Cas clinique · Vol. 23 Décembre 2019

Anévrysme géant de l’artère pulmonaire et maladie de Behçet : à propos d’un cas

Alia Machboua*, Adam Belarbi, Salima Hamraoui, Sara Zarouki, Rachid Marouf, Ihsan Alloubi   Service de chirurgie thoracique et cardiaque, CHU Mohamed VI, Oujda, Maroc.   * Correspondance : alia.machboua@gmail.com   DOI : 10.24399/JCTCV23-4-MAC Citation : Machboua A, Belarbi A, Hamraoui S, Zarouki S, Marouf R, Alloubi I. Anévrysme géant de l’artère pulmonaire et maladie de Behçet : à propos d’un cas. Journal de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 2019;23(4). doi: 10.24399/JCTCV23-4-MAC   RÉSUMÉ L’anévrysme de l’artère pulmonaire est une pathologie rare qui peut survenir dans le cadre de la maladie de Behçet. Nous rapportons le cas d’un patient de 16 ans, ayant un antécédent d’aphtose bipolaire, admis pour hémoptysie. La tomodensitométrie thoracique décrit une lésion vasculaire anévrysmale aux dépens de l’artère pulmonaire en intrascissurale, avec un faux chenal disséquant signant la prérupture. Une lobectomie inférieure droite a été réalisée avec des suites favorables. Un traitement de fond de la maladie de Behçet est instauré avec une bonne évolution clinique.   ABSTRACT About a Giant Aneurysm of the Pulmonary Artery and Behcet’s disease: case report The pulmonary artery aneurysm is a rare pathology. It can occur in the part of Behçet's disease. We report the case of a 16 year old patient, with a history of bipolar aphtosis admitted for hemoptysis. The Chest computed tomography describes aneurysmal vascular lesion, witch depends on the intra- scissural pulmonary artery, with a false chennel dissecting sign the pre-rupture. A lower right lobectomy was performed with favorable suites. A basic treatment of Behçet's disease is established with good clinical progress.   1. Introduction L’atteinte anévrysmale de l’artère pulmonaire constitue une pathologie rare, qui présente moins de 1% des anévrysmes intrathoraciques. Elle est définie par un diamètre aortopulmonaire (diamètre du tronc de l’artère pulmonaire sur le diamètre de l’aorte ascendante) supérieur à 2 ou un diamètre de l’artère pulmonaire supérieur à 40 mm. L’anévrysme de l’artère pulmonaire peut être congénital ou acquis, dans ce dernier cas il est souvent inclus dans le cadre d’une vascularite systémique, notamment la maladie de Behçet, et peut être inaugural de cette dernière. Nous rapportons le cas d’un jeune patient ayant un anévrysme de l’artère pulmonaire dans sa portion intrascissurale droite.   2. Observations Il s’agit de M. B., âgé de 16 ans, ayant comme passé pathologique la notion d’un ictère, d’une anémie et d’une aphtose bipolaire, admis pour hémoptysie de moyenne abondance, récidivante, associée à une toux, le tout évoluant depuis 4 mois dans un contexte de fièvre et de conservation de l’état général. L’examen physique trouve des râles crépitants de la base pulmonaire droite. Le reste de l’examen somatique est sans particularités. La radiographie thoracique [figure 1] a objectivé une opacité parahilaire droite à projection scissurale. Un angioscanner thoracique [figures 2a, b] a été demandé montrant une opacité ovalaire prenant intensivement le contraste, avec un halo circonférentiel disséquant la paroi de l’artère pulmonaire, et dont les reconstructions anatomiques évoquent à priori un anévrysme en prérupture. L’abord a été une thoracotomie postérolatérale droite, avec un contrôle premier du tronc de l’artère pulmonaire droite, ligature de l’artère pulmonaire en intrascissurale et par conséquent une lobectomie inférieure droite emportant la poche anévrysmale intraparenchymateuse. Les suites postopératoires ont été favorables avec une disparition complète de l’hémoptysie et une sortie J5 du postopératoire. La maladie de Behçet a pu être confirmée par la suite et un traitement de fond a été instauré. Après un recul de 8 ans, le patient demeure asymptomatique.     [caption id="attachment_4611" align="aligncenter" width="300"] Figure 1. Radiographie thoracique de face montrant une opacité parahilaire droite à projection scissurale.[/caption] [caption id="attachment_4612" align="aligncenter" width="300"] Figure 2a. TDM thoracique coupe axiale, en fenêtre médiastinale montrant une hyperdensité médiolobaire inférieure droite prenant intensivement le contraste avec un halo périlésionnel évoquant une prérupture.[/caption] [caption id="attachment_4613" align="aligncenter" width="300"] Figure 2b. TDM thoracique coupe axiale, en fenêtre parenchymateuse montrant une hyperdensité médiolobaire inférieure droite avec hématome péri-anévrysmal et aspect en verre dépoli en aval évoquant une hémorragie intra-alvéolaire. [/caption]   3. Discussion L’anévrysme de l’artère pulmonaire est une pathologie rare. En effet, Deterling et Clagett ont rapporté seulement 8 cas en 1947 pour 109571 autopsies sur une période de 100 ans [1]. L’anévrysme de l’artère pulmonaire survient essentiellement dans le cadre de la maladie de Behçet, qui est une vascularite systémique affectant le sujet jeune, généralement de 20 à 30 ans avec une prédominance masculine. Il peut survenir également dans le cadre du syndrome de Hughes-Stovin [2], associant souvent une hémoptysie avec une atteinte systémique, oculaire ou vasculaire de type thrombose veineuse profonde, pouvant atteindre les veines des membres inférieurs ou le tronc de la veine cave inférieure. Le tableau clinique, qui n’est pas spécifique, fait souvent état d’une hémoptysie, parfois associée à des signes extrathoraciques faisant évoquer une atteinte systémique comme l’aphtose bipolaire, ou l’atteinte oculaire, comme le cas de notre patient. La confirmation diagnostique repose sur l’exploration radiologique, la radiographie thoracique montre une opacité bien limitée souvent juxtahilaire, et l’angioscanner thoracique confirme la nature vasculaire de ces lésions. Vu la rareté de cette pathologie, le traitement n’est pas codifié [3], la prise en charge peut se faire par traitement endovasculaire de type embolisation [4], mais souvent l’évolution est dominée par la récidive d’hémoptysie. Le traitement chirurgical s’impose à chaque fois où le risque de rupture de l’anévrysme est important, l’évolution spontanée de ces anévrysmes se fait soit par l’augmentation de leur taille et leur fissuration dans les bronches avec hémoptysie mortelle, soit par la survenue d’autres anévrysmes. Le traitement de fond de l’étiologie est nécessaire pour pallier les récidives. Des rétrocessions d’anévrysmes ont été obtenues sous corticoïdes, cyclophosphamide ou thalidomide [5-7].   4. Conclusion Les anévrysmes de l’artère pulmonaire demeurent une pathologie rare, souvent associée à une pathologie systémique, leur prise en charge est codifiée par le volume de l’anévrysme et l’existence de signes de prérupture, essentiellement une hémoptysie qui devrait précipiter la prise en charge chirurgicale de ces patients.   Références Deterling RA, and Clagett OT. Aneurysm of the pulmonary artery: Review of the literature and report of a case. American Heart Journal 1947;34(4):471-499 DOI:10.1016/0002-8703(47)90527-9 https://doi.org/10.1016/0002-8703(47)90527-9 Bennji SM, du Preez L, Griffith-Richards S, et al. Recurrent pulmonary aneurysms, Hughes Stovin syndrome on Spectrum of Behçet disease. Chest Journal 2017;07-15 DOI: 10.1016/j.chest.2017.07.015 https://doi.org/10.1016/j.chest.2017.07.015 PMid:29126538 Takahama M, Yamamoto R, Nakajima R, Tada H. Successful surgical treatment of pulmonary artery aneurysm in Behcet's syndrome: case report. 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Thorax Journal 2001;56:572-578 DOI:10.1136/thorax.56.7.572 https://doi.org/10.1136/thorax.56.7.572 PMid:11413359 PMCid:PMC1746103   Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared. Date de soumission : 02/06/2019. Acceptation : 08/11/2019.     
