Cependant, des SG et SSRLR de longue durée peuvent être atteintes avec le bévacizumab (101 mois et 70 mois, respectivement). Par conséquent, il ne semble pas licite d’exclure les patients mKRAS d’un traitement chirurgical.
Cependant, nos résultats doivent être interprétés avec précaution du fait de quelques limitations. Premièrement, il s’agit d’une étude de cohorte rétrospective sur un échantillon de petite taille. De plus, du fait de sa nature rétrospective, les données sur les récidives extrathoraciques n’étaient pas disponibles, mais seraient intéressantes à prendre en compte dans des études prospectives futures. Par ailleurs, les données moléculaires ont été obtenues à partir du CRC primitif et non des métastases. On peut donc se poser la question de la concordance moléculaire. Cependant, Cejas et al. [20] dans leur travail ont rapporté un taux de concordance de 94 %. Par ailleurs, notre travail couvre une période de 13 ans, durant laquelle il y a pu y avoir des modifications dans la prise en charge des patients. Cependant, une longue période d’étude semblait nécessaire pour obtenir une puissance statistique suffisante. Enfin, les différents protocoles de chimiothérapie utilisés ont également pu impacter la survie des malades.
En conclusion, à notre connaissance, ce travail est le premier à rapporter un bénéfice à l’utilisation du bévacizumab chez les patients ayant bénéficié d’une métastasectomie pulmonaire de CRC et présentant une mutation du codon 12 de l’exon 2 de KRAS. Il semblerait que la chimiothérapie, tout comme le bévacizumab, apporte un bénéfice en situation adjuvante aussi bien sur la SG que la SSRLR. Nous pensons que les marqueurs moléculaires peuvent être utiles non seulement à la sélection des patients qui pourraient bénéficier d’une métastasectomie pulmonaire, mais également à l’adaptation des thérapeutiques adjuvantes, et ce d’autant plus que la réponse à la chimiothérapie et aux thérapeutiques ciblées semble être différente en fonction du statut mutationnel. Ainsi, ces marqueurs pourraient être utilisés en routine dans le futur. Il semblerait également que les patients mBRAF ne soient pas de bons candidats à une chirurgie, à la différence des patients mKRAS, chez qui de longues SG et SSRLR peuvent être obtenues, en particulier grâce au bévacizumab. Cependant, nos résultats doivent être interprétés avec précaution du fait des limitations déjà détaillées. Quoi qu’il en soit, plus d’études soient nécessaires pour évaluer la sensibilité des cellules cancéreuses en fonction de leur statut mutationnel, afin d’adapter le traitement adjuvant.
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Date de soumission : 24/02/2016. Acceptation : 13/05/2016. Pré-publication : 12/08/2016
septembre 15, 2016