Délai optimal de revascularisation chirurgicale des infarctus du myocarde hémodynamiquement stables et facteurs de mauvais pronostic
Chloé Bernard, Marie Catherine Morgant*, Aline Jazayeri, Alain Bernard, Ghislain Malapert, Saed Jazayeri, Andranik Petrosyan, Olivier Bouchot.
Service de chirurgie cardiovasculaire et thoracique, CHU de Dijon, France.
* Correspondance : mariecatherine.morgant@chu-dijon.fr
DOI : 10.24399/JCTCV23-3-BER
Citation : Bernard C, Morgant MC, Jazayeri A, Bernard A, Malapert G, Jazayeri S, Petrosyan A, Bouchot O. Délai optimal de revascularisation chirurgicale des infarctus du myocarde hémodynamiquement stables et facteurs de mauvais pronostic. Journal de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 2019;23(3). doi: 10.24399/JCTCV23-3-BER
RÉSUMÉ
Objectif : Après un infarctus du myocarde (IDM), l’artère coupable est généralement reperméabilisée par angioplastie, mais certains patients n’en bénéficient pas, ayant à la place une chirurgie dont la mortalité est élevée (15-20%). Notre objectif était de définir un délai optimal de revascularisation chirurgicale des patients stables après IDM.
Méthodes : étude rétrospective, monocentrique de 2007 à 2017 incluant 477 patients victimes d’IDM, hémodynamiquement stables au diagnostic et opérés de pontages coronariens en semi-urgence. Trois groupes ont été définis en fonction du délai de revascularisation : £2 (n=32, 6,7%), 3-10 (n=321, 67,3%) et ³ 11 jours (n=124, 26%).
Résultats : les 3 groupes ne présentaient pas de différence significative concernant leurs caractéristiques préopératoires. La mortalité à 30 jours était de 5,5% (n=26), significativement plus élevée dans le groupe revascularisé avant J2 (15,6 vs 4 vs 6,45%, p=0,019). Les facteurs de risque de mortalité identifiés dans notre étude étaient l’âge (OR-1,05 [1,00-1,11] p=0,027), l’artériopathie périphérique (OR-3,31 [1,16-9,43] p=0,024) et la récidive ischémique (OR-4,88 [2,12-11,3] p<0,001). Il existait 92 récidives (19%) préopératoires avec un taux plus élevé dans les groupe 1 et 3 (14 (40%) vs 48 (15%) vs 30 (24%), p<0,001).
Conclusion : le délai optimal de revascularisation post-IDM semble être entre J3 et J10. Le terrain et la gravité de la maladie semblant également influencer la mortalité, une prise en charge personnalisée doit être discutée.
ABSTRACT
Optimal timing of surgical revascularization in hemodynamically stable patients after acute myocardial infarction and definition of poor prognosis factors
Objective: After myocardial infarction (MI), culprite artery is revascularized with angioplasty. Surgery complete the procedure in second time. If surgery is emergent, resulting death rate is 15-20%. Our aim was defined optimal timing for revascularization surgery in stable patients after MI.
Methods: 2007-2017 retrospective monocentric study including 477 patients after MI, stable, who underwent urgent coronary bypass. 3 groups were described, depending on surgery timing ; during the first two days (n=32, 6.7%), between 3-10days (n=321, 67.3%) and after 11days (n=124, 26%). Primary end point was 30-day mortality.
Results: Clinical characteristics didn’t differ in the 3 groups. Death rate was significantly higher in group1 (n=5; 15.6 %vs n=13; 4.0 % vs n=8; 6.4 %, p=0.019). Mortality risk factors were age (OR1.05; CI95%: 1.00-1.11; p= 0.027), arteriopathy (OR3.31; CI95%: 1.16-9.43; p=0.024) and preoperative ischemic recurrency (OR 4.88; CI95%: 2.12-11.3; p< 0.001). 92 patients presented preoperative ischemic recurrency (19%) with higher rate in groups 1&3 [14(40%) vs 48(15%) vs 30(24%), p< 0.001]. Recurrency rate was significantly higher in patients with unsuccessful angioplasty (7vs 15%, p=0.02).
Conclusion: Optimal timing for surgical revascularization of MI seems to be between 3 and 10 days in stable patients. Patient’s condition and disease severity must be considered in individual management strategy.