décembre 13, 2019
Cas clinique · Vol. 21 Septembre 2017

Une hématémèse de grande abondance révélant une fistule prothétodigestive après chirurgie pour maladie de Behçet

Rim Karray1, Hèla Ben Jmaà2*, Olfa Chakroun1, Aiman Dammak2, Iheb Souissi3, Mabrouk Bahloul4, Noureddine Rekik1, Imed Frikha2   1. Service des urgences et SAMU 04 CHU Habib Bourguiba, Sfax, Tunisie. 2. Service de chirurgie cardiovasculaire et thoracique, CHU Habib Bourguiba, Sfax, Tunisie. 3. Service d’anesthésie-réanimation, CHU Habib Bourguiba, Sfax, Tunisie. 4. Service de réanimation médicale, CHU Habib Bourguiba, Sfax, Tunisie. * Correspondance : helabenjemaa2015@gmail.com DOI : 10.24399/JCTCV21-3-KAR Citation : Karray R, Ben Jmaa H, Chakroun O, Dammak A, Souissi I, Bahloul M, Rekik N, Frikha I. Une hématémèse de grande abondance révélant une fistule prothétodigestive après chirurgie pour maladie de Behçet. Journal de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 2017;21(3). doi: 10.24399/JCTCV21-3-KAR   Résumé Au cours de la maladie de Behçet, l’atteinte artérielle anévrysmale est beaucoup moins fréquente que l’atteinte veineuse. Elle touche le plus souvent l’aorte abdominale. Même après traitement, les complications demeurent graves et sont dominées par les récidives et les faux anévrysmes anastomotiques. Les fistules prothétodigestives sont parmi les complications rares au cours de la maladie de Behçet. Nous rapportons l’observation d’un patient âgé de 54 ans atteint de maladie de Behçet, opéré en urgence pour hémorragie digestive secondaire à une fistule prothétoduodénale. Dans la période postopératoire, le patient est décédé dans un tableau d’état de choc septique.   Abstract A great abundance hematemesis revealing a prostheto-enteric fistula after surgery for Behçet's disease Arterial aneurysms are less frequent than venous involvement in patients with Behçet disease. The most frequent location of these aneurysms is the abdominal aorta. After surgical repair, the recurrence of aneurysms, anastomotic pseudo-aneurysms, and fistula between prosthetic bypass and the duodenum are considered severe complications. Here we report the case of a 54-year-old patient with Behçet disease, who underwent surgery for abdominal aortic aneurysm 1 year previously, and who was admitted to the emergency unit for hematemesis. Fibroscopy confirmed a fistula between the prosthetic bypass and the duodenum. The patient underwent surgical resection of the prosthesis, which was infected, anastomosis of the duodenum, and revascularization by an axillo-bifemoral bypass.  In the postoperative period, the patient died secondary to a septic shock.   1. Introduction L’atteinte de l’aorte abdominale représente l’atteinte artérielle la plus fréquente au cours de la maladie de Behçet [1]. Les anévrysmes sont plus fréquents que les occlusions aortiques et nécessitent une réparation chirurgicale du fait du risque de rupture [2,3]. Les fistules aortodigestives constituent une complication qui a été rarement rapportée au cours de la maladie de Behçet [1,4]. Elles peuvent être primaires ou secondaires après chirurgie de reconstruction aortique. Les fistules secondaires constituent une communication entre l’aorte au niveau de sa ligne de suture proximale et le tractus gastro-intestinal. Leur diagnostic est difficile et doit être évoqué précocement. Elles se manifestent le plus souvent par une hémorragie digestive haute, parfois massive. Leur évolution spontanée est grave mettant en jeu le pronostic vital des patients. L’aorte étant immédiatement en arrière du deuxième et du troisième duodénums, elles sont souvent aortoduodénales, mais parfois ilio-intestinales ou coliques [1,4]. Nous rapportons un cas d’une hématémèse de grande abondance suite à une fistule prothétodigestive compliquant une chirurgie aortique au cours de la maladie de Behçet.   