Chirurgie cardiaque · Vol. 20 Septembre 2016
Hèla Ben Jmaà1, Sayda Masmoudi1, Hassen Jmal1, Nesrine Ghorbel1, Aiman Mâalej 2, Taieb Cherif 1, Iheb Souissi 3, Imed Frikha1.
1 Service de chirurgie cardiovasculaire et thoracique, CHU Habib Bourguiba, Sfax, Tunisie.
2 Service d’imagerie médicale, CHU Habib Bourguiba, Sfax, Tunisie.
3 Service d’anesthésie-réanimation, CHU Habib Bourguiba, Sfax, Tunisie.
* Correspondance : helabenjemaa2015@gmail.com
Résumé
Les lésions occlusives de l’artère sous-clavière sont fréquentes et souvent peu symptomatiques. L’objectif de notre étude rétrospective, portant sur 13 patients opérés pour une lésion occlusive de l’artère sous-clavière entre janvier 1989 et mai 2013, était de dégager les principales étiologies des lésions occlusives de l’artère sous-clavière, de détailler la stratégie diagnostique et thérapeutique, et d’évaluer nos résultats en les comparant à ceux de la littérature.
L’étiologie retrouvée était l’athérosclérose dans la majorité des cas. Les troubles ischémiques du membre supérieur étaient les principales indications de revascularisation. Tous les patients ont eu une revascularisation chirurgicale, essentiellement par un pontage carotido-axillaire. Les suites de l’intervention ont été marquées par la récupération des pouls du membre supérieur chez tous les patients.
Abstract
Surgical revascularization of occlusive injury of the subclavian artery
Occlusive lesions of the subclavian artery are common and are often minimally symptomatic. The aim of our retrospective study of 13 patients who underwent a surgery for occlusive lesion of the subclavian artery, between January 1989 and May 2013, was to identify the main etiologies of these lesions, describe the diagnostic and therapeutic strategy, evaluate our results and compare them with the literature studies.
The most common etiology was atherosclerosis. Ischemic disorders of the upper limb were the main indications for correction of these lesions. All patients underwent surgery mainly by a carotid-axillary artery bypass. We had no complications in surgery follow-up.
1. INTRODUCTION
Les lésions occlusives de l’artère sous-clavière sont fréquentes et peu symptomatiques. Leur étiologie la plus fréquente est l’athérosclérose.
Les indications de la revascularisation de ces lésions sont dominées par l’ischémie du membre supérieur, conséquence de l’occlusion artérielle ou d’une complication embolique à partir de la lésion proximale.
Depuis les années 1970, la chirurgie de ces lésions a connu un réel essor. Du pontage anatomique intrathoracique aorto-sous-clavier à l’angioplastie, en passant par les pontages carotido-sous-claviers et la transposition, les techniques de restauration artérielle ont été nombreuses.
L’objectif de notre étude était de dégager les principales étiologies de ces lésions dans notre série, de détailler les techniques de revascularisation utilisées chez nos patients, et évaluer nos résultats en les comparant à ceux de la littérature.
2. MATÉRIEL ET MÉTHODES
C’est une étude rétrospective monocentrique descriptive, incluant tous les patients ayant bénéficié d’une restauration artérielle pour lésions occlusives de l’artère sous-clavière, dans le service de chirurgie cardiovasculaire et thoracique de l’hôpital Habib Bourguiba de Sfax entre janvier 1989 et mai 2013. Le nombre total de patients était 13.
Nous avons recueilli pour chaque patient les facteurs de risque cardiovasculaires, l’étiologie de l’atteinte de l’artère sous-clavière, les manifestations personnelles d’ordre artériel et d’ordre neurologique, les données de l’examen physique et des examens paracliniques.
Nous avons précisé aussi pour chaque patient l’indication et la technique opératoire utilisée en précisant la voie d’abord, le type de chirurgie et le greffon utilisé, et les résultats de la chirurgie.
