Antoine Defontaine1,2*, Majid Harmouche2, Jacques Tomasi1, Florent Le Bars1, Abdelhakim Elmraki2, Jean-Philippe Verhoye1, Robert Martinez2
- Service de chirurgie thoracique et cardiovasculaire, CHU de Rennes.
- Service de chirurgie thoracique et cardiovasculaire, CHRU de Tours.
*Correspondance : a.defontaine@laposte.net
DOI : 10.24399/JCTCV23-4-DEF
Citation : Defontaine A, Harmouche M, Tomasi J, Le Bars F, Elmraki A, Verhoye JP, Martinez R. Prise en charge des fistules aortiques à l’étage thoracique : expérience bicentrique. Journal de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 2019;23(4). doi: 10.24399/JCTCV23-4-DEF
RÉSUMÉ
La survenue d’une fistule aortique à l’étage thoracique (fistule aortobronchique ou aorto-œsophagienne) est un événement rare dont l’évolution naturelle est bien souvent fatale. Leur prise en charge relève de l’urgence et reste peu codifiée. L’objectif de cette étude rétrospective bicentrique est de rapporter l’expérience de nos centres dans le traitement et la prise en charge de malades présentant une fistule aortique thoracique.
Sept malades (6 hommes et 1 femme) âgés de 64,1±11,3 ans étaient pris en charge pour une fistule de l’aorte thoracique entre 2001 et 2018 : quatre malades (57%) présentaient une fistule aortobronchique (dont 2 fistules secondaires) et trois malades (43%) présentaient une fistule aorto-œsophagienne. La durée de suivi était de 21 mois. La survie était de 71% à 30 jours et de 43% à 1 an.
La survenue d’une fistule aortique thoracique est un événement au pronostic sombre nécessitant une prise en charge pluridisciplinaire dans des centres experts et dont la stratégie globale de traitement doit encore être définie et évaluée.
ABSTRACT
Management of fistulas with the thoracic aorta: a bi-centric experience
The occurrence of thoracic aortic fistula (aorto-bronchial or aorto-esophageal) is a rare event whose natural course is often fatal. Treatment is urgent but remains poorly codified. The objective of this bicentric retrospective study was to report the experience of our centers in the treatment and management of patients with thoracic aortic fistula.
Seven patients (6 men and 1 woman) aged 64.1 ± 11.3 years were treated for a thoracic aortic fistula between 2001 and 2018: four patients (57%) presented aorto-bronchial fistula (2 secondary fistulas) and three patients (43%) had aorto-esophageal fistula. The follow-up time was 21 months. Survival was 71% at 30 days and 43% at 1 year.
The occurrence of thoracic aortic fistula is an event with a poor prognosis requiring multidisciplinary management in expert centers and whose global treatment strategy has yet to be defined and evaluated.
1. Introduction
La survenue de fistule aortique est un événement rare dont l’évolution naturelle est bien souvent fatale. Au niveau de l’aorte thoracique, les fistules apparaissent avec les organes de voisinage (bronches, œsophage) et sont dans la majorité des cas révélées par une hémoptysie ou une hématémèse. Dans la littérature, une centaine de cas ont été relatés et l’on distingue les fistules primaires (survenant de novo) des fistules secondaires (survenant chez des malades déjà opérés de l’aorte thoracique et/ou du thorax) [1-5].
La prise en charge des malades présentant une fistule aortique relève de l’urgence mais reste peu codifiée. Relevant initialement d’intervention par voie conventionnelle, la prise en charge chirurgicale vasculaire immédiate est de plus en plus fréquemment réalisée par voie endovasculaire. La prise en charge globale des malades est variable et dépend de l’étiologie de la fistule ainsi que de l’expérience, de l’habitude et de la disponibilité d’un dépôt d’endoprothèses de chaque centre.
L’objectif de cette étude est de rapporter l’expérience de nos centres dans le traitement et la prise en charge de malades présentant des fistules aortiques à l’étage thoracique (fistules aortobronchiques ou aorto-œsophagiennes).
