Chirurgie cardiaque · Vol. 23 Septembre 2019

Les premiers cas de chirurgie à cœur ouvert au Mali : résultats et perspectives

Allaye Ombotimbé1*, Issa Boubacar Maïga1, Jacques Saye1, Moussa Bazongo1 Cheick Ahmed Sékou Touré1, Abdoul Aziz Maïga1, Seydou Togo1, Moussa Abdoulaye Ouattara1, Nouhoum Ouologuèm2, Massama Konaté2, Nouhoum Diani3, Boumzebra Drissi4, Sadio Yéna1   Service de chirurgie thoracique, hôpital du Mali, Bamako. Service de cardiologie, hôpital du Mali, Bamako. Service de réanimation, hôpital du Mali, Bamako. Service cardiovasculaire, CHU Mohammed VI, Marrakech, Maroc. * Correspondance : ombotimbe.allaye@yahoo.fr   DOI : 10.24399/JCTCV23-3-OMB Citation : Ombotimbé A, Maïga IB, Saye J, Bazongo M, Sékou Touré CA, Maïga AA, Togo S, Ouattara MA, Ouologuèm N, Konaté M, Diani N, Drissi B, Yéna S. Les premiers cas de chirurgie à cœur ouvert au Mali : résultats et perspectives.  Journal de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 2019;23(3). doi: 10.24399/JCTCV23-3-OMB RÉSUMÉ Objectif : décrire les résultats de la première mission de la chirurgie à cœur ouvert dans le pays et proposer les perspectives de son développement au Mali. Patients et méthodes : il s’agit d’une étude rétrospective et descriptive portant sur les premières interventions à cœur ouvert au cours d’une mission de partenariat avec le Maroc à l’hôpital du Mali, allant du 17 au 23 septembre 2016. Les paramètres étudiés ont été les données cliniques, thérapeutiques et évolutives. Résultats : six patients ont été colligés. L’âge moyen des patients était de 22,5 ans. Une dyspnée d’effort cotée au moins 2 sur l’échelle de NYHA a été retrouvée dans tous les cas. On notait deux cas de maladie mitrale, deux cas de rétrécissement mitral, un cas d’insuffisance mitrale et un cas de communication interauriculaire. Il a été effectué 4 remplacements valvulaires mitraux, une plastie mitrale et une fermeture de CIA. La durée moyenne l’hospitalisation a été de 13 jours. L’évolution a été simple dans tous les cas.  Conclusion : la chirurgie à cœur ouvert est faisable dans notre contexte actuel. Le partenariat sud-sud à travers des missions de formation et de compagnonnage est nécessaire.   ABSTRACT The first cases of open heart surgery in Mali: results and perspectives Objective: To describe the results of the first mission of open heart surgery in the country and to propose the prospects for its development in Mali. Patients and methods: this is a retrospective and descriptive study on the first open heart interventions during a partnership mission with Morocco to the Mali hospital from September 17 to 23, 2016. The studied parameters were the clinical, therapeutic and evolutionary data. Results: Six patients have been collected. The average age of patients was 22.5 years. A dyspnea on exertion of at least 2 on the NYHA scale was found in all cases. There were two cases of mitral disease, two cases of mitral stenosis, one case of mitral insufficiency, and one case of atrial septal defect (ASD). Four mitral valve replacements, one mitral valve repair and one ASD closure were performed. The average duration of hospitalization was 13 days. The evolution was simple in all cases. Conclusion: Open heart surgery is feasible in our current context . The South-South partnership through training and companionship missions is necessary.   1. Introduction Dans les pays en développement, la chirurgie cardiaque n’est pas suffisamment pratiquée ou bien elle est absente [1]. Les cardiopathies chirurgicales sont dépistées et beaucoup d’entre elles ne bénéficient pas de l’apport de la chirurgie [1]. Leur prise en charge pose dans bien des cas des problèmes diagnostiques et/ou thérapeutiques [2]. Chez l’enfant, on estime par exemple qu’il y a 800 000 nouveau-nés chaque année dans le monde avec une cardiopathie congénitale [3]. Aussi, il y a une prévalence élevée du rhumatisme articulaire aigu responsable de valvulopathies rhumatismales chez les enfants, soit 37,6% des