2. Observation Un homme âgé de 54 ans a consulté aux urgences pour hémorragie digestive haute de grande abondance. Le patient était atteint de maladie de Behçet évoluant depuis 18 ans. Il a été opéré il y a un an pour un anévrysme inflammatoire de l’aorte abdominale sous-rénale qui s’étend jusqu’à la bifurcation aortique, pour lequel il a bénéficié d’une mise en place d’une prothèse aorto-bi-iliaque, et a été mis sous corticoïdes et colchicine. L’examen à l’admission a montré un patient fébrile avec une hémorragie digestive de grande abondance, extériorisée sous forme d’hématémèse et de méléna. L’évolution a été marquée par l’installation d’un état de choc qui s’est stabilisé par le remplissage et les transfusions avec tarissement de l’hémorragie. À la biologie, on a noté un syndrome inflammatoire biologique avec une hyperleucocytose à 15000 éléments/mm3, une VS à 70 à la première heure et une CRP à 156mg/l, une anémie avec une hémoglobine à 7,8 g/dl. Le reste du bilan biologique a été normal. La fibroscopie œsogastroduodénale a montré un saignement du duodénum. Le scanner abdomino-pelvien n’a pas objectivé de véritable fistule prothétodigestive, mais il a montré un magma d’anses en regard de la prothèse. Devant ce tableau, la décision a été d’opérer le patient par une double équipe de chirurgie cardiovasculaire et de chirurgie générale. L’intervention s’est déroulée à travers un abord de l’ancienne laparotomie médiane. L’exploration peropératoire a mis en évidence une prothèse infectée entourée par du pus et non adhérente, avec une communication entre la prothèse et le duodénum [figure 1]. La prothèse a été explantée en sa totalité, l’aorte et les deux artères iliaques ont été ligaturées. Le deuxième duodénum a été réséqué, et la continuité digestive a été rétablie par une anastomose avec l’anse iléale. La dernière étape de l’intervention a consisté en une revascularisation extra-anatomique des deux membres inférieurs par la confection d’un pontage axillobifémoral.   [caption id="attachment_3817" align="aligncenter" width="300"] Figure 1. Vue peropératoire montrant une fistule prothétodigestive.[/caption]   Durant la période postopératoire, les deux membres inférieurs étaient chauds et le patient a récupéré tous ses pouls distaux, mais l’état hémodynamique du patient était instable avec une fièvre persistante, ce qui a nécessité sa mise sous catécholamines et sous antibiothérapie à large spectre. L’évolution était marquée par le décès du patient deux jours après l’intervention dans un tableau de choc septique. L’examen bactériologique du prélèvement peropératoire a isolé un Escherichia coli. L’examen anatomopathologique d’un fragment de la paroi aortique a confirmé la présence d’un infiltrat de cellules inflammatoires.   3. Discussion La fistule prothétodigestive est une affection grave qui doit être évoquée systématiquement en cas d’hémorragie digestive chez un patient porteur de prothèse aortique. Elle est particulièrement fréquente en cas d’infection de prothèses intra-abdominales [5]. La maladie de Behçet est une vascularite systémique évoluant par poussées successives imprévisibles qui associe une aphtose bipolaire buccogénitale, une uvéite et des manifestations systémiques notamment cutanées, articulaires, neurologiques et vasculaires (angio-Behçet) [6,7]. L’angio-Behçet est dominé par les thrombophlébites [8]. L’atteinte artérielle est rare au cours de cette pathologie. Elle touche 1 à 2 % des patients [9]. Elle touche avec une prédilection les gros troncs artériels notamment l’aorte, les artères rénales, l’artère poplitée et l’artère pulmonaire. Les anévrysmes de l’aorte abdominale sont plus fréquents que les occlusions et constituent une cause majeure de mortalité à cause du risque de rupture [2,10]. Leur traitement associe la chirurgie à un traitement médical à base de corticostéroïdes et d’immunosuppresseurs visant à diminuer la récurrence de l’atteinte artérielle. La chirurgie de ces anévrysmes au cours de la maladie de Behçet expose à la survenue de faux anévrysmes anastomotiques, la récidive d’anévrysmes, la thrombose des greffons et la fistulisation aux organes adjacents surtout les veines et l’intestin [10,11]. Les fistules aortodigestives secondaires à la chirurgie de reconstruction aortique au cours de la maladie de Behçet constituent une complication rare mais sévère [1,4]. Leur fréquence varie entre 