À propos de l’article sur “les premiers cas de chirurgie à cœur ouvert au Mali” – Editorial
L’intérêt clinique de la publication d’Allaye Ombotimbé et collaborateurs est somme toute limité, voire désuet. La principale problématique et le principal intérêt de cet article concernent la discussion, et notamment l’analyse des conséquences d’une telle mission.
Car la caractéristique concernant la faisabilité sous cette forme de ce type de mission n’est absolument pas le problème. Ainsi, en amenant le matériel spécifique et les personnels compétents, ce type de mission peut être réalisé à n’importe quel point du globe avec un minimum de caractéristiques techniques requises (fluides, stérilisation et alimentation électrique fiable). Ces dernières se trouvant dans beaucoup d’endroits de la planète et notamment en Afrique. On ne démontre rien en faisant cela.
La problématique ne se trouve pas dans la faisabilité, mais plutôt dans la perception de la durabilité de l’activité après ce type de mission. Il faut noter par ailleurs que la mission a été réalisée en 2016 et que, depuis, il ne s’est rien passé dans cet hôpital…
En effet, le vrai problème est la pérennisation. Celle-ci devrait s’inscrire dans une perspective de long terme qui concerne les autorités sanitaires et la communauté médicale du pays. Elles doivent libérer les énergies et mettre en œuvre les moyens pour avoir un vrai programme d’installation et de pérennisation de cette activité. Cela permettrait de répondre à ce besoin de santé publique, notamment sur le plan économique. Les dépenses en évacuation sanitaires évitées permettraient de réorienter ces budgets vers une activité pratiquée sur place.
La bonne méthode serait :
un modèle économique viable et pérenne de prise en charge, pensé en amont du projet ;
la formation préalable du personnel spécialisé (chirurgiens, anesthésistes-réanimateurs, cardiologues et personnel paramédical spécifique) avec un vrai programme concerté et non des projets individuels ;
puis l’installation, de manière concomitante à la formation des professionnels de santé, de la structure sanitaire dédiée à ces soins, et ceci de façon à répondre aux besoins de la population de façon pérenne.
Il est bon de rappeler que différentes missions ponctuelles sur les pathologies cardiaques chirurgicales de ce type ont été réalisées en Afrique noire francophone, qu’elles soient à visée diagnostique ou thérapeutique. Ces pays ont vu l’arrivée, pendant environ une à deux semaines, de missions sanitaires issues d’ONG, pour effectuer des actes techniques hautement spécialisés (République démocratique du Congo, Cameroun, Mauritanie, Burkina Faso…). Mais depuis, la continuité des soins et de ces programmes est restée lettre morte.
On note aussi que quelques rares pays en Afrique noire francophone avaient des activités dans le domaine ; celles-ci ont périclité, faute de moyens économiques et de réelle prise en charge pérenne au niveau étatique.
Il existe actuellement en Afrique noire francophone une classe moyenne émergente qui commence à avoir un pouvoir d’achat conséquent et une prévoyance sanitaire salariale. Il faut croire que dans l’avenir, cela créera un «marché», dans la mesure où il s’agit d’une discipline médicale dont l’aspect lucratif n’est pas négligeable. La conséquence logique sera l’avènement et le développement de cette activité sous la forme privée. Ce qui est déjà le cas de la cardiologie interventionnelle, autre activité lucrative, dans de nombreux pays africains.
Ainsi, les structures privées prendront malheureusement le pas sur la médecine à vocation sociale qui relève des pouvoirs publics.
Dr Patrice Binuani, chirurgien cardiaque, CHU Angers
septembre 20, 2019