3. RÉSULTATS
L’âge moyen était de 48,8 ans avec des extrêmes allant de 24 à 73 ans. Huit de nos patients étaient de sexe masculin, et 5 de sexe féminin.
Les étiologies de l’atteinte de l’artère sous-clavière sont représentées dans le tableau 1.
Étiologies
Nombre de patients
Athérosclérose
6
Maladie de Takayasu
2
Syndrome du défilé thoracobrachial
2
Traumatisme
3
Tableau 1. Répartition des étiologies de l’atteinte de l’artère sous-clavière.
Neuf patients sur 13 ont été opérés du côté gauche. Deux patients ont présenté une atteinte sous-clavière bilatérale, dont une seule a été opérée des deux côtés.
Les signes d’ischémie du membre supérieur ont été retrouvés chez la majorité de nos patients (12 patients sur 13). À des degrés de sévérité variables, on a distingué :
La douleur de repos a été retrouvée chez 3 patients, soit 23 % des cas.
Des paresthésies du membre supérieur ont été notées chez 2 patients soit 15,38 % des cas.
Les douleurs à l’effort ont été notées chez 7 patients soit 38,46 % des cas.
Les signes vertébrobasilaires ont été retrouvés chez 3 patients uniquement, soit 23 % des cas. Ces signes étaient associés à des signes ischémiques du membre supérieur.
Un seul patient était asymptomatique. La lésion de l’artère sous-clavière était suspectée devant la notion de polytraumatisme avec fracture de l’épaule et la présence d’un important hématome sus-claviculaire.
Les signes de l’examen physique sont représentés dans le tableau 2. Certains patients avaient une association de plusieurs signes.
Signes physiques
Nombre de patients
Froideur et pâleur
11
Déficit sensitivomoteur
4
Abolition des pouls
11
Troubles trophiques
1
Œdème du membre supérieur
1
Comblement du creux sus-claviculaire
1
Hématome sus-claviculaire
2
Souffle sous-clavier
6
Tableau 2. Répartition des signes physiques chez les patients.
Une radiographie thoracique standard a été effectuée chez tous les patients. Elle a montré des fractures de l’omoplate ou de l’humérus dans 3 cas, une fracture ancienne consolidée de la clavicule dans 1 cas, et une côte cervicale bilatérale dans 1 autre cas.
L’écho-doppler artériel a été pratiqué chez 8 patients. Il a montré des sténoses significatives de l’artère sous-clavière chez 5 patients, un amortissement du flux artériel du membre supérieur sans visualisation de la lésion anatomique chez 1 patient, et une thrombose de l’artère sous-clavière chez 2 patients.
Une artériographie conventionnelle a été pratiquée chez 3 patients. Un angioscanner des troncs supra-aortiques et des membres supérieurs a été réalisé chez 10 patients.
Les lésions de l’artère sous-clavière étaient à gauche chez 9 patients, à droite chez 2 patients, et bilatérales chez 2 patients [figure 1].
[caption id="attachment_2587" align="aligncenter" width="250"] Figure 1. Sténose préocclusive de l’artère sous-clavière gauche prévertébrale (flèche).[/caption]
Tous nos malades ont été traités chirurgicalement [figures 2 à 4]. Une patiente a été opérée des 2 côtés à un mois d’intervalle, soit un nombre total de 14 restaurations artérielles.
Les voies d’abord utilisées chez nos patients sont résumées dans le tableau 3.
Voie d’abord
Nombre de patients
Cervicale transverse sus-claviculaire
5
Cervicale transverse sus et sous-claviculaire
1
Voie horizontale sous-claviculaire
1
Cervicale longitudinale et axillaire
3
Cervicale longitudinale et humérale
4
Tableau 3. Les voies d’abord chirurgicales.
Les techniques de revascularisation chirurgicale réalisées chez nos patients sont résumées dans le tableau 4.