1. Introduction
L’infarctus du myocarde (IDM) représente une cause majeure de mortalité en France. Son incidence est stable du fait du vieillissement de la population et de la persistance des facteurs de risque cardiovasculaire. Néanmoins, depuis quelques années, avec l’essor des unités de soins intensifs cardiologiques et le développement de nouvelles thérapeutiques, notamment l’angioplastie, la fibrinolyse et la pharmacologie antithrombotique, la mortalité qui en découle a nettement diminué.
Jusqu’ici, la chirurgie de revascularisation par pontages coronariens (PC) était restée en marge du traitement en urgence, puisque réalisée précocement, elle a tendance à entraîner une morbimortalité élevée par extension et hémorragie de la zone infarcie. Actuellement, elle est réservée à la revascularisation complète dans un second temps, après la désobstruction de l’artère coupable par angioplastie ou fibrinolyse à la phase aiguë. En pratique, seulement 5% des IDM sont revascularisés chirurgicalement en urgence en première intention [1]. Cinq autres pourcents des patients bénéficient de pontages en situation de sauvetage après échec de l’angioplastie primaire [1]. La mortalité opératoire de ces patients opérés précocement est particulièrement élevée : 15 à 20% pour les patients opérés dans les 48 heures après IDM et 4-5% pour ceux opérés après 48 heures [2,3].
Face à cette mortalité élevée des pontages réalisés précocement, de nombreuses équipes ont étudié l’influence du délai de revascularisation [4,5], de la circulation extracorporelle (CEC) [6,7] et de l’existence de facteurs de mauvais pronostic en préopératoire. Différents délais de revascularisation ont été analysés dans la littérature, mais il est difficile de donner des conclusions du fait de la grande hétérogénéité des études. En effet, d’une part, les délais proposés varient de 6 heures à 30 jours, et d’autre part, le profil de risque des patients modifie la mortalité postopératoire [8]. Il existe par exemple un surisque chez les patients à haut risque cardiovasculaire dont la définition varie là aussi en fonction des études.
L’objectif principal de notre étude est donc de définir un délai optimal de revascularisation chirurgicale après infarctus du myocarde chez les patients hémodynamiquement stables.
L’objectif secondaire est de mettre en évidence les facteurs de mauvais pronostic pré et peropératoires.
2. Matériels et méthodes
Entre janvier 2007 et décembre 2017, 14.518 patients ont été pris en charge pour IDM au centre hospitalier universitaire de Dijon. Parmi ces patients, 477 (3,3%) ont bénéficié d’une revascularisation chirurgicale par pontages.
Nous avons formé 3 groupes à partir de cette population en fonction du délai séparant le diagnostic d’infarctus de la réalisation de pontages. Cet intervalle de temps exprimé en jours est défini par le terme «délai IDM-PAC». La répartition des patients dans les différents groupes (≤2 jours, entre 3 et 10 jours et ≥11 jours) est rapportée dans la figure 1.
[caption id="attachment_4509" align="aligncenter" width="300"] Figure 1. Sélection des patients.[/caption]
L’ensemble des données a été recueilli de façon rétrospective grâce aux dossiers informatisés des patients.
Le diagnostic d’IDM était fait sur l’association de douleurs thoraciques typiques ou atypiques, de modifications électriques de l’électrocardiogramme (ECG) (décalage du segment ST, bloc de branche gauche de novo, modification de l’onde T) et d’une hausse de la troponine (définie par un dosage ³0,10µg/L).
Dans notre population, 162 patients (34%) avaient fait un syndrome coronarien aigu avec sus-décalage du segment ST (syndrome coronarien aigu = SCA ST+) et 315 (66%) un SCA sans sus-décalage du segment ST (SCA ST-).
Les critères d’inclusion étaient les patients majeurs ayant présenté un SCA, hémodynamiquement stables au moment du diagnostic et ayant bénéficié d’une revascularisation chirurgicale par pontages en 1re intention ou dans les suites d’un échec d’angioplastie primaire.