pathologies cardiovasculaires [4]. Chez les adultes, les cardiopathies ischémiques sont de plus en plus fréquentes et elles sont liées principalement à la pandémie de l’hypertension artérielle, à l’intoxication alcoolotabagique chronique, au diabète, à la sédentarité et aux dyslipidémies [5]. La chirurgie cardiovasculaire est indispensable pour la prise en charge adéquate de ces nombreuses maladies en Afrique. Le problème est criant au Mali. Par exemple en 2006, la prévalence hospitalière des cardiopathies congénitales était de 1,28% au Mali [6]. Seulement 2% des cas sont traités par les organisations non gouvernementales à l’extérieur, sur plus de 2700 cas de cardiopathies chirurgicales qui attendent actuellement une intervention chirurgicale [3]. Le but de cette étude était de décrire les résultats des premiers cas de chirurgie à cœur ouvert au Mali et de proposer des perspectives pour son développement.   2. Patients et méthodes Il s’agit une étude rétrospective et descriptive qui a porté sur les premières interventions à cœur ouvert réalisées dans le service de chirurgie thoracique de l’hôpital du Mali durant la période du 17 au 23 septembre 2016. Sur une cohorte de 10 patients ayant une indication de chirurgie à cœur ouvert proposés par le service de cardiologie, le programme a exclu 4 patients pour pathologies complexes, un pour l’existence d’hépatite virale évolutive, 2 patients pour un syndrome coronarien associé et un cas d’insuffisance mitrale sévère avec une hypertension artérielle pulmonaire sévère chez une fille de 5 ans, en l’absence de matériels pédiatriques adaptés. Tous les patients ont bénéficié d’une évaluation clinique, d’une radiographie thoracique, d’une échographie cardiaque transthoracique, d’un bilan biologique et d’une consultation anesthésique. Six patients ont finalement été opérés. Les interventions ont été réalisées au cours d’une mission de partenariat sud-sud entre l’équipe de l’hôpital du Mali et celle du CHU Mohammed VI de Marrakech au Maroc. Sur le plan organisationnel, le plateau technique a été renforcé par l’octroi de matériels médicaux par l’équipe marocaine. La voie d’abord était une sternotomie médiane chez tous les patients. Les interventions chirurgicales ont été réalisées sous circulation extracorporelle (CEC) entre deux canules veineuses et une canule aortique. La protection myocardique a été assurée par une solution de cardioplégie au sang total enrichi en potassium toutes les 20 minutes à la racine de l’aorte avec une autre canule. En postopératoire, les patients étaient surveillés au service de réanimation. Les paramètres étudiés ont été les données cliniques, thérapeutiques et évolutives. Le suivi postopératoire des patients était basé sur l’examen clinique, la biologie et l’échographie cardiaque.   3. Résultats L’âge moyen des patients était de 22,5 ans (±10,5) avec un sexe-ratio de 1. Les caractéristiques sociodémographiques, cliniques et échographiques des patients ont été répertoriées dans le tableau 1. L’indice cardiothoracique moyen était de 0,62±0,98. Deux patients étaient en arythmie cardiaque par fibrillation auriculaire. Le diamètre télédiastolique moyen du ventricule gauche était de 57±2 mm, la fraction d’éjection moyenne préopératoire était de 53,83%±10,79. La pression artérielle pulmonaire systolique (PAPS) était supérieure ou égale à 30mmHg±5 chez 4 patients.   Tableau 1. Les caractéristiques sociodémographiques cliniques et échographiques.   Patients Âge/Sexe Fonction Signes cliniques Diagnostic échographique 1 29/F Secrétaire – Dyspnée NYHA 3 – Douleurs thoraciques – Palpitations – Hémoptysie – RM serré 2 23/F Élève – Dyspnée NYHA 3 – Hémoptysie – Toux – Palpitations – Maladie mitrale – Thrombus OG – ACFA – IT 3 24/M Commerçant – Dyspnée NYHA 2 – Asthénie – Toux – CIA ostium secundum 4 15/F Élève – Dyspnée NYHA 3 – Douleurs thoraciques – Palpitations – Maladie mitrale – IT 5 12/M Élève – Dyspnée NYHA 3 – Palpitations – Toux – Asthénie   – IM sévère – IT 6 33/M Cultivateur – Dyspnée NYHA 3 – Douleurs thoraciques – Toux – Asthénie – RM – Thrombus AG – ACFA – IT F : féminin ; M : masculin ; RM : rétrécissement mitral ; OG : oreillette gauche ; ACFA : arythmie complète par fibrillation auriculaire ; IT : insuffisance tricuspidienne ; CIA : communication interauriculaire ; IM : insuffisance mitrale ; AG : auricule gauche.   