Type de l’intervention
Nombre de patients
Pontage carotido-sous-clavier
4
Pontage carotido-axillaire
4
Pontage carotido-huméral
4
Transposition sous-claviocarotidienne
1
Résection-anastomose terminoterminale
1
Tableau 4. Techniques de revascularisation chirurgicale.
[caption id="attachment_2588" align="aligncenter" width="287"] Figure 2. Contrôle de l’artère carotide primitive, l’artère sous-clavière, et l’artère vertébrale gauche.[/caption]
[caption id="attachment_2589" align="aligncenter" width="300"] Figure 3. Section de l’artère sous-clavière et fermeture du bout proximal.[/caption]
Figure 4. Anastomose termino-latérale entre l’artère
sous-clavière et la carotide primitive.
Le matériau utilisé pour les pontages était une veine saphène interne dans 5 cas, et une prothèse en PTFE dans 7 cas. Un de nos patients, opéré pour syndrome du défilé thoracobrachial, a eu, en plus du geste de revascularisation du membre supérieur, une résection de la première côte et de la côte cervicale.
Les suites opératoires précoces étaient favorables chez tous les patients. Aucun cas de thrombose précoce n’a été noté.
Tous les patients sont suivis de façon régulière. Aucun cas de thrombose tardive n’a été noté. Le recul moyen de nos patients est de 8,61 ans avec des extrêmes de 2 à 24 ans.
4. DISCUSSION
L’étiologie la plus fréquente des lésions occlusives de l’artère sous-clavière est l’athérosclérose [1]. Six de nos patients (46 %) avaient cette étiologie. L’atteinte du côté gauche prédominait dans la majorité des études [2-4]. Neuf patients (69 %) ont été opérés du côté gauche.
Deux de nos patients avaient un syndrome du défilé thoracobrachial: le premier avait une côte cervicale bilatérale et le deuxième était porteur d’un matériel d’ostéosynthèse mis en place pour un traumatisme de la clavicule, responsable d’une thrombose de l’artère sous-clavière. La maladie de Takayasu est retrouvée dans 5 % des cas [5]. Cette étiologie a été retrouvée chez 2 de nos patients.
Les lésions traumatiques de l’artère sous-clavière sont assez rares. Il peut s’agir soit d’une contusion directe de la région costoclaviculaire, soit d’un étirement de l’artère à la jonction entre la zone fixe et la zone mobile, provoquant l’arrachement des collatérales et la déchirure de l’artère. Trois de nos patients ont présenté des traumatismes vasculaires de l’artère sous-clavière suite à des accidents de la voie publique.
La symptomatologie clinique est variable selon la qualité de la collatéralité et de la rapidité d’installation de la lésion occlusive. Dans la population étudiée par Spinelli [2], 17 % des patients avaient une claudication intermittente du membre et 39 % avaient des douleurs de repos. Dans la série de Bergqvist [6], 65 % des patients avaient une claudication intermittente du membre supérieur. L’insuffisance vertébrobasilaire est assez fréquente [1]. Trois de nos patients décrivaient la symptomatologie vertébrobasilaire à type de vertiges rebelles au traitement médical.
La radiographie du rachis cervical est intéressante pour le diagnostic du syndrome du défilé thoraco-brachial. La présence d’une côte cervicale surnuméraire est un élément important à objectiver qu’elle soit unilatérale ou bilatérale [7]. L’examen échodoppler est actuellement réalisé de première intention, car il permet une étude morphologique et hémodynamique du réseau artériel [8]. L’angio-TDM permet des reconstructions tridimensionnelles pour étudier le degré de sténose [9]. Concernant notre pratique et depuis l’avènement de l’angioscanner dans notre institution, il est devenu le gold standard. Dix de nos patients en ont bénéficié depuis, il était très contributif au diagnostic positif et à l’orientation étiologique dans tous les cas. L’artériographie était auparavant la technique de référence, mais actuellement elle n’est plus de pratique courante depuis l’avènement de l’angioscanner [10]. Elle est réalisée seulement comme prélude au traitement endovasculaire.
