Hémothorax cataménial infecté : phrénoplastie au fascia lata autologue
Raphaël Ouede1*, Blaise Demine1, Judicaël Ahoury2, Maurice Kouacou1, Flavien Kendja1, Yves Tanauh1
1. Service de chirurgie thoracique, institut de cardiologie, Abidjan, Côte d’Ivoire.
2. Service de radiologie, institut de cardiologie, Abidjan, Côte d’Ivoire.
* Correspondance : oued70raphael@yahoo.fr
DOI : 10.24399/JCTCV23-2-OUE
Citation : Ouede R, Demine B, Ahoury J, Kouacou M, Kendja F, Tanauh Y. Hémothorax cataménial infecté : phrénoplastie au fascia lata autologue. Journal de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 2019;23(2). doi: 10.24399/JCTCV23-2-OUE
RÉSUMÉ
La cure chirurgicale de l’hémothorax cataménial consiste entre autres à recouvrir les fenestrations diaphragmatiques lorsqu’elles sont présentes par un patch synthétique sauf en cas d’infection. L’infection de l’hémothorax cataménial est inhabituelle, nous rapportons un cas avec des fenestrations diaphragmatiques chez une patiente de 37 ans. La cure chirurgicale réalisée après le traitement de l’infection a consisté en une phrénoplastie au fascia lata autologue associée à un talcage pleural et une hormonothérapie suppressive de 6 mois. L’hémothorax n’a plus récidivé à la reprise des menstrues, le recul est de sept ans.
ABSTRACT
The surgical treatment of catamenial hemothorax consists, among other things, of covering the diaphragmatic fenestrations when they are present by a synthetic patch, except in the case of infection. However, infection of the catamenial hemothorax is unusual. We report a case of diaphragmatic fenestrations in a patient of 37 years. Surgical treatment, performed after treatment of the infection, consisted of an autologous fascia lata phrenoplasty associated with pleural talcage and a suppressive hormone therapy of 6 months. The hemothorax has not recurred at the resumption of menstruation, the follow-up is 7 years.
1. Introduction
L’hémothorax cataménial est un hémothorax spontané récidivant pendant les menstrues. Il est, après le pneumothorax cataménial, la deuxième plus fréquente des quatre entités cliniques de l’endométriose thoracique [1]. L’endométriose thoracique se caractérise par le développement du tissu endométrial normal dans le thorax précisément au niveau de la plèvre, du parenchyme pulmonaire et de l’arbre trachéobronchique. Le tissu endométrial ectopique responsable de l’hémothorax et du pneumothorax cataméniaux est très souvent localisé au niveau du diaphragme entraînant sa fenestration [1-3]. Le traitement est chirurgical en cas d’échec du traitement médical, et pour la cure chirurgicale de ces épanchements cataméniaux, certains auteurs recommandent le recouvrement de ces fenestrations diaphragmatiques, lorsqu’elles sont présentes, par un patch synthétique en polypropylène [2,4-6]. Une telle prothèse (synthétique) est contre-indiquée en cas d’infection où seules les biogreffes sont autorisées. L’infection d’un hémothorax cataménial est exceptionnelle. Nous rapportons notre premier cas où la phrénoplastie de recouvrement a été faite avec le fascia lata autologue.
2. Observation
Une patiente de 37 ans ayant des antécédents gynécologiques d’infertilité primaire et de dysménorrhée depuis la puberté était suivie dans notre service depuis trois ans pour un hémothorax cataménial droit. Elle provenait de la pneumologie après échec du traitement médical hormonal (l’hémothorax récidive à l’arrêt de l’hormonothérapie). L’indication d’une cure chirurgicale avait été posée mais non réalisée pour des raisons financières. Des ponctions pleurales évacuatrices itératives d’attente étaient faites environ tous les trois mois. Cet hémothorax s’accompagnait d’une ascite de même nature qui s’évacuait également avec les ponctions pleurales. Pendant la crise postélectorale dans notre pays, la patiente s’est retrouvée dans un camp de réfugiés de fortune pendant six mois où des ponctions pleurales évacuatrices ont également été réalisées. À son retour, elle a consulté aux urgences dans un tableau de récidive de l’hémothorax avec une dyspnée d’effort et un syndrome infectieux clinique et biologique. Le liquide pleural était toujours hématique mais louche dans lequel nous avons isolé un Staphylococcus aureus. Nous avons conclu à une infection de l’hémothorax cataménial. Un drain pleural a été posé en urgence et a ramené 2300 cc de liquide, une antibiothérapie dirigée a été instituée. L’évolution a été marquée par une disparition progressive du syndrome infectieux, un retard de réexpansion pulmonaire, le liquide de drainage est devenu séreux et inférieur à 100 cc/j au bout de 5 jours, puis redevenu hématique et abondant (supérieur à 200 cc/j) à partir de J13 quand des nouvelles menstrues sont survenues. Les contrôles de la bactériologie du liquide pleural à J7 et J14 sont revenus négatifs. À la faveur de la gratuité temporaire des soins décrétée par le nouveau gouvernement à la fin de la crise postélectorale, nous avons décidé de réaliser la cure chirurgicale de cet hémothorax cataménial. La thoracotomie exploratrice réalisée à J19 du drainage (juste après les menstrues) a retrouvé une cavité inflammatoire avec de la fibrine et une plaque d’endométriose diaphragmatique sous forme de fenestrations diaphragmatiques au niveau du centre tendineux [figure 1] qui a fait l’objet d’une biopsie.