Les valvulopathies mitrales étaient d’origine rhumatismale dans 5 cas, et dans un cas il s’agissait de cardiopathie congénitale. Les gestes chirurgicaux ainsi que les différentes durées du monitoring ont été répertoriés dans le tableau 2. Une transfusion sanguine en peropératoire a été réalisée chez 5 patients qui avaient un taux d’hémoglobine peropératoire de 8g/dl en moyenne avec un nombre moyen de trois poches de culot globulaire. Un traitement anticoagulant à base d’acénocoumarol à vie a été instauré chez 4 patients. Ce traitement était ajusté en fonction des résultats du taux de l’International Normalised Ratio (INR) qui doit être compris entre 2 et 3 et surveillé par les cardiologues. En réanimation, ils étaient extubés après une durée moyenne de 7±2,09 heures et avec un séjour de 3,5±0,55 jours.   Tableau 2. Répartition des gestes chirurgicaux et de la durée du monitoring. Patient            Traitement Durée en minute CEC Clampage aortique Assistance 1 – RVM par valve mécanique 50 33 10 2 – RVM par valve mécanique – Plastie tricuspide De Vega – Thrombectomie 109 75 20 3 – Fermeture de la CIA par patch péricardique 38 25 10 4 – RVM par valve mécanique – Plastie tricuspide De Vega 100 75 15 5 – Plastie mitrale – Plastie tricuspide De Vega 132 100 20 6 – RVM par valve mécanique – Plastie tricuspide De Vega  – Thrombectomie – Aveuglement AG 105       75 20 Durée moyenne 95 69 16 CEC : circulation extracorporelle ; RVM : remplacement valvulaire mitral ; CIA : communication interauriculaire ; AG : auricule gauche.   Les suites opératoires immédiates étaient simples chez 5 patients. Nous avons noté un cas d’épanchement péricardique qui a bénéficié d’une ponction évacuatrice échoguidée. La durée moyenne d’hospitalisation était de 13,17±2,14 jours. L’évolution était favorable dans tous les cas à 3 mois. Après un recul de 30 mois, tous les patients étaient asymptomatiques avec un indice cardiothoracique à 0,52±0,09 et une fraction d’éjection à 59,33±6,28 %.   4. Discussion Notre étude confirme la faisabilité de la chirurgie à cœur ouvert dans notre contexte au vu des résultats obtenus suite à cette première mission. La réussite actuelle est due à une convergence de tous les acteurs. Pour cette première édition, il était important de rendre accessible financièrement cette chirurgie aux bénéficiaires, grâce à l’obtention d’une gratuité totale. Cela était nécessaire, puisque l’ensemble des patients opérés provenait de famille d’indigents. Le problème des maladies cardiovasculaires au Mali et en Afrique subsaharienne est considérable et le sera de plus en plus si rien n’est fait. En 2006, on a estimé à 15% le taux de la population malienne souffrant de maladies cardiaques, soit environ 1 600 000 patients [7]. Ce qui paraît sous-évalué actuellement. Les difficultés pour la grande majorité des patients à assurer une prise en charge chirurgicale tant localement qu’à l’étranger réduisent considérablement leur espérance de vie. Une majorité de la population est économiquement démunie et pauvre. En effet au Mali, en 2006, le coût moyen d’une évacuation sanitaire a été évalué par patient à 10 698 378,00 CFA (soit 16 300 euros) [8]. Pour les malades évacués sanitaires, ce coût est extrêmement élevé comparé aux ressources de l’État. Le développement de la chirurgie cardiaque à cœur ouvert doit être ressentie et vécue comme une activité à haute valeur qui est aussi une opportunité pour améliorer le contexte général des soins. En effet, sa pratique amène le perfectionnement de nombre de spécialités comme la cardiologie, l’anesthésie-réanimation, la biologie, l’imagerie ou le