0,4 et 6 % selon les séries [12,13]. Ceci peut être expliqué par la rareté de cette vascularite, la rareté de l’atteinte artérielle au cours de cette maladie et la rareté de cette complication. La pathogénie de ces fistules est complexe. Elle associe des facteurs infectieux locaux, un traumatisme digestif durant la dissection ou par des pseudoanévrysmes anastomotiques, qui sont particulièrement fréquents au cours de la maladie de Behçet, ou par les sutures elles-mêmes sur une paroi aortique fragile, les adhérences fibreuses entre la prothèse pulsatile et l’intestin étant responsables d’un traumatisme intestinal permanent [7,13]. Ainsi, au cours de la maladie de Behçet, la réaction inflammatoire et la fibrose fragilisent la paroi aortique et favorisent de plus en plus l’apparition de ces fistules prothétodigestives et accélèrent leur survenue. Aussi, la mise des patients sous corticothérapie et sous immunosuppresseurs au long cours est un facteur favorisant de l’infection prothétique. Les rapports anatomiques font que la localisation de la fistule est le plus fréquemment duodénale [13]. Dans la littérature, la latence moyenne est de 3 ans avec des extrêmes de 2 jours à 15 ans [12,14], dans notre cas ce délai était d’un an. Le diagnostic positif de ces atteintes est difficile. En effet, les signes d’appel sont variés à type de fièvre, douleurs abdominales, hyperleucocytose ou anémie [15]. Mais le plus souvent elles se manifestent par une hémorragie digestive haute, parfois massive, survenant quelques mois à quelques années après l’intervention [12]. Il s’agit classiquement d’une hémorragie sentinelle récidivante plus ou moins rapidement (au bout de quelques heures à quelques jours) jusqu’à l’hémorragie massive comme c’était le cas de notre patient. De ce fait, la survenue d’un ou de plusieurs de ces signes chez un patient, porteur d’une prothèse aortique ou atteint d’une vascularite systémique comme la maladie de Behçet, doit faire évoquer le diagnostic d’une fistule aortoentérique, réaliser en urgence les examens complémentaires nécessaires, voire même une laparotomie diagnostique et thérapeutique au besoin. L’endoscopie est l’examen de choix pour le diagnostic précoce conduisant à une intervention chirurgicale précoce et salvatrice. Elle permet en plus d’éliminer une cause ulcéreuse de l’hémorragie digestive [16]. Ainsi, une fibroscopie œsogastroduodénale est recommandée au stade le plus précoce chez tout patient présentant des antécédents de maladie de Behçet ou de reconstruction vasculaire abdominale qui présente des signes d’hémorragie digestive et/ou de fièvre inexpliquée [16]. Le duodénum doit être exploré aussi loin que possible jusqu’à sa troisième portion [17]. Par ailleurs, une endoscopie négative ne permet pas d’exclure le diagnostic de fistule aortodigestive. Cet examen doit être alors répété si l’état du patient le permet afin d’exclure d’autres sources de saignement. Si l’endoscopie n’est pas contributive, le scanner thoracoabdominal est indispensable chez les patients stables. Ce dernier peut montrer une collection périphérique avec des bulles d’air [12]. Cependant, la TDM est parfois incapable de distinguer la fistule aortodigestive de l’infection périprothétique sans fistulisation. Chez ces patients aussi, l’artériographie faite en période hémorragique peut avoir un double intérêt diagnostique et thérapeutique. En effet, elle peut montrer une extravasation du produit de contraste ou un faux anévrysme anastomotique [12,15] ; et chez les patients fragiles à haut risque d’anesthésie, un geste d’embolisation peut être envisagé dans l’attente de réaliser un geste radical dans un second temps [18]. Toutefois, tous ces examens complémentaires ne doivent en aucun cas retarder l’intervention chirurgicale qui doit être réalisée en urgence ou en semi-urgence. Une laparotomie à double visée diagnostique et thérapeutique peut être réalisée d’emblée au besoin. Le type de l’intervention sera discuté selon l’état de malade (score ASA, syndrome infectieux) et des conditions locales. Une enquête bactériologique est réalisée, à savoir des hémocultures et