Dix règles simples pour mieux se défendre en cas de mise en cause judiciaire
Roland Demaria, expert près la cour d’appel de Montpellier
Chirurgie cardiaque, CHU et université de Montpellier
Correspondance : r-demaria@chu-montpellier.fr
DOI : 10.24399/JCTCV21-2-DEM
Citation : Demaria R. Dix règles simples pour mieux se défendre en cas de mise en cause judiciaire. Journal de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 2017;21(2). doi: 10.24399/JCTCV21-2-DEM
La recherche d’une responsabilité en cas de complication postopératoire, même mineure, associée à une demande de réparation financière, concerne davantage notre pratique chirurgicale que celle de nos maîtres. Si cela ne doit pas être inutilement exagéré, il convient cependant de se prémunir, en cas de mise en cause judiciaire, de toute pratique qui pourrait être préjudiciable pour le chirurgien dans la procédure.
Dix règles simples de bonne pratique permettront de se défendre efficacement, voire d’éviter un conflit pénible pour toutes les parties. Elles seront à respecter en amont, pendant et après l’intervention.
Règle 1 : Être « dans les clous » concernant sa pratique personnelle.
À savoir, pratiquer la chirurgie pour laquelle on est correctement formé, diplômé, bien assuré, dans des conditions de moyens reconnus dans son centre. Il est fortement souhaitable d’être accrédité, d’être membre du Collège et de sa société savante. Tout cela montre que vous êtes totalement compétent et reconnu pour réaliser la prise en charge de cette pathologie et évitera une brèche facilement exploitable contre vous. Enfin, ne pas opérer alors qu’on était de garde la veille en ayant passé toute la nuit au bloc opératoire. Un exemple est le chirurgien cardiaque qui ferait son endartériectomie carotidienne annuelle le lendemain d’une nuit complète passée sur une dissection aortique, et dont le patient aurait au réveil une paraplégie…
Règle 2 : Tout malade pris en charge doit l’être après discussion pluridisciplinaire médicochirurgicale, et cela doit être écrit dans le dossier médical.
On doit se référer au staff de service, à la discussion avec les cardiologues (nommer les principaux), les anesthésistes, gériatres ou d’autres intervenants. Il faut pouvoir montrer que la décision opératoire – voire les gestes réalisés – a été prise de manière consensuelle, après discussion collégiale du dossier. Il est souhaitable de « coller » aux recommandations au mieux, mais il peut arriver que le fait d’être hors recommandations soit compris à condition d’expliquer clairement les raisons, et que cela fût une décision collégiale, du fait du contexte global de ce patient.
Règle 3 : Tout malade pris en charge doit être pleinement et clairement informé par le chirurgien, et cela doit être écrit dans le dossier médical.
Le chirurgien doit informer le patient, le plus en amont possible de la chirurgie afin de laisser un temps de réflexion suffisant. Cette information doit porter sur la discussion pluridisciplinaire qui a eu lieu et qui a abouti à l’indication, sur les risques de l’évolution naturelle de sa maladie, sur les alternatives thérapeutiques éventuelles, sur l’opération et toutes ses modalités (cicatrices, CEC, greffons coronaires, prothèses avec avantages et inconvénients des prothèses biologique versus mécanique, jusqu’à l’origine du tissu animal utilisé…). Les risques fréquents ou graves doivent être déclinés (décès, infarctus, infection, AVC, transfusions, pacemaker, assistance postopératoire…). La suite de la prise en charge (réanimation, service, centre de réadaptation) sera aussi indiquée.
Il est très important de faire signer une reconnaissance d’information et de consentement qui doit être complète (et si possible tenir sur une page). Une note dans le dossier médical, une lettre au correspondant donnant ces informations ou indiquant que le patient a été complètement informé aura aussi une valeur mais ne se substituera pas au document signé. Celui-ci sera consigné dans le dossier médical.
Enfin, l’information donnée doit l’être sur un mode bienveillant et non se transformer en cours magistral angoissant…
Règle 4 : Être rigoureux au bloc et imposer la rigueur dans l’équipe.
Vérifier la disponibilité du matériel requis la veille, penser toujours que l’on fait l’opération pour le patient et non pas pour se lancer dans des prouesses inappropriées, dont le rapport risque/bénéfice serait défavorable au patient et… jugées défavorablement par un expert. Exiger la rigueur autour de vous, demander en fin d’opération le compte des compresses ou des petits instruments utilisés, si l’anatomopathologie a bien été envoyée… et surtout ne pas oublier de noter tout cela dans le compte rendu opératoire.
Règle 5 : Rédaction exhaustive et rigoureuse du compte rendu opératoire.