biomédical. C’est avec cette vision que des initiatives se sont développées respectivement à l’hôpital du Point G, à l’hôpital Mère-Enfant et à l’hôpital du Mali. À l’hôpital du Point G, c’est avec le partenariat hospitalier universitaire le reliant à celui d’Angers. Ce projet en cours depuis novembre 2007 se développe et a enregistré des missions chirurgicales pour l’instant sur la chirurgie à cœur fermé. Il est en train d’être concrétisé par la construction d’un centre de chirurgie cardiovasculaire doté d’une unité d’exploration cardiaque fonctionnelle. La construction par la Chaîne de l’Espoir d’un bloc de chirurgie cardiopédiatrique plus réanimation à l’hôpital Mère-Enfant et la réalisation, depuis son ouverture en septembre 2018, de plus de 100 interventions à cœur ouvert concernent les enfants. Cette réalisation privée permettra de mettre fin à des évacuations sanitaires d’enfants. Quant à celui de l’hôpital du Mali, il vient d’être lancé en 2016 sur la base d’un partenariat sud-sud avec le centre hospitalier universitaire Mohammed VI de Marrakech au Maroc. Cependant, pour être consolidé, ce projet a besoin d’être soutenu pour effectuer plusieurs missions. La pérennisation de la chirurgie à cœur ouvert au Mali passe par l’implication en termes d’équipement, de formations des spécialistes et la subvention du coût des interventions. Il faut développer les capacités humaines et logistiques du service pour répondre à la demande accrue de la population malienne en matière de soins de chirurgie à cœur ouvert, et pour ce faire une politique de santé stable au plus haut niveau est indispensable. Il faut également une réunion de concertation pluridisciplinaire afin d’aboutir à un travail d’équipes des diverses structures et professionnels de santé, afin de mettre en place un centre de chirurgie cardiaque adulte. La coopération avec les équipes à technologie médicale avancée en matière de chirurgie cardiaque permettra une autonomisation de l’équipe malienne à travers un accompagnement.   5. Conclusion Le développement de la chirurgie à cœur ouvert est un challenge au Mali. Notre travail a démontré qu’elle est actuellement faisable. À travers des missions ponctuelles, certaines pathologies cardiochirurgicales pourront être prises en charge. Dans un premier temps, elle a besoin d’un engagement humain et d’un compagnonnage administratif et technique à travers un partenariat.   Références Brousse V, Imbert P, Mbaye P. Évaluation au Sénégal du devenir des enfants transférés pour chirurgie cardiaque. Med Trop 2003;63:506-12. Van Der Linde D, Konings EEM, Slager MA. Birth prevalence of congenital heart disease worldwide. J Am Col Cardiol 2011;58:2241-47.https://doi.org/10.1016/j.jacc.2011.08.025PMid:22078432 Coulibaly B, Diarra M, Dicko M, et al. Coopération Angers-Bamako dans le cadre de la chirurgie cardiovasculaire. État des lieux et perspectives : la chirurgie cardiaque à cœur ouvert au Mali est-elle réalisable ? J Chir thorac et cardiovasc 2014;18(1):55-8. Ba Hamidou O., Noumou Sidibé, Bocary Diarra Mamadou, et al. Aspects diagnostiques et thérapeutiques des cardiopathies rhumatismales de l'enfant au Mali : étude de 85 cas. J Afr thorax et vaisseaux 2010;1,1:5-9. Diarra MB, Diarra A, Sanogo KM, et al. Cardiopathies ischémiques en cardiologie à Bamako (à propos de 162 cas). Mali médical 2007;22(4):36-9. Diakité A, Sidibé N, Diarra MB et al. Aspects épidémiologiques et cliniques des cardiopathies congénitales. Mali médical 2009;24(1)67-8. Ba HO, Maiga AK, Daffé S, Touré M, Diarra MB. Aspects épidémiologiques et cliniques des cardiopathies congénitales infanto-juvéniles. Afr Ann Thorac Cardiovasc Surg 2013;8(2)77-81. Diarra MB, Ba HO, Sanogo KM, Diarra A, Touré KM. Le coût des évacuations cardiovasculaires et les besoins en traitement chirurgical et interventionnel au Mali. Cardiologie tropicale 2006;32:128.   Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared.  Date de soumission : 14/04/2019. Acceptation : 19/07/2019.