Les patients présentant un choc cardiogénique (Killip 3 et 4), une complication d’infarctus type communication interventriculaire (CIV) ou une insuffisance mitrale (IM) ischémique nécessitant une chirurgie combinée, ceux requérant une chirurgie associée (remplacement valvulaire et/ou remplacement d’aorte ascendante) ou ceux ayant présenté un arrêt cardiorespiratoire avant coronarographie diagnostique étaient exclus.
Le critère de jugement principal était la mortalité globale postopératoire. Elle regroupait l’ensemble des décès survenus dans les 30 jours suivant la chirurgie.
Les critères de jugement secondaires étaient les récidives ischémiques préopératoires (association de douleurs thoraciques, d’ascension des troponines ou de modifications électriques dans l’intervalle IDM-PAC) et la survenue d’événements cardiaques ou cérébrovasculaires majeurs en postopératoire. Ces événements étaient définis par le bas débit d’origine cardiaque (signes d’hypoperfusion périphérique associés à une altération de la fraction d’éjection ventriculaire gauche ± hyperlactatémie), le choc cardiogénique (hypotension artérielle ne répondant pas au remplissage vasculaire et nécessitant un support en amines), l’arrêt cardiorespiratoire, les reprises pour tamponnade ou saignement médiastinal postopératoire majeur et les accidents vasculaires cérébraux (AVC objectivés par une imagerie cérébrale).
Les patients avaient tous bénéficié d’une coronarographie diagnostique ainsi que d’une administration d’anti-agrégant plaquettaire (aspirine) en préopératoire. La chirurgie se faisait par abord conventionnel (sternotomie médiane), le choix de l’utilisation d’une circulation extracorporelle (CEC) dépendait de l’opérateur et de la fonction cardiaque du patient, tout comme le choix des greffons (artères mammaires internes gauche et droite et veine saphène interne).
Cette étude a reçu l’aval du comité d’éthique local et a été enregistré sur Clinical Trials sous le numéro NCT03863158.
3. Analyses statistiques
Les variables continues étaient exprimées par leur moyenne et leur écart type. Les variables catégorielles étaient rapportées par leur effectif et pourcentage respectif. En analyse univariée, les variables continues ont été comparées grâce au test t de Student. Les variables catégorielles ont été comparées grâce au test de Chi2. Pour l’analyse multivariée, nous avions utilisé un modèle de régression logistique dans lequel avaient été incluses les variables préopératoires qui avaient un p<0,2 au cours de l’analyse univariée. L’adéquation du modèle a été testée à l’aide du test de Hosmer-Lemeshow. La valeur prédictive du modèle a été évaluée grâce à l’aire sous la courbe ROC. Le logiciel de statistique utilisé était Stata 14 (StataCorp, College Station, Texas, États-Unis).
4. Résultats
4.1. Population
4.1.1. Préopératoire
Les 3 groupes possédaient des caractéristiques clinicobiologiques préopératoires comparables [tableau 1]. Un quart de la population totale étaient des femmes (n=111, 23%).
Les facteurs de risques cardiovasculaires étaient principalement représentés par les antécédents de tabagisme (55%), le diabète (26%), l’obésité (22%) et l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI) touchant 13% des patients. Trente-trois patients (7%) présentaient une insuffisance rénale préopératoire (définie par une créatinine >200µmol/L). La fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) moyenne était de 53±11,4%.
Il n’existait pas de différence significative (p=1,15) de l’Euroscore 2, dans et entre les 3 groupes (4,35±2,9 vs 2,89±3,6 vs 3,09±5,1) avec une moyenne de 3,04±4,1.
La proportion de patients présentant un SCA ST+ était la plus élevée dans le groupe 1 (50% vs 36% vs 23%).
La majorité des patients n’avait pas nécessité de transfusion en pré ou peropératoire, mais le groupe 1 fut significativement plus transfusé que les autres avec un nombre moyen de 1,25 culot transfusé par patient (vs 0,85 et 0,91, p=0,037).
Tableau 1. Caractéristiques préopératoires.
CGR : concentrés de globules rouges ; FEVG : fraction d’éjection ventriculaire gauche.
Quarante et un patients avaient bénéficié d’une tentative d’angioplastie stenting lors de la coronarographie diagnostique (8,6%).
Soixante-huit patients (14%) avaient nécessité la mise en place d’un ballon de contrepulsion immédiatement après la réalisation de la coronarographie, principalement en cas de sténose serrée du tronc commun. On dénombrait au total 230 atteintes du tronc commun (48%), sans différence significative dans la répartition entre les 3 groupes.