Lui seul pourra peut-être vous défendre en cas de procédure, et ce parfois plusieurs années plus tard… Il se focalise sur la pathologie constatée en peropératoire et sur la technique opératoire détaillée. Il faut donc noter la rigueur de la préparation, décrire la voie d’abord, toutes les atteintes pathologiques constatées dans le détail et qui peuvent influencer la technique choisie (la description des coronaires par exemple, faisant reculer sur un pontage pourtant prévu par le staff pluridisciplinaire). On ne doit pas se contenter du trop classique : « …selon la méthode habituelle », mais décrire la technique de pose de sa prothèse valvulaire, le fil utilisé… Tout doit être clairement noté, de même que le contrôle ETO réalisé (avec le nom du cardiologue qui la réalise), le compte des compresses réalisé et correct en fin d’opération…
Règle 6 : Bien suivre le postopératoire de son patient et ne pas oublier de le notifier dans le dossier médical.
Une courte note quotidienne dans le dossier, même si tout se déroule normalement, est une bonne chose. On y rajoutera que l’on a complété l’information de son patient qui sera heureux de mieux comprendre l’utilité de l’échographie postopératoire ou l’intérêt de sa rééducation qui approche. Dans certains pays anglo-saxons, le chirurgien date et signe le dossier papier de son patient, sans rien ajouter d’autre, pour simplement laisser une trace qu’il l’a vu…
Règle 7 : Être réactif et disponible en cas de complication.
Expliquer, prendre du temps, être à l’écoute. Recevoir les gens dans un endroit calme, isolé, et sans délai par rapport à la complication. Ne pas être fuyant mais encore plus disponible qu’à l’ordinaire. Ne pas se faire détester par des réactions de refus de contact ou des réactions hautaines, distantes. Rester poli mais ferme, si vous êtes mis en cause brutalement. Ne pas parler d’emblée d’erreur ou de faute et ne pas la rejeter sur autrui ou sur son institution. Rester factuel, disponible, voire compatissant sans théâtralisme inutile. Être humain et non sur une défensive prématurée.
Recevoir aussi en compagnie d’un collègue anesthésiste ou cardiologue pour apporter des informations complémentaires et montrer la collégialité de la prise en charge. Ne pas hésiter à prendre des avis (par exemple en infectiologie) et noter cela dans le dossier médical. Prendre du temps pour informer des recours possibles, des possibilités thérapeutiques ultérieures, ne pas fermer la porte et rester l’allié de votre patient.
Règle 8 : Revoir son patient après la réadaptation postopératoire, et adresser un courrier final à TOUS les correspondants.
Ce courrier doit faire le point sur les cicatrices, l’état général, les consignes de surveillance ultérieure, les règles de prophylaxie de l’endocardite si le patient est porteur d’une prothèse valvulaire, le contrôle des facteurs de risque cardiovasculaires si il s’agit d’un coronarien. Bien indiquer, après s’en être assuré, que le patient a compris tout cela. Il est bon aussi d’écrire que l’on a dicté le courrier en présence du patient lui-même qui aura ainsi entendu les recommandations envoyées à tous ses médecins.
Règle 9 : Bien vérifier l’ensemble du dossier médical, notamment après la dernière visite.
Le compléter, le ranger, noter tous les éléments qui vous semblent importants dans ce dossier. Rappelez-vous que le dossier médical sera votre seul allié dans une procédure. Il faut y trouver les raisons de l’indication, les examens complémentaires préopératoires, la discussion pluridisciplinaire, des traces de l’information complète, le compte rendu opératoire complet, le suivi, les courriers de consultation… La prochaine fois que vous le rouvrirez, ce sera peut-être pour y rechercher vos éléments de défense…
Règle 10 : Être l’acteur de sa défense.
Si malgré tous vos efforts, vous vous retrouvez mis en cause, devenez l’acteur de votre propre défense. Ne faites pas comme si cela ne vous concernait pas ou très peu. Contactez rapidement la cellule juridique de votre hôpital qui vous conseillera, contactez rapidement aussi votre assurance qui vous attribuera un médecin conseil, un avocat expérimenté qui vous fera éviter des erreurs de comportement ou de procédure qui pourront ensuite se révéler préjudiciables à votre défense. Surtout, ne tentez pas, à partir du moment où vous êtes mis en cause, de modifier des éléments du dossier ce qui se retournerait justement contre vous…
Rappelez-vous que si vous avez correctement suivi les règles ci-dessus, et avec un dossier complet, votre défense sera bien plus simple et efficace, malgré les moments toujours pénibles de ce genre de procédure.
Conclusion
Il ne faut certes pas tomber dans une sinistrose exagérée, mais il ne faut pas être non plus naïf dans sa pratique. Le même malade qui vous prenait publiquement pour son sauveur pourra se transformer en un adversaire redoutable qui utilisera tous les moyens dont il dispose pour obtenir ce qu’il souhaite. C’est peut-être en voyant dans toute prise en charge un futur procès éventuel que l’on optimisera encore la prise en charge globale des patients, car ces règles simples, non exhaustives, ne font finalement que nous améliorer encore, sur le plan médical et relationnel.
juin 2, 2017