2. Matériel et méthodes
Les malades pris en charge pour une fistule de l’aorte thoracique (fistule aortobronchique ou aorto-œsophagienne) entre octobre 2001 et janvier 2018 dans nos centres étaient analysés. La date d’inclusion correspondait à la date opératoire du traitement de cette fistule. Les malades justifiaient tous d’une prise en charge en urgence adaptée selon l’état clinique, les antécédents et les comorbidités. Le recueil de données était rétrospectif.
Le devenir des malades, les complications précoces (au 30e jour postopératoire), ainsi que les complications tardives les plus significatives étaient répertoriés. Ces analyses descriptives étaient réalisées à l’aide du logiciel Microsoft Excel® (Redmond, Washington, États-Unis). Les analyses de survie étaient réalisées avec le logiciel GraphPad Prism® (La Jolla, Californie, États-Unis). Les images scanographiques étaient analysées avec le logiciel Therenva EndoSize® (Rennes, France).
Les malades traités et suivis dans nos centres étaient analysés. En cas de suivi ultérieur dans un autre centre, les malades étaient considérés comme perdus de vue à la date de leur dernière consultation.
3. Résultats
Sept malades (6 hommes et 1 femme) âgés en moyenne lors de la chirurgie de 64,1±11,3 ans (médiane 68 ans, [51;76]) étaient pris en charge pour une fistule de l’aorte thoracique. Quatre malades (57%) présentaient une fistule aortobronchique (parmi lesquels 2 – 29% – avaient des antécédents de chirurgie aortique thoracique) et trois malades (43%) présentaient une fistule aorto-œsophagienne. La durée moyenne de suivi était de 670,1±1001,7 jours (médiane 163 jours, [4;2410]).
Les caractéristiques des malades lors de la prise en charge sont données résumées dans le tableau 1.
Tableau 1. Caractéristiques de la population étudiée.
Malades (n=7) | |
Femmes, n (%) | 1 (14) |
Âge lors de la prise en charge (années)
|
64,1±11,3 [51;76]
médiane 68 ans |
Type de fistule, n (%)
aortobronchique aorto-œsophagienne |
4 (57) 3 (43) |
Chirurgie aortique thoracique précédente, n (%) | 2 (29) |
Comorbidités, n (%)
tabac HTA cancer |
3 (43) 2 (29) 2 (29) |
Symptômes inauguraux, n (%)
hémoptysie hématémèse autre |
3 (43) 3 (43) 1 (14) |
Type de chirurgie, n (%)
TEVAR ouvert |
6 (86) 1 (14) |
Les symptômes inauguraux étaient représentés par une hémoptysie pour 3 malades (43%), une hématémèse pour 3 malades (43%) et une fièvre prolongée sans point d’appel pour 1 malade (14%) déjà opéré d’un faux anévrysme chronique sur une rupture d’isthme aortique méconnue.
Le délai moyen entre les premiers symptômes et la prise en charge chirurgicale était de 7,8±10,4 jours (médiane 4 jours, [0;27]).
Deux malades (29%) présentaient une fistule aortobronchique primaire [tableau 2] :
- Un malade de 68 ans, sans antécédent notable et initialement pris en charge pour des crachats hémoptoïques dans un hôpital périphérique, était transféré dans un de nos centres après mise en évidence d’un anévrysme rompu de l’aorte thoracique descendante. Une endoprothèse thoracique était posée 27 jours après l’apparition des premiers symptômes. Les suites opératoires étaient simples avec disparition des crachats hémoptoïques. Le malade était perdu de vue après 204 jours de suivi.
- Un malade de 51 ans, aux antécédents de toxicomanie sevrée et tabagisme, présentait des douleurs thoraciques et des crachats hémoptoïques révélant un anévrysme de l’aorte thoracique descendante rompu. Une endoprothèse thoracique était implantée 2 jours après les premiers symptômes [figure 1]. Les suites immédiates étaient marquées par l’apparition d’un syndrome infectieux révélant une endocardite aortique et une rupture œsophagienne par saillie du sac anévrysmal. Un traitement antibiotique était instauré puis un remplacement valvulaire aortique à J42 et une chirurgie de Lewis Santy à J62 étaient réalisés avec des suites simples. Le malade décédait au 90e jour après son retour à domicile.
Tableau 2. Fistules aortobronchiques primaires (ND : non disponible).