des prélèvements peropératoires. Il s’agit d’entérobactéries dans 40 % des cas [12]. Chez notre patient, le germe isolé était Escherichia coli, il a été mis sous céfotaxime et métronidazole. La chirurgie constitue le traitement de référence des fistules aortodigestives, mais celle-ci est grevée d’un risque élevé de morbidité et de mortalité. Elle doit être réalisée dans des centres experts associant une équipe de vasculaire, de chirurgie digestive et de réanimation. Une résection de la prothèse aortique et des tissus avoisinants infectés doit être réalisée. En plus, le traitement comporte le traitement simultané et adapté du versant digestif de la fistule prothétodigestive et un remplacement de la prothèse aortique par une allogreffe aortique cryopréservée, soit une ligature aortique avec revascularisation des membres inférieurs par un pontage extra-anatomique [13]. Le traitement endovasculaire par la mise en place d’une endoprothèse aortique ou la réalisation d’une radioembolisation peut représenter une alternative thérapeutique dans des cas bien précis [17,18]. Ozguc H et al. [19] ont rapporté un cas similaire de fistule entre l’anastomose aortique proximale et le tube digestif chez un homme âgé de 34 ans atteint de maladie de Behçet, et opéré il y a 6 mois d’un anévrysme de l’aorte abdominale. Mais un traitement conservateur a été pratiqué chez ce patient : la prothèse n’a pas été réséquée mais elle a été suturée et couverte par le grand épiploon avec son pédicule, avec des suites favorables. Alkim H et al. [20] ont rapporté le cas d’un homme âgé de 38 ans, suivi pour maladie de Behçet, qui a été opéré pour un pseudoanévrysme rompu de l’aorte abdominale par l’interposition d’un greffon prothétique tubulaire. Quinze mois plus tard, il a été réadmis pour une hémorragie digestive de grande abondance, avec une fièvre. À l’endoscopie digestive, le diagnostic d’une fistule entre le greffon et le duodénum était retenu. Il a bénéficié de la résection de la prothèse avec suture digestive et interposition d’une deuxième prothèse avec omentoplastie. Chez notre patient, devant le caractère urgent de l’atteinte et devant la non-disponibilité d’une allogreffe et d’une endoprothèse, nous avons opté pour la ligature et la revascularisation extra-anatomique. La technique de reconstruction extra-anatomique est grevée d’une mortalité postopératoire élevée par le risque de rupture du moignon aortique, la dévascularisation pelvienne et le risque de nécrose colique [21]. La revascularisation anatomique par une nouvelle prothèse est une alternative qui comporte un taux élevé de récidive de l’infection [21]. Le recours à des allogreffes réduit le risque de récidive infectieuse. Cependant, la disponibilité des allogreffes est un facteur limitant de cette technique, surtout en urgence. L’importance des lésions digestives est aussi un facteur pronostique majeur [22].   4. Conclusion Notre cas rapporté confirme que la fistule prothétodigestive est une affection grave qui doit être évoquée systématiquement en cas d’hémorragie digestive chez un patient porteur de prothèse aortique. Elle est particulièrement fréquente chez les patients opérés pour anévrysmes secondaires à une maladie de Behçet du fait de la fragilité de la paroi aortique par l’inflammation lors de cette affection, et de la mise de ces patients sous traitements corticoïde et immunosuppresseur. Une prise en charge multidisciplinaire précoce est nécessaire. Ce traitement est basé sur l’excision de la prothèse et son remplacement par une allogreffe aortique cryopréservée ou par un pontage extra-anatomique et le traitement simultané et adapté du versant digestif de la fistule.   Références Ben Ghorbel I, Ibn Elhadj Z, Miled M, Houman M-H. Hématémèse de grande abondance par rupture d'un anévrisme de l'aorte abdominale dans le tube digestif au cours d'une maladie de Behçet. La Revue de médecine interne 2006;27:504-506. https://doi.org/10.1016/j.revmed.2006.03.007 PMid:16713029 Taberkant M, Chtata H, Lekehal B, Alaoui M, Sefiani Y, Boughroum A et al. 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septembre 21, 2017