septembre 20, 2019
Chirurgie cardiaque · Vol. 23 Septembre 2019

À propos de l’article sur “les premiers cas de chirurgie à cœur ouvert au Mali” – Editorial

L’intérêt clinique de la publication d’Allaye Ombotimbé et collaborateurs est somme toute limité, voire désuet. La principale problématique et le principal intérêt de cet article concernent la discussion, et notamment l’analyse des conséquences d’une telle mission. Car la caractéristique concernant la faisabilité sous cette forme de ce type de mission n’est absolument pas le problème. Ainsi, en amenant le matériel spécifique et les personnels compétents, ce type de mission peut être réalisé à n’importe quel point du globe avec un minimum de caractéristiques techniques requises (fluides, stérilisation et alimentation électrique fiable). Ces dernières se trouvant dans beaucoup d’endroits de la planète et notamment en Afrique. On ne démontre rien en faisant cela. La problématique ne se trouve pas dans la faisabilité, mais plutôt dans la perception de la durabilité de l’activité après ce type de mission. Il faut noter par ailleurs que la mission a été réalisée en 2016 et que, depuis, il ne s’est rien passé dans cet hôpital… En effet, le vrai problème est la pérennisation. Celle-ci devrait s’inscrire dans une perspective de long terme qui concerne les autorités sanitaires et la communauté médicale du pays. Elles doivent libérer les énergies et mettre en œuvre les moyens pour avoir un vrai programme d’installation et de pérennisation de cette activité. Cela permettrait de répondre à ce besoin de santé publique, notamment sur le plan économique. Les dépenses en évacuation sanitaires évitées permettraient de réorienter ces budgets vers une activité pratiquée sur place.   La bonne méthode serait : un modèle économique viable et pérenne de prise en charge, pensé en amont du projet ; la formation préalable du personnel spécialisé (chirurgiens, anesthésistes-réanimateurs, cardiologues et personnel paramédical spécifique) avec un vrai programme concerté et non des projets individuels ; puis l’installation, de manière concomitante à la formation des professionnels de santé, de la structure sanitaire dédiée à ces soins, et ceci de façon à répondre aux besoins de la population de façon pérenne.   Il est bon de rappeler que différentes missions ponctuelles sur les pathologies cardiaques chirurgicales de ce type ont été réalisées en Afrique noire francophone, qu’elles soient à visée diagnostique ou thérapeutique. Ces pays ont vu l’arrivée, pendant environ une à deux semaines, de missions sanitaires issues d’ONG, pour effectuer des actes techniques hautement spécialisés (République démocratique du Congo, Cameroun, Mauritanie, Burkina Faso…). Mais depuis, la continuité des soins et de ces programmes est restée lettre morte. On note aussi que quelques rares pays en Afrique noire francophone avaient des activités dans le domaine ; celles-ci ont périclité, faute de moyens économiques et de réelle prise en charge pérenne au niveau étatique. Il existe actuellement en Afrique noire francophone une classe moyenne émergente qui commence à avoir un pouvoir d’achat conséquent et une prévoyance sanitaire salariale. Il faut croire que dans l’avenir, cela créera un «marché», dans la mesure où il s’agit d’une discipline médicale dont l’aspect lucratif n’est pas négligeable. La conséquence logique sera l’avènement et le développement de cette activité sous la forme privée. Ce qui est déjà le cas de la cardiologie interventionnelle, autre activité lucrative, dans de nombreux pays africains. Ainsi, les structures privées prendront malheureusement le pas sur la médecine à vocation sociale qui relève des pouvoirs publics. Dr Patrice Binuani, chirurgien cardiaque, CHU Angers
septembre 20, 2019
Chirurgie humanitaire · Vol. 20 Juin 2016

Les valvulopathies rhumatismales opérées chez l’enfant et l’adolescent, 18 ans d’expérience de Mécénat Chirurgie Cardiaque