Homme 68 ans | Homme 51 ans | |
Prise en charge
symptômes délai bloc type chirurgie cause |
hémoptysie 27 jours TEVAR ATA rompu |
hémoptysie 2 jours TEVAR ATA rompu – 67 mm |
Antécédents | toxicomanie sevrée | |
Suites opératoires | sepsis, endocardite, rupture œsophagienne
J42 : RVA bio J62 : Lewis Santy |
|
Suivi
devenir durée cause décès |
perdu de vue 6 mois ND |
décédé 90 jours ND |

Deux malades (29%) ayant des antécédents de chirurgie de l’aorte thoracique descendante présentaient une fistule aortobronchique secondaire [tableau 3] :
- Un malade de 75 ans, opéré d’une rupture d’isthme aortique secondaire à un accident de la voie publique avec mise en place d’une endoprothèse thoracique 12 ans auparavant, présentait des hémoptysies sur un faux anévrysme nécessitant une prise en charge en urgence avec la pose d’une nouvelle endoprothèse [figure 2]. Dans l’intervalle, il était pris en charge pour un cancer du larynx traité par chirurgie et radiochimiothérapie. Les suites opératoires immédiates étaient simples. Le malade décédait d’un accident vasculaire cérébral ischémique 59 mois après la cure de sa fistule aortique.
- Un homme de 73 ans, opéré 1 an auparavant avec mise en place d’une prothèse hybride (E-vita OPEN – JotecÒ) pour le traitement d’un faux anévrysme chronique secondaire à une rupture d’isthme aortique ancienne non diagnostiquée, présentait une infection chronique du sac anévrismal [figure 3]. La prise en charge par thoracotomie gauche mettait en évidence une fistule aortobronchique par érosion de la coque anévrysmale nécessitant une mise à plat de l’anévrysme et une lobectomie supérieure gauche. Les suites opératoires étaient marquées par un sepsis persistant avec perforation œsophagienne au cinquième mois nécessitant plusieurs reprises chirurgicales de sauvetage. Le malade décédait de défaillance multiviscérale.
Tableau 3. Fistules aortobronchiques secondaires.
Homme 75 ans | Homme 73 ans | |
Prise en charge
symptômes délai bloc type chirurgie
cause |
hémoptysie NA TEVAR
ATA rompu – 43 mm |
infection sac anévrysmal 12 jours lavage, mise à plat anévrysme, lobectomie supérieure gauche ATA rompu |
Antécédents | J-12 ans : rupture isthme traumatique
TEVAR, transposition sous claviocarotidienne gauche J-2 ans : carcinome épidermoïde larynx, laryngectomie, trachéotomie, métastases pulmonaires (RCT) |
J-1 an : faux anévrysme chronique sur rupture d’isthme aortique ancienne non diagnostiquée
prothèse hybride |
Suites opératoires | M5 : sepsis persistant
hémothorax remplacement distalité prothèse fistule œsophagienne |
|
Suivi
devenir durée cause décès |
décédé 59 mois AVC ischémique |
décédé 5 mois défaillance multiviscérale |


Trois malades (43 %) présentaient une fistule aortoœsophagienne primaire [tableau 4] :
- Une femme de 76 ans présentait un tableau d’aphagie et d’hématémèse révélant un anévrysme rompu de l’aorte thoracique descendante. Un traitement par endoprothèse était réalisé 6 jours après les premiers symptômes [figure 4]. Les suites opératoires immédiates étaient simples. Durant le suivi, une infection chronique de la prothèse était mise en évidence par une TEP-TDM nécessitant une antibiothérapie au long cours. La malade décédait d’un AVC hémorragique 79 mois après l’implantation de l’endoprothèse.
- Un homme de 53 ans présentait une hématémèse massive révélant une fistule aorto-œsophagienne immédiatement prise en charge au bloc opératoire avec mise en place d’une endoprothèse thoracique. Une fibroscopie digestive à J1 mettait en évidence une tumeur de l’œsophage non connue. Les suites opératoires immédiates étaient compliquées en réanimation conduisant au décès à J9 de défaillance multiviscérale.
- Un homme de 53 ans, aux antécédents de cancer de l’œsophage traité par radiochimiothérapie, présentait un choc hémorragique avec arrêt cardiorespiratoire secondaire à une hématémèse massive. Le bilan mettait en évidence une fistule aorto-œsophagienne justifiant d’une prise en charge en urgence au bloc opératoire avec mise en place d’une endoprothèse. Les suites opératoires immédiates étaient marquées par une reprise chirurgicale pour la pose d’une prothèse œsophagienne, la réalisation d’une gastrostomie pour décaillotage associée à une jéjunostomie. Le malade décédait à J4 de défaillance multiviscérale.
Tableau 4. Fistules aortoœsophagiennes.
Femme 76 ans | Homme 53 ans | Homme 53 ans | |
Prise en charge
symptômes délai bloc type chirurgie cause |
aphagie, hématémèse 6 jours TEVAR ATA rompu |
hématémèse immédiate TEVAR tumeur œsophage non connue |
hématémèse, ACR récupéré immédiate TEVAR tumeur œsophage |
Antécédents | HTA | HTA
tabagisme |
carcinome épidermoïde œsophage : RCT
tabagisme |
Suites opératoires | hémorragie digestive
infection chronique de prothèse (TEP positive) antibiothérapie au long cours |
prothèse œsophagienne
gastrostomie décaillotage jéjunostomie |
|
Suivi
devenir durée cause décès |
décédée 79 mois AVC hémorragique |
décédé 9 jours défaillance multiviscérale |
décédé 4 jours défaillance multiviscérale |

Six malades (86%) décédaient au cours du suivi (1 – 14% – perdu de vue) parmi lesquels quatre (67%) en lien avec la pathologie. La survie de notre population est donnée figure 5. Le taux de mortalité est de 29% à 30 jours, 43% à 90 jours et 57% à 1 an.

4. Discussion
4.1. Étiologies
La survenue d’une fistule aortique à l’étage thoracique (aortobronchique ou aorto-œsophagienne) reste exceptionnelle. Dans notre série bicentrique, sept cas étaient rapportés sur la période d’analyse. Bien que d’effectif faible, elle reflète l’hétérogénéité des malades pris en charge et la gravité des tableaux cliniques. Cinq fistules (71%) étaient primaires (3 – 43% – secondaires à un anévrysme aortique fissuré et 2 – 29% – secondaires à un carcinome de l’œsophage) et deux fistules (29%) étaient secondaires à des chirurgies aortiques antérieures (1 – 14% – endoprothèse pour le traitement d’une rupture d’isthme aortique traumatique et 1 – 14% – prothèse hybride pour le traitement d’un faux anévrysme chronique lié à une rupture antérieure de l’isthme aortique traumatique méconnue).
Dans la littérature, plusieurs cas de fistules aortiques ont été reportés [1-9]. Les fistules primaires sont principalement la conséquence de ruptures d’anévrysmes aortiques, d’ulcères aortiques pénétrants, de cancers bronchiques ou œsophagiens à des stades avancés, de pathologies pulmonaires (tuberculose, aspergillose…), œsophagiennes (perforation iatrogène, Barrett…), ou de l’ingestion de corps étrangers (piles, arêtes…). Les fistules secondaires surviennent dans le cas d’aortes préalablement opérées (soit au contact de prothèses ou par érosion des organes de voisinage par la coque anévrysmale calcifiée) ou apparaissent comme des complications de chirurgies antérieures.
4.2. Symptômes
Six malades (86%) ont présenté une hémoptysie ou une hématémèse comme signe inaugural de la fistule. Ces signes apparaissent comme maître symptôme d’une fistule aortique et sont retrouvés de manière quasi systématique dans la littérature tout comme d’autres symptômes également retrouvés dans notre série [1-4,6,8] : choc hémorragique/arrêt cardiorespiratoire dans 2 cas (29%), douleur thoracique dans un cas (14%), fièvre dans un cas (14%) et dysphagie dans un cas (14%).
4.3. Délai de prise en charge
La prise en charge des fistules aortiques entre dans le cadre nosologique des syndromes aortiques aigus et des anévrysmes rompus ou fissurés [10-14]. Celle-ci doit idéalement avoir lieu dans un centre de référence ; elle inclut le conditionnement du malade et une prise en charge chirurgicale dans des délais compatibles avec la gravité de la situation. La stratégie chirurgicale doit également être adaptée à la situation, quitte à envisager une stratégie en plusieurs temps.
Dans notre série, deux malades (29%) ont été traités par endoprothèse dans les 24 heures suivant le diagnostic. Pour les autres, une prise en charge différée était réalisée permettant d’optimiser la prise en charge chirurgicale. Dans la littérature, une revue de cas de fistules aortobronchiques et aorto-œsophagiennes relate une tendance inverse avec une prise en charge plus précoce où plus de 80% des malades sont traités de manière endovasculaire dans les 24 premières heures suivant le diagnostic sans que cela ne semble influer sur la survie [2].
Aujourd’hui, une prise en charge précoce est possible dans les centres à haut volume de chirurgie aortique bénéficiant d’un dépôt permanent d’endoprothèses thoraciques. À défaut d’endoprothèse compatible en dépôt, celle-ci devrait pouvoir être obtenue dans un délai inférieur à 4 heures (6 heures au maximum).
4.4. Type de prise en charge
Six malades (86%) étaient opérés par endoprothèse aortique thoracique et un malade (14%) était opéré par thoracotomie postérolatérale gauche (mise à plat de l’anévrysme associée à une lobectomie supérieure gauche) pour une fistule bronchique survenant un an après la mise en place d’une prothèse hybride (E-vita OPEN – Jotec®) pour faux anévrysme chronique.
Dans la littérature, et de manière similaire à la prise en charge des anévrysmes rompus, la majorité des cas et parmi les plus récents ont été traités à la phase aiguë par voie endovasculaire [15-17]. Cette tendance, qui suit l’avènement de la chirurgie endovasculaire, semble communément admise en chirurgie de sauvetage avec une amélioration de la survie par rapport à une prise en charge conventionnelle pour les anévrysmes rompus [16,18,19]. Certains auteurs préconisent cette attitude en urgence quitte à discuter un geste par chirurgie ouverte secondairement [1,2,6,7]. Cette approche est préconisée dans les centres à haut volume de chirurgie aortique avec l’expérience de l’équipe chirurgicale aux techniques endovasculaires thoraciques simples et complexes et en étroite collaboration avec l’équipe d’anesthésie et de réanimation pour la gestion des paramètres techniques inhérents à ce type de procédure (utilisation en routine de la stimulation ventriculaire rapide, gestion des risques de paraplégie…).
L’abstention chirurgicale avec un traitement médical conservateur ne semble pas être une alternative à la chirurgie, certains auteurs ayant relevé 100% de décès [3].
4.5. Prise en charge en milieu septique ou devenu septique
Un sepsis était décrit pour au moins quatre malades (57%) de notre série.
Un malade (14%) présentant une fistule aorto-œsophagienne a eu une chirurgie combinée dans le premier temps opératoire associant endoprothèse thoracique, pose de prothèse œsophagienne, gastrostomie pour décaillotage et jéjunostomie. Deux malades (29%) pris en charge pour des fistules aortobronchiques (1 – 14% – primaire et 1 – 14% – secondaire) ont présenté des ruptures oesophagiennes mises en évidence dans les suites opératoires dans le cadre de tableaux de sepsis persistants (dont une endocardite infectieuse avec remplacement valvulaire aortique à 42 jours pour le premier), nécessitant une chirurgie de Lewis Santy à 2 mois de la prise en charge pour le premier et une prothèse œsophagienne en sauvetage 5 mois après la prise en charge initiale.
Une malade (14%) opérée d’une fistule aorto-œsophagienne par endoprothèse a présenté dans les suites une infection chronique de prothèse confirmée par une scintigraphie aux leucocytes marqués. Devant les risques d’une réintervention chez une malade fragile, une antibiothérapie au long cours et un suivi régulier ont été privilégiés.
Dans la littérature, la complication redoutée reste l’infection dont la prise en charge est multiple [1-7,9] :
- Prophylactique : plusieurs auteurs s’accordent sur une antibioprophylaxie/antibiothérapie prolongée de plusieurs semaines sans toutefois avoir de durée ou de protocole médicamenteux codifiés [1,2,6]. Dans notre série, toutes les interventions étaient réalisées sous antibioprophylaxie sans toutefois que le protocole ou la durée puissent être précisés a posteriori. En France, les recommandations de la SFAR (Société française d’anesthésie et de réanimation) sont applicables ; cependant elles ne concernent que les chirurgies “propres” ou “propres-contaminées” et ne couvrent pas la prise en charge en milieu septique ou potentiellement septique où une antibiothérapie doit être mise en place.
- Thérapeutique : la prise en charge idéale du sepsis réside dans l’exclusion de la porte d’entrée à la phase initiale avec une chirurgie combinée au niveau thoracique (œsophagectomie, lobectomie…) selon des délais variables avec une amélioration de la survie [4,6,9,20,21]. En cas d’infection chronique, la prise en charge entre dans le cadre des infections de prothèses vasculaires et doit, après évaluation du terrain et des risques opératoires, consister en un remplacement du matériel prothétique par, le plus souvent, une allogreffe [22-25]. En pratique, un tel remplacement est rarement effectué et ne doit être envisagé qu’après confirmation diagnostique (TEP-scan, scintigraphie aux leucocytes marqués…) [26]. Il n’existe pas de recommandation sur le type d’antibiotique et la durée de traitement (qui est classiquement supérieure à 6 semaines).
- Palliative : en cas d’infection chronique et de contre-indication chirurgicale, un traitement antibiotique suppressif au long cours et une surveillance active peuvent être envisagés [1-8].
4.6. Survie
La survenue d’une fistule aortique est une pathologie grave au pronostic sombre. Dans notre série, six malades (86%) sont décédés (3 – 41% – de défaillance multiviscérale, 2 – 29% – d’AVC et 1 – 14% – de cause inconnue).
Bien que peu significatif, le taux de mortalité globale était de 29% à 30 jours et de 57% à 1 an. En dehors de toute interprétation brute de la survie, elle n’en demeure pas moins informative en fonction de l’étiologie de la fistule. Elle est de quelques jours en cas de fistule aorto-œsophagienne sur un terrain débilité de cancer et plus longue en cas de fistule aortobronchique.
Cette tendance est retrouvée dans la littérature où les fistules survenues sur perforation œsophagienne (arêtes…) ou sur cancer ont une moins bonne survie que celles survenues sur anévrysmes aortiques rompus [3]. Dans ce dernier cas, la mortalité est similaire à celle des anévrysmes de l’aorte thoracique rompus (19 à 33% à 30 jours) [10,11]. En corrélation, les fistules aorto-œsophagiennes montrent une moins bonne survie [1,3,5,9].
4.7. Limites de l’étude
Bien que rétrospectifs, sans collecte des données de manière prospective et portant sur une petite cohorte, les résultats présentés apparaissent similaires à ceux de la littérature. Les fistules aortiques restent une pathologie rare dont la prise en charge relève de l’urgence et doit s’adapter au patient et à la présentation clinique.
4.8. Vers une stratégie de prise en charge
Toutefois, certains points permettent d’ébaucher une stratégie de prise en charge de ces fistules aortobronchiques et aorto-œsophagiennes [4,5,20,21,27] :
- prise en charge pluridisciplinaire en urgence dans un centre expert ;
- chirurgie endovasculaire de sauvetage ;
- couverture antibiotique prolongée dont la cible bactérienne et la durée sont à préciser ;
- ± chirurgie combinée selon le terrain et la présentation clinique. En cas de fistule aorto-œsophagienne, une œsophagectomie associée en periopératoire a montré un bénéfice en terme de survie [2,9] ;
- ± réparation en chirurgie ouverte à distance [28].
5. Conclusion
La survenue d’une fistule aortobronchique ou aorto-œsophagienne est une pathologie rare au pronostic sombre (71% de survie à 30 jours et 43% à 1 an) nécessitant une prise en charge pluridisciplinaire dans des centres experts ; l’exclusion de la fistule étant le plus fréquemment réalisée par voie endovasculaire, la chirurgie conventionnelle garde sa place dans certains cas particuliers. La stratégie globale de prise en charge et la place d’une chirurgie combinée (œsophagectomie, lobectomie…) doit encore être évaluée.
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Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared.
Date de soumission : 27/08/2019. Acceptation : 14/10/2019.