[caption id="attachment_4380" align="aligncenter" width="300"] Figure 1. Image peropératoire montrant la plaque d’endométriose sous forme de fenestrations diaphragmatiques.[/caption]
La cure chirurgicale a consisté en un prélèvement du fascia lata droit [figure 2] avec lequel nous avons réalisé la phrénoplastie de recouvrement des fenestrations à l’aide de fils tressés non résorbables no1 [figure 3]. Ce geste chirurgical a été complété par une symphyse pleurale par talcage en peropératoire et une hormonothérapie complémentaire débutée à J3 postopératoire avec la tryptoréline (Décapeptyl) 3 mg, à raison d’une injection par mois pendant six mois.
[caption id="attachment_4381" align="aligncenter" width="300"] Figure 2. Image du prélèvement du fascia lata.[/caption]
[caption id="attachment_4382" align="aligncenter" width="300"] Figure 3. Image de la phrénoplastie de recouvrement des fenestrations diaphragmatiques avec le fascia lata.[/caption]
Les suites opératoires immédiates ont été simples, la patiente est sortie à J8 postopératoire, l’examen anatomopathologique des prélèvements n’a pas été contributif. À la reprise des menstrues, après l’arrêt de l’hormonothérapie, l’hémothorax n’a pas récidivé. Après un recul de sept ans, la radiographie de face du thorax [figure 4] et l’échographie thoracique n’objectivent pas de récidive de l’hémothorax. Par contre, l’ascite a récidivé trois mois après la reprise des menstrues. La patiente a été adressée pour un suivi en gynécologie où l’endométriose pelvienne a été confirmée, l’indication d’une hystérectomie totale a été posée mais non acceptée par la patiente. Une hormonothérapie à base d’une association de lévonorgestrel et d’éthinylestradiol a été instituée pour maîtriser l’ascite, mais ce traitement est irrégulièrement suivi à cause du désir de grossesse de la patiente.
[caption id="attachment_4383" align="aligncenter" width="286"] Figure 4. Radiographie de contrôle de face du thorax sept ans après la phrénoplastie droite au fascia lata. On note une réduction résiduelle du champ pulmonaire droit sans épanchement pleural liquidien.[/caption]
3. Discussion
Dans l’endométriose thoracique, le tissu endométrial ectopique, qui garde les mêmes propriétés que l’endomètre intra-utérin, va subir les mêmes modifications cycliques mensuelles en réponse aux stimuli hormonaux, d’où l’intérêt d’une hormonothérapie suppressive dans son protocole thérapeutique. Selon Alifano, le saignement dans l’hémothorax cataménial proviendrait directement des implants endométriosiques thoraciques ou de l’érosion du tissu hôte créée par la destruction menstruelle de ces implants [1]. Chez notre patiente, l’hémothorax et l’ascite s’évacuaient par la seule ponction pleurale, des fenestrations diaphragmatiques ont été découvertes en peropératoire, l’ascite a récidivé seule après la fermeture de ces fenestrations et l’endométriose pelvienne a été confirmée. Nous pensons que l’hémothorax proviendrait aussi d’une ascite hémorragique produite par les implants endométriosiques pelviens et/ou abdominaux et sous l’effet du gradient de pression thoracoabdominal, le liquide hémorragique gagnerait secondairement la cavité pleurale via les fenestrations diaphragmatiques congénitales ou acquises. L’infection de cet hémothorax comme toute infection pleurale peut être d’origine pulmonaire, extrapulmonaire ou surtout iatrogène [7], comme probablement chez notre patiente où des ponctions pleurales itératives avaient été réalisées. L’infection iatrogène peut être évitée par une asepsie rigoureuse lors des ponctions et drainages pleuraux. Cette surinfection doit être traitée avant la chirurgie de l’hémothorax cataménial. La cure chirurgicale de l’hémothorax de notre patiente pouvait être différée de plusieurs mois grâce à une hormonothérapie suppressive d’attente qui, par blocage des menstrues, préviendrait provisoirement la récidive de l’hémothorax [8]. Ceci permettrait de s’assurer de l’éradication effective de l’infection et de l’amendement de l’inflammation mais nous risquions de sortir de la période de gratuité temporaire des soins dont bénéficiait cette patiente démunie. Le caractère inflammatoire postinfectieux de la cavité pleurale ne permettait pas de pratiquer ni une résection-suture des fenestrations diaphragmatiques, ni leur recouvrement prothétique décrits dans la littérature [1,2,4-6]. Nous avons craint respectivement le risque de lâchage des points de suture sous tension du diaphragme inflammatoire qui avait perdu sa souplesse et le risque infectieux. De plus, depuis une décennie, nous avons abandonné les résections et reconstructions diaphragmatiques par suture directe à cause du risque élevé de récidive, nous lui préférons la phrénoplastie de recouvrement [5,9]. Nous avons utilisé le fascia lata autologue en raison d’une part de sa disponibilité immédiate et gratuite en quantité suffisante par rapport aux hétérogreffes, et d’autre part de sa solidité et surtout de sa résistance aux infections déjà prouvées dans les reconstructions de la paroi thoracique [10].
4. Conclusion
L’hémothorax cataménial infecté est un cas inhabituel qui pose deux problèmes thérapeutiques : celui de l’infection pleurale qu’il faut préalablement traitée en urgence et celui de l’hémothorax cataménial postinfection. Lorsque l’hémothorax cataménial infecté est associé à des fenestrations diaphragmatiques, les patchs synthétiques étant contre-indiqués, la phrénoplastie de recouvrement au fascia lata autologue peut être une solution après la maîtrise de l’infection.
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Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared.
Date de soumission : 13/11/2018. Acceptation : 18/02/2019.
juin 7, 2019