Olivier Michel Bical, Christian Latrémouille, Jean-Louis de Brux, Adrien Hazard, Vincent Lucet, Francine Leca Association Mécénat Chirurgie Cardiaque, 33 rue Saint-Augustin, 75002 Paris. Correspondance : ombical@hotmail.fr   Résumé Objectif : Les valvulopathies rhumatismales opérées ont un pronostic peu connu chez l’enfant. Depuis 18 ans, l’association Mécénat Chirurgie Cardiaque (MCC) fait opérer dans plusieurs centres en France de jeunes malades étrangers atteints de cette pathologie. Le but de cette étude est de rapporter les résultats de cette activité associative. Méthodes : Les données ont été recueillies prospectivement par la cellule « suivi » de MCC. Les résultats des différents types de valve implantés ont été comparés. Résultats : De 1997 à 2014, 359 enfants (224 filles et 135 garçons) d’âge moyen 13,6 ± 4,5 ans ont été opérés grâce à MCC. La mortalité opératoire a été de 2,8 % (10 malades). Les gestes opératoires pour les 349 patients restants ont été 134 RVM, 44 RVA et 171 plasties mitrales. Le suivi est de 82 % avec un recul moyen de 4,5 ± 3,9 ans. La mortalité tardive a été de 16,1 % (58 malades), respectivement de 3,9 % pour les bioprothèses, 5,6 % pour les valves mécaniques et 6,6 % pour les plasties mitrales. Globalement, 46 % des malades ont une vie normale après l’opération. Les malades avec une valve mécanique ou une réparation mitrale ont à moyen terme une survie plus importante que ceux avec une bioprothèse (respectivement p = 0,005 et p = 0,002). La survie cumulée à 10 ans est identique pour les RVM et les plasties mitrales. Conclusion : Les résultats de la chirurgie valvulaire chez les enfants ayant une valvulopathie rhumatismale sont bons, sauf pour les malades avec une bioprothèse. Les remplacements valvulaires mécaniques et les réparations mitrales ont une survie identique à moyen terme, ce qui conduit à réserver les réparations aux seules anatomies favorables.   Abstract Surgery for rheumatic valvular disease in young patients: 18 years of experience at Mécénat Chirurgie Cardiaque Aim: Surgery for rheumatic valvular disease has an unknown prognosis in young patients. For 18 years, the association Mécénat Chirurgie Cardiaque (MCC) has organized the surgical correction of this pathology for young patients at several centers in France. The aim of this study was to analyze the results of this activity. Methods: Data were retrospectively collected by the follow-up unit of MCC. The results for different types of heart valve were compared. Results: From 1997 to 2014, 359 young patients (224 girls and 135 boys) of a mean age of 13.6±4.5 years underwent valvular surgery in France thanks to MCC. The surgical mortality was 2.8% (10 patients). For the other patients, the intervention consisted of 134 MVR, 44 AVR and 171 mitral plasties. The follow-up was 82% for 4.5±3.9 years. Delayed mortality was 16% (58 patients), i.e. 3.9% with a bioprosthesis, 5.6% with a mechanical valve and 6.6% for mitral plasties. Globally, 46% of the patients regained a normal life after the surgery. Patients with a mechanical valve or a mitral plasty had better survival at mid-term than those with a bioprosthesis (p=0.005 and p=0.002, respectively). The cumulative survival at 10 years was the same for patients with MVR and mitral plasties. Conclusion: The results of valvular surgery for young patients with rheumatic disease are good except for patients with s bioprosthesis. Mechanical valvular replacement and mitral plasty have the same survival at midterm, although we prefer to perform mitral repair only to favorable anatomies.   1. INTRODUCTION Les valvulopathies rhumatismales opérées ont un pronostic peu connu chez l’enfant et l’adolescent. Depuis 18 ans, l’association Mécénat Chirurgie Cardiaque (MCC) fait opérer dans différents centres en France de jeunes malades étrangers atteints de cette pathologie. Cette activité ne représente qu’environ 1/8 de l’activité globale de MCC, axée principalement sur les cardiopathies congénitales. Le but de cette étude est d’analyser les résultats globaux de cette chirurgie valvulaire et de justifier l’engagement de MCC dans la prise en charge chirurgicale des enfants et adolescents ayant une  pathologie valvulaire rhumatismale.   2. MÉTHODES Grâce à MCC, 359 enfants ont été opérés en France dans différents centres chirurgicaux de 1997 à 2014. Ces centres étaient à Paris, la fondation hôpital Saint-Joseph, l’hôpital européen Georges-Pompidou et à Angers, le centre hospitalier universitaire. Le groupe était composé de 224 filles et 135 garçons  (sexe ratio 0,6 H/F) d’âge moyen 13,6 ± 4,5 ans. Les pays d’origine des malades étaient principalement le Mali (97), le Sénégal (62), la République démocratique du Congo (24), le Cameroun (15) et la Guinée (11). La pathologie rhumatismale était principalement mitrale chez 296 enfants et principalement aortique chez 53 enfants (hors décès précoces). Les remplacements valvulaires ont été mitraux dans 134 cas (113 valves mécaniques, 21 bioprothèses) et aortiques dans 44 cas (29 valves mécaniques et 15 bioprothèses). Parmi ces malades, 30 ont eu un remplacement aortique et mitral combiné. Enfin, 171 malades ont bénéficié d’une plastie mitrale selon les techniques de Carpentier. La mortalité précoce est définie par le décès du patient dans les 30 jours suivant l’intervention chirurgicale. La mortalité tardive est prise en compte dans les données lorsque le décès dépasse ce délai. L’analyse statistique pour les variables qualitatives a été réalisée par un test du Chi2 d’homogénéité grâce au logiciel R. Lorsque le nombre de variables qualitatives était insuffisant, l’étude a été faite grâce au test exact de Fisher. La comparaison entre les groupes de survie a été réalisée par la méthode de Kaplan-Meier avec le test du log rank (logiciel XL-Stat). Un seuil de significativité de 5 % a été retenu pour l’ensemble de ces données.   