Le délai moyen de revascularisation était de 10,5 jours ± 13,2.
4.1.2. Peropératoire
Trois cent quatre-vingts patients (80%) avaient bénéficié de pontages coronariens sous CEC, dont 2 cas de CEC d’assistance. Il n’existait pas de différence significative concernant la répartition de la chirurgie avec ou sans CEC entre les différents groupes.
Les durées moyennes de CEC et de clampage étaient comparables entre les 3 groupes, respectivement 69±53, 69±43 et 72±41 minutes de CEC (p=0,17) et 40±34, 50±31 et 50±30 minutes de clampage (p=0,87). Le nombre d’anastomoses réalisées était comparable entre les groupes (2,8 vs 3,0 vs 2,9, p=0,2).
Les greffons majoritairement utilisés étaient les 2 artères thoraciques internes en cas de lésions bitronculaires (98%), associés à une veine saphène interne en cas d’atteinte tritronculaire (77%). Aucun prélèvement d’artère radiale n’a été réalisé.
Le taux de revascularisation complète était plus faible dans le groupe revascularisation précoce (84,4% vs 91,6% vs 87%, p=0,67) sans que cette différence ne soit significative.
Les caractéristiques peropératoires sont résumées dans le tableau 2.
Tableau 2. Caractéristiques peropératoires.
CEC : circulation extracorporelle.
4.2. Mortalité
4.2.1. Mortalité globale
Vingt-six patients sont décédés en postopératoire, soit 5,5% de la population totale.
Les causes de mortalité étaient essentiellement des défaillances multiviscérales (n=12, 46,1%), des arrêts cardiorespiratoires (ACR) ou de chocs cardiogéniques (n=9,35%), des ischémies mésentériques (n=2, 8%) et des accidents vasculaires cérébraux (AVC) (n=1,4%) [tableau 3]. Parmi les ACR, un était secondaire à une thrombose de pontage à J1 postopératoire.
En analyse univariée, le taux de mortalité du groupe 1 était significativement plus élevé que dans les 2 autres groupes (n=5 ; 15,6% vs n=13 ; 4,0% vs n=8 ; 6,4%, p=0,019).
Tableau 3. Mortalité à J30.
Par contre, en analyse multivariée, le délai de revascularisation n’était pas identifié comme un facteur de risque de mortalité (p=0,362) [tableau 4].
Les facteurs de risque de mortalité mis en évidence étaient l’AOMI (odd ratio 3,31 ; IC95%:1,16-9,43 ; p=0,024), l’âge (odd ratio 1,05 ; IC95%:1,00-1,11 ; p=0,027) et la récidive ischémique préopératoire (odd ratio 4,08 ; IC95%:1,68-9,86 ; p<0,01). La transfusion pré et peropératoire (p=0,353), la durée du clampage (p=0,353) ou encore le nombre d’anastomoses réalisées (p=0,503) ne semblaient pas influer sur la mortalité à 30 jours.
Tableau 4. Analyse multivariée des facteurs de risque de mortalité à 30 jours.
Les patients dont l’état préopératoire avait nécessité la mise en place d’une contrepulsion intra-aortique post-coronarographie (n=68) présentaient un taux de mortalité plus important (n=8/99 ; 8% vs n=18/378 ; 4,7%) que les patients sans contrepulsion, sans que cette différence ne soit significative en analyse multivariée (odd ratio 1,45 ; IC95%:0,567-3,54 ; p=0,42).
Dans l’intervalle IDM-PAC, 92 événements de récidives ischémiques sont survenus (19%), avec respectivement, 14 (40%), 48 (15%) et 30 (24%) récidives dans les groupes 1, 2 et 3. Les groupes 1 et 3 présentaient un taux de récidive significativement plus élevé que le groupe 2 (p=0,02) [tableau 1 et figure 2].
[caption id="attachment_4517" align="aligncenter" width="300"] Figure 2. Répartition des décès associés à une récidive en fonction du délai de revascularisation.[/caption]
La récidive ischémique associait douleurs thoraciques, élévation des troponines et modification électriques. Parmi les récidives, 34 ont nécessité la mise en place d’un ballon de contrepulsion intra-aortique (37%).