La découverte d’une lésion sous-clavière asymptomatique ne relève que d’une simple surveillance. Les troubles ischémiques du membre supérieur sont les indications les plus fréquentes motivant la correction de ces lésions [11]. L’ischémie aiguë est l’indication d’une intervention dans les plus brefs délais. Les claudications intermittentes du membre supérieur ne constituent une indication à la revascularisation que si elles entravent l’activité quotidienne ou professionnelle du malade, chez qui un traitement médical a été bien conduit.
Les lésions traumatiques doivent être opérées en urgence. Chez les malades instables sur le plan hémodynamique, l’intervention doit être faite sans exploration radiologique. Les malades stables doivent être opérés après exploration. La transposition sous-clavio-carotidienne est la technique de référence de restauration de l’artère sous-clavière [3,4]. Cette technique est simple et ses résultats à long terme sont excellents [12]. Le pontage carotido-sous-clavier constitue une bonne alternative quand la transposition n’est pas possible [3,13]. Le pontage carotido-axillaire et le pontage carotido-huméral constituent une variante du pontage carotido-sous-clavier [3].
Dans notre série, une seule patiente a eu une transposition. En effet, au début de notre expérience, on n’a pas pu réaliser des transpositions du fait des difficultés techniques et des présentations anatomiques peu propices. Actuellement, c’est notre alternative de choix chaque fois que les conditions anatomiques le permettent.
La mortalité après chirurgie est nulle pour de nombreux auteurs [14,15]. Dans d’autres séries, elle est variable, mais reste toujours inférieure à 5 % [16]. Elle était nulle dans notre série.
Les thromboses et les sténoses sont des complications peu nombreuses qui varient de 0 à 6 % selon de nombreux auteurs [17]. La perméabilité après transposition dans la majorité des études varie de 92,6 % à 100 % à 5 ans [13,18]. Dans la majorité des séries, la perméabilité des pontages carotido-sous-claviers varie de 82,6 % à 90 % à 5 ans [1,2]. Dans notre série, le taux de perméabilité primaire de la revascularisation chirurgicale par pontage était de 100 % à 2 ans. Le taux de perméabilité à 5 ans était de 95 % dans la série de Linni [4]. La perméabilité actuarielle dans la série de Li [19] est respectivement à 1 et 4 ans de 95,3 % et 84,9 %.
Le traitement endovasculaire est une nouvelle alternative thérapeutique moins invasive que la chirurgie, qui permet d’éviter les incisions et le clampage artériel. Le taux de succès primaire de la recanalisation endovasculaire des lésions occlusives proximales de l’artère sous-clavière est compris entre 70 % et 100 % [4,19]. Cependant, il ne doit être envisagé qu’avec prudence compte tenu du risque embolique dans l’axe carotidien. En plus, le taux de perméabilité à long terme du traitement chirurgical est meilleur que celui du traitement endovasculaire.
Il ne nous a été pas possible de réaliser des thérapeutiques endovasculaires pour des raisons d’indisponibilité du matériel nécessaire. Nous espérons introduire prochainement ces techniques endovasculaires dans notre arsenal thérapeutique.
5. CONCLUSION
Les lésions occlusives de l’artère sous-clavière sont assez rares et sont caractérisées par leur grande latence clinique. La principale étiologie est l’athérosclérose.
Les troubles ischémiques du membre supérieur constituent la principale indication de revascularisation.
La transposition sous-clavio-carotidienne est la technique de référence dans la revascularisation chirurgicale de ces lésions. Le pontage carotido-sous-clavier est une alternative quand la transposition n’est pas réalisable. Le traitement endovasculaire est actuellement de plus en plus utilisé.
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Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared.
Date de soumission : 09/02/2016. Acceptation : 19/05/2016. Pré-publication : 17/06/2016.
septembre 15, 2016