3. RÉSULTATS [figure 1] La mortalité précoce a été de 2,8 % (10 malades). Un malade est décédé des suites immédiates d’une chirurgie redux d’intervention de Ross. Les 9 autres sont décédés de défaillance polyviscérale. Il s’agissait de 7 RVM et de 2 plasties mitrales. Grâce à l’efficacité de la cellule « suivi » de MCC (Marion Saint-Picq), seuls 43 malades sur les 359 ont été perdus de vue. Le follow-up concerne donc 296 malades, soit 82 % de la série et le recul moyen est de 4,5 ± 3,9 ans. La mortalité tardive a été de 16 %, soit 58 malades. L’âge moyen des malades décédés était de 16,4 ± 3,9 ans, soit en moyenne 2,8 ans après l’intervention. Les causes des décès tardifs ont été d’origine cardiaque pour 22 malades (38 %), d’origine extracardiaque pour 16 malades (27 %) et d’origine inconnue pour 20 malades (36 %).   [caption id="attachment_2379" align="alignnone" width="300"] Figure 1 : Mortalité précoce et tardive.[/caption]   Les résultats globaux montrent que 46 % des malades ont une vie normale après l’opération. 38 % ont une vie quasi normale avec toutefois une petite fatigabilité à l’effort ou une difficulté d’équilibrer l’INR. Enfin, 16 % des malades ont un résultat moyen et 6 % un mauvais résultat. Parmi les 34 malades ayant des bioprothèses, 14 sont décédés [tableau 1]. Les 8 causes cardiaques (23 %) sont des dysfonctions de valve, des thromboses et des endocardites. Seuls 20 malades (59 %) ont une vie normale avec une bioprothèse.   Bioprothèses Valves mécaniques Réparations mitrales Tableau 1: Origine des décès tardifs selon le geste chirurgical en regard de la valve mitrale Causes cardiaques 8 (23 %) 7 (6 %) 3 (2 %) Causes extracardiaques 2 (5,9 %) 7 (6 %) 21 (13,7 %) Causes inconnues 4 (11,7 %) 6 (5 %) 0   Parmi les 119 malades ayant une valve mécanique, 20 sont décédés [tableau 1]. Les 7 causes cardiaques (6 %) sont des endocardites ou des complications des anticoagulants. Au total, 99 malades ayant une valve mécanique (soit 84 %) ont une vie normale sous traitement anticoagulant par AVK. Parmi les 146 malades ayant eu une plastie mitrale, 24 sont décédés [tableau 1], essentiellement de causes extracardiaques (20 malades). Au total, 122 malades de ce groupe vont bien (soit 84 %) avec toutefois 16 malades ayant eu une reprise chirurgicale pour remplacement valvulaire mécanique. Globalement, les malades ayant une valve mécanique ou une réparation mitrale ont avec un recul de 4,7 ans de meilleurs résultats que ceux ayant une bioprothèse (respectivement p = 0,005 et p = 0,002 – tableau  2). Les courbes de survie cumulée montrent à 10 ans une survie identique des malades mitraux ayant un remplacement mécanique ou une plastie [figure 2].   Les malades avec une valve mécanique ou une réparation mitrale ont à moyen terme une survie plus importante que ceux avec une bioprothèse (respectivement p = 0,005 et p = 0,002). Tableau 2: Comparaison du décès selon le geste chirurgical en regard de la valve mitrale Bioprothèses Plasties mitrales Valves mécaniques Décès tardifs 14 24 20 Vivants 20 122 99   [caption id="attachment_710" align="alignnone" width="300"] Figure 2 : Courbe de survie cumulée des malades après chirurgie mitrale[/caption]   L’analyse des résultats chez les jeunes filles ne montre pas de résultats différents de ceux des garçons [tableau 3]. Les mortalités précoces et tardives sont identiques. Chez les adolescentes, le traitement anticoagulant est à l’origine de seulement 2 décès lors de grossesse sur les 38 décès tardifs.   