Les récidives ischémiques pouvaient se compliquer d’œdème aigu pulmonaire (n=11, 12%), d’arrêt cardiorespiratoire (n=4, 4,3%) ou encore de choc cardiogénique (n= 4, 4,3%). Dans l’ensemble de nos cas, la récidive précipitait la chirurgie.
Le groupe 1 comportait significativement plus de patients ayant nécessité la mise en place d’un ballon de contrepulsion intra-aortique (BCPIA) (post-coronarographie immédiate et post-récidive) en préopératoire (n=24 (75%) vs n=70 (22%) vs n=5 (4%)) que les groupes 2 et 3 (p<0,001). Ce même groupe incluait également significativement plus de patients ayant eu une tentative d’angioplastie primaire (n=10(31%) vs n=17 (5%) vs n=14 (11%)) que les 2 autres groupes (p<0,001) [tableau 1].
Le taux de récidive était significativement plus élevé chez les patients ayant eu une tentative d’angioplastie primaire (7% vs 15% p=0,02) [tableau 5]. Par contre, il n’existait pas de différence significative en fonction du type de syndrome coronarien aigu (SCA ST- ou ST+) (p=1,0), ni de l’atteinte tritronculaire ou non (p=0,23).
Tableau 5. Analyse des caractéristiques préopératoires en fonction de la récidive.
La mise en place précoce d’une contrepulsion (immédiatement après la coronarographie diagnostique) chez ces patients stables ne semblait pas diminuer le risque de récidives ischémiques avant la chirurgie. En effet, le taux de récidive était comparable chez les patients avec (n=14) et sans (n=78) contrepulsion post-coronarographie initiale (19% vs 21%, p=0,91).
4.3. Morbidité postopératoire
Sept patients (1,5%) ont nécessité une reprise pour infection de cicatrice sternale, dont 2 se sont compliquées d’un choc septique.
Les complications postopératoires ont été rapportées dans le tableau 6.
Le taux de récidives ischémiques tardives (>3 jours post-PC) était plus élevé dans le groupe revascularisation précoce (9% vs n=16 ; 5% vs n=7 ; 5,5%), ainsi que le taux de reprises pour hémostase (6% vs n=11 ; 3% vs n=3 ; 2%).
Le groupe 1 était le groupe présentant le taux le plus élevé de complications (n=13 ; 41% vs n=85 ; 26% vs n=27 ; 22%) sans que cette différence ne soit statistiquement significative (p=0,43).
Tableau 6. Répartition de la morbidité postopératoire.
5. Discussion
Depuis 2018, les recommandations de l’ESC et de l’EACTS proposent de discuter de façon collégiale de la prise en charge de chaque cas d’infarctus du myocarde. Le but étant de proposer aux patients un traitement adapté en fonction de leur profil et de la sévérité de leur atteinte coronarienne.
Klempfner et al. ont montré une réduction du nombre de patients adressés pour la réalisation de pontages coronariens en urgence ces 10 dernières années, probablement du fait de la morbimortalité élevée qui lui est imputée (6,7% en 2000 vs 1,7% en 2010, p<0,001) et de l’efficacité de l’angioplastie [8]. La mortalité des pontages en urgence n’a pas diminué en 20 ans (14,3% vs 10%, p=0,15), contrairement à celle des revascularisations programmées [8].
La littérature portant sur ce sujet est très hétérogène et la plupart des études ne montrent pas de différence significative entre revascularisation précoce et tardive post-IDM sur la mortalité à J30 [4].
L’objectif de la revascularisation précoce est d’obtenir une limitation de la zone infarcie, une récupération du myocarde en hibernation et surtout une réduction des récidives d’infarctus qui pourrait mener à une perte définitive de la fonction cardiaque ou à un décès. C’est pourquoi certains auteurs préconisent une revascularisation chirurgicale précoce. Ainsi, Grothusen et al. proposent un délai optimal de revascularisation de 48h pour les SCA ST- en montrant l’absence de différence en termes de mortalité, de récidive ischémique, d’insuffisance cardiaque et de choc cardiogénique [5]. Pour Piroze et al., ce délai peut même être avancé à 24h, là encore pour les SCA ST- [9].
