Abdelkader Boukhmis1,4*, Mohamed El-Amin Nouar1,4, Mohamed Debieche2,5, Elhadj Boudiaf 3,4
- Service de chirurgie cardiaque, CHU Mustapha Bacha, Alger, Algérie.
- Service de chirurgie cardiaque, CHU de Blida, Algérie. .
- Service de chirurgie cardiaque, EHS Dr Maouche MA, Alger, Algérie.
- Faculté de médecine, université d’Alger, Algérie.
- Faculté de médecine, université de Blida, Algérie.
* Auteur correspondant : kaderboukhmis@yahoo.fr
DOI : 10.24399/JCTCV22-2-BOU
Citation : Boukhmis A, El-Amin Nouar M, Debieche M, Boudiaf E. Perméabilité précoce des greffons coronaires et facteurs prédictifs de leur occlusion. Journal de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 2018;22(2). doi: 10.24399/JCTCV22-2-BOU
Résumé
Objectif : évaluer la perméabilité précoce des greffons coronaires et déterminer les facteurs prédictifs de leur occlusion.
Patients et méthode : 238 patients consécutifs ont bénéficié d’un pontage coronaire isolé entre janvier 2014 et mai 2016. Au 6e mois postopératoire, nous avons réalisé un coroscanner quand les tests de stress étaient négatifs et une coronarographie dans le cas contraire.
Résultats : 145 imageries coronaires ont été réalisées. Pour 96,3 % des pontages, l’artère mammaire interne gauche et l’artère interventriculaire antérieure étaient perméables. Sur les territoires coronaires droit et circonflexe, la perméabilité des artères mammaires internes droites et des greffons veineux étaient, respectivement de 83,9 % versus 66, 3 %, p = 0,01. L’analyse univariée a objectivé que l’occlusion des greffons veineux était liée au sexe féminin (p = 0,03), aux durées de circulation extracorporelle ≥ 110 min (p = 0,014) et aux transfusions sanguines homologues (p = 0,037).
Conclusion : au 6e mois postopératoire, la perméabilité de l’artère mammaire interne gauche est excellente alors que les greffons veineux sont occlus dans 1/3 des cas. L’artère mammaire interne droite doit être privilégiée dans la revascularisation des territoires coronaires circonflexe et droit. Un pontage « tout artériel » est à encourager chez le sexe féminin et les transfusions sanguines homologues sont à éviter en cas de pontage coronaire artérioveineux.
Abstract
Objective: To evaluate the patency of early coronary grafts and to determine the factors predicting their occlusion.
Material and methods: 238 consecutive patients underwent isolated CABG between January 2014 and May 2016. Six months after surgery we performed a coronary computed tomography angiography (CTA) on patients when stress tests were negative and an invasive coronary angiography (ICA) in the opposite case.
Results: 145 coronary angiograms were performed. We found 96.3% of left internal mammary arteries (LIMA) anastomosed to the left anterior descending (LAD) artery were patent. In the right and circumflex coronary territories the patency of the right internal mammary arteries (RIMA) and saphenous vein grafts (SVG) were, respectively, 83.9% and 66.3%, p=0.01. Univariate analysis showed that SVG occlusion was related to female sex (p=0.03), cardiopulmonary bypass time ≥110min (p=0.014) and homologous blood transfusions (p=0.037).
Conclusion: In the 6th postoperative month, LIMA has excellent patency, whereas SVG are occluded in 1/3 of cases. RIMA should be favored in the revascularization of the circumflex and right coronary territories. Total arterial revascularization should be encouraged in female patients and homologous blood transfusions should be avoided in cases of arteriovenous coronary bypass.
1. INTRODUCTION
Le dysfonctionnement des greffons coronaires réduit la survie à long terme, augmente les récidives d’angor ainsi que le taux de revascularisations itératives [1]. Il a été établi que leur taux d’occlusion augmente avec le temps sous l’effet de l’hyperplasie intimale puis de l’athérosclérose [2]. L’évaluation de leurs perméabilités précoces, avant même que ces deux mécanismes n’entrent en jeu, pourrait mettre en exergue l’impact du profil clinique, de la sévérité des lésions coronaires, des différents déséquilibres biologiques périopératoires, du choix des greffons et de la configuration du pontage coronaire sur l’incidence de leurs occlusions. L’imagerie coronaire de référence reste la coronarographie. Cependant, les coroscanners actuels se sont imposés comme un outil diagnostique des occlusions et des sténoses des greffons coronaires, grâce à leur performance diagnostique élevée et à leur caractère non invasif [3]. L’objectif de cette étude est d’évaluer la perméabilité précoce des greffons coronaires et de cerner les facteurs prédictifs, cliniques, biologiques et opératoires, associés à leurs occlusions.
2. PATIENTS ET MÉTHODE
Entre janvier 2014 et mai 2016, 238 patients consécutifs (194 hommes et 44 femmes), âgés en moyenne de 59,4 ± 9,6 ans (de 37 à 84 ans) ont bénéficié d’un pontage coronaire isolé. Le nombre moyen de pontage/patient a été de 2,4 ± 0,8. 11,8 % des patients ont bénéficié d’un monopontage (n = 28/238), 42,4 % d’un double pontage (n = 101/238), 38,2 % d’un triple pontage (n = 91/238), 7,1 % d’un quadruple pontage (n = 17/238) et 0,4 % d’un quintuple pontage (n = 1/238). Un pontage unimammaire dédié à l’interventriculaire antérieure (IVA), avec ou sans ses branches diagonales, a été suffisant chez 12,6 % (n = 30/238) des patients, son association à 1 ou 2 greffons veineux saphènes internes (VSI) était nécessaire chez 28,6 % (68/238) d’entre eux. Le pontage coronaire utilisant les deux artères mammaires internes (AMI) a été réalisé chez 58,8 % (n = 140/238) de nos patients, selon les 4 modalités suivantes : 2 AMI in situ : 18,5 % (n = 44/238) ; 2 AMI in situ + 1 ou 2 VSI : 25,6 % (n = 61