Tableau 3: Comparaison du nombre de décès selon le sexe du patient Filles Garçons Décès opératoires ou précoces (moins de 30 jours) 8 (3,6 %) 2 (1,5 %) Décès tardifs 38 (17 %) 20 (15 %)   4. DISCUSSION Le rhumatisme articulaire aigu est éradiqué dans tous les pays dits développés, mais il sévit encore en Afrique d’où sont originaires nos malades. Sa presque disparition dans le monde explique que les séries publiées de chirurgie valvulaire soient peu nombreuses et limitées [1,2]. Notre association MCC rassemble des malades de toute l’Afrique sub-saharienne, ce qui explique le nombre important de malades de notre étude. Nous rapportons ainsi la plus grande série de valvulopathies rhumatismales opérées, et l’importance du suivi de nos malades (82 %) justifie la publication de nos résultats. La mortalité opératoire (2,8 %) est assez faible, identique à celle de la chirurgie valvulaire adulte. En revanche, la mortalité tardive est élévée (16,1 %) avec toutefois un nombre élevé de causes extracardiaques (29, soit 50 % des décés) liées aux conditions de vie des malades. L’analyse des résultats confirme que les malades ayant des bioprothéses ont des résultats à distance nettement moins bons que les malades avec une valve mécanique ou une plastie mitrale. Pour la chirurgie aortique, cette supériorité des valves mécaniques sur les valves biologiques n’apparaît pas sur les courbes de survie, probablement en raison du recul insuffisant. En revanche, pour la chirurgie mitrale, cette supériorité des valves mécaniques et des réparations sur les valves biologiques est nette dès le début du suivi et s’amplifie d’année en année [figure 2]. Par ailleurs, nous ne trouvons pas de différence de survie entre les porteurs de valve mitrale mécanique et ceux ayant eu une réparation mitrale, probablement en raison d’un recul insuffisant. Il apparaît toutefois que le remplacement mitral chez l’enfant et l’adolescent donne de très bons résultats à distance malgré la nécessité du traitement anticoagulant. Cette constatation nous fait déconseiller les mauvaises plasties mitrales qui inéluctablement vont obliger à une réintervention proche. Les réparations ne se justifient que sur les insuffisances mitrales de type 1 ou 2 de Carpentier, ce qui est rare dans la pathologie rhumatismale [3]. Les insuffisances mitrales rhumatismales habituellement de type 3 de Carpentier (avec rétraction valvulaire) sont difficiles à réparer et, compte tenu de nos bons résultats des remplacements par valve mécanique, cette stratégie radicale nous paraît préfèrable [4]. Les résultats globaux de la chirurgie valvulaire ne sont pas influencés par le sexe des malades. Le traitement anticoagulant complique évidemment le suivi d’une grossesse chez une adolescente, mais dans notre série, les accidents sont exceptionnels. Compte tenu des difficultés médicales du suivi en Afrique, nous recommandons la continuité du traitement par AVK tout au long de la grossesse plutôt que les protocoles de relais par l’héparine [5]. En revanche, 2 semaines avant la date présumée de l’accouchement, le relais des AVK  par l’héparine nous semble indispensable, et cela en milieu hospitalier.   5. CONCLUSION Les résultats de la chirurgie valvulaire pour les cardiopathies rhumatismales de l’enfant et l’adolescent sont bons et justifient la poursuite de la prise en charge au sein de notre association. La valve mécanique donne de meilleurs résultats que la valve biologique pour cette population, et cela malgré le traitement anti­coagulant. En position mitrale, les résutats à moyen terme du remplacement valvulaire et de la réparation conservatrice sont proches, ce qui nous conduit à ne réserver la réparation qu’aux rares anatomies favorables sans trop de lésions rhumatismales rétractiles.   REMERCIEMENTS Nous remercions toute l’équipe du Mécénat Chirurgie Cardiaque, et particulièrement Marion Saint-Picq qui a permis, par la qualité de son travail de suivi des enfants, la justification scientifique de cette étude.   RÉFÉRENCES Kangah MK, Souaga KA, Amani KA et al. Insuffisance mitrale rhumatismale de l’enfant: aspects anatomiques et chirurgicaux, à propos de 84 cas. J Thoracique et Cardio-vasculaire 2009;13:11-4. Abid F, Ouarda F, Chaker L et al. Le remplacement valvulaire chez l’enfant. Indications actuelles et résultats, à propos de 63 cas. Archives de Pédiatrie 1998;8:946. Carpentier A. Chirurgie reconstructrice de la valve mitrale. In: Acar J. Cardiopathies valvulaires acquises. Paris: Flammarion medicine Sciences, 1985:554-60. Duran CM, Gometza B, Balasundaram C et al. A feasibility study of valve repair in rheumatic mitral regurgitation. Eur Heart J. 1991;12: 34-8. Berard J, Dufour Ph, Subtil D et al. Grossesse chez les femmes porteuses d’une valve cardiaque mécanique. J Gynecol Obstet Biol Reprod 1997;26:455-64. Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared. Cet article a été présenté au 68e congrès de SFCTCV (Marseille, juin 2015).
juin 3, 2016