La revascularisation précoce présente d’autres avantages, comme un taux de transfusion plus faible ou encore des durées d’hospitalisations plus courtes [4]. Cependant, dans notre étude, nous avons constaté que les patients les plus transfusés étaient ceux revascularisés avant 48h.
Assmann et al. rapportent des résultats similaires aux nôtres et préconisent que les patients stables après un SCA (ST+ ou -) devraient bénéficier d’une temporisation de leur revascularisation chirurgicale jusqu’à J3 [10]. Parikh et al. ont montré dans leur étude que les patients après un SCA ST- avec plus de facteurs de risque et revascularisés après 48h présentaient la même mortalité à J30 que les patients moins à risque qui étaient revascularisés avant 48h [4].
Une méta-analyse publiée en 2014 a émis l’hypothèse de l’existence d’une courbe en « U » de la mortalité postopératoire par rapport au délai de revascularisation des patients opérés en urgence [11]. D’après leur analyse, la mortalité serait plus faible pour les patients opérés entre J3 et J5 et il existerait une surmortalité avant et après ce délai. Cette tendance est assez similaire aux résultats de notre étude. Les auteurs expliquent qu’à la phase aiguë il existe un état inflammatoire systémique majeur qui augmente la morbimortalité de la chirurgie en urgence, justifiant ainsi son report. Maganti et al. montrent que la chirurgie précoce est à haut risque de morbimortalité essentiellement pour les patients à haut risque cardiovasculaire [12]. Cette tendance est confirmée notamment par Klempfner et al. en 2016 [8].
L’ensemble de ces résultats semble indiquer que les patients à faible risque cardiovasculaire peuvent bénéficier d’une revascularisation chirurgicale précoce, mais en respectant un délai minimum de 48h. Tandis que les patients à haut risque devraient bénéficier d’une temporisation de la chirurgie. Ce délai supplémentaire devrait permettre aux patients à risque une récupération partielle de la fonction cardiaque et une optimisation médicale de leur état général et de leurs comorbidités.
Certaines équipes citées précédemment différenciaient les SCA ST- des SCA ST+, ce qui n’est pas notre cas. En effet, lors d’une étude préliminaire, nous avions observé que les courbes de mortalité de ses 2 groupes étaient significativement identiques, nous avons donc pris le parti de les étudier de façon globale, ce qui nous permettait par ailleurs d’avoir des effectifs plus importants.
Parfois, le délai de revascularisation ne dépend pas que de l’état du patient, le traitement reçu par le patient à la phase aiguë, anticoagulants, antiagrégants notamment, peut pousser au report de la chirurgie. De nombreuses équipes ont validé l’augmentation du risque hémorragique chez les patients ayant reçu du clopidogrel dans les 5 à 7 jours précédant les pontages. Mais son administration avant la coronarographie serait associée à une réduction significative à 30 jours du nombre d’événements ischémiques dans le cadre des SCA ST- [13]. La balance bénéfice-risque est à évaluer au cas par cas.
Dans notre étude, la récidive a été mise en évidence comme un facteur de risque de mortalité de la population globale. Nous n’avons pas retrouvé d’études récentes décrivant la récidive ischémique préopératoire comme un facteur de risque de mortalité. En observant les 2 groupes dont le taux de mortalité et le taux de récidives sont les plus importants (groupes 1 et 3), il semblerait que cette récidive soit la conséquence de deux facteurs ; le terrain cardiovasculaire précaire des patients (groupe 1) et le délai d’attente des pontages (groupe 3). Ce qui devrait inciter à ne pas trop repousser la chirurgie. Nous avons défini notre intervalle IDM-PAC afin d’observer la fréquence des récidives et son impact sur la mortalité. Dans cet intervalle, que Grieshaber et al. appellent « la période d’attente », un risque majeur de développer un syndrome de bas débit cardiaque (hyperlactatémie et dépendance aux amines), voire un choc cardiogénique est décrit. D’après cette équipe, 12% des patients revascularisés après 48h développaient un bas débit [14]. Ce risque de développer une complication potentiellement fatale justifie à lui seul le fait de vouloir réduire cette période d’attente. En observant notre groupe 3, il semblerait que plus on retarde la revascularisation chirurgicale (au-delà de J11), plus les patients risquent de présenter une nouvelle souffrance coronaire.
Même si nous n’avons pas démontré de différence significative entre nos différents groupes, la surmortalité des patients du groupe opéré précocement pourrait être due à une accumulation de facteurs de risque chez certains patients. Ce haut risque est défini par de multiples facteurs préopératoires mis en évidence dans la littérature. Ainsi, la mortalité accrue des patients opérés précocement (<48h) après l’IDM serait fortement liée aux facteurs de risque préopératoires, tels que l’âge >65 ans [5,8], la fonction ventriculaire gauche (FEVG) altérée [5,8,12], l’insuffisance rénale aiguë (IRA) [8] ou l’anémie [16]. La prise d’antiagrégants plaquettaires et d’héparine sont également associées à un surisque, ici, hémorragique, forçant parfois au report de la chirurgie.
La défaillance ventriculaire gauche est une des complications principales de l’ischémie et est un des principaux facteurs péjoratifs à prendre en compte avant la chirurgie dans le cas des SCA ST+. D’autres facteurs de risque, notamment biologiques, reflétant la gravité du SCA ont été décrits : un taux de troponines élevées [15] et une hyperlactatémie [8].
Dans notre série, l’assistance de prédilection était le BPCIA, il semblait cependant ne pas prévenir le risque de récidives ischémiques. Ces données concordent avec les résultats de l’étude IABP-SHOCK II qui ne montrait pas d’amélioration de la survie chez les patients en choc cardiogénique post-IDM après pose d’une contrepulsion [17]. Cette assistance augmente la perfusion coronaire mais sans décharger le cœur, il persiste donc un phénomène de distension myocardique responsable d’un collapsus de la microcirculation avec lésions des myocytes et altération de la fonction cardiaque. Les patients en bas débit pourraient tirer avantage d’une assistance circulatoire de type ECLS (Extracorporeal Life Support) avec décharge ventriculaire gauche ou d’une assistance intraventriculaire gauche transvalvulaire aortique type Impella (Abiomed, Danvers, Massachusetts, États-Unis).
La majorité des équipes pratique les pontages en urgence sous CEC (94%) [10]. Le cœur battant semble en théorie optimal pour les SCA car il évite une «sur-ischémie» grâce à la mise en place de shunt et l’absence de cardioplégie, il éviterait le syndrome d’ischémie-reperfusion et diminuerait le stress oxydatif et inflammatoire. Cependant en pratique, il n’a pas été démontré de supériorité pour le «sans» ou le «avec CEC» dans la prise en charge chirurgicale de l’IDM. Pour certains, dont Fattouch et al., la revascularisation à cœur battant doit être réservée à la chirurgie précoce (<48h) [20]. Nous n’avons pas mis en évidence dans notre série de différences de morbimortalité postopératoire entre le «sans» et le «avec CEC», quel que soit le délai de revascularisation.
6. Limites
Compte tenu du caractère rétrospectif de notre étude, certaines données n’ont pu être recueillies, ainsi les informations concernant les troponines, les lactates et le traitement préopératoire (antiagrégants plaquettaires et fibrinolytiques) sont manquantes. Ces marqueurs nous auraient permis d’explorer l’hypothèse selon laquelle les patients du groupe 1 présentaient un bas débit cardiaque ou une hypoperfusion périphérique.
7. Conclusion
Au total, dans notre étude, la période optimale pour revasculariser chirurgicalement les infarctus du myocarde stables semble être entre J3 et J10. Avant J3, la récidive est potentiellement liée à une fragilité des patients. Les patients à haut risque, eux, devraient bénéficier d’un report de la chirurgie au-delà de 48h. Cet intervalle «d’attente» doit permettre une optimisation de leur état cardiaque et général. Pour les patients avec altération de la fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) et/ou signes d’hypoperfusion périphérique, la mise en place d’une assistance circulatoire temporaire (type ECLS ou Impella) devrait être discutée. Le groupe revascularisé après 11 jours récidivait pendant la période d’attente de la chirurgie, il pourrait donc probablement tirer des bénéfices d’une revascularisation plus précoce.
Références
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Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared.
Date de soumission : 06/05/2019. Acceptation : 19/07/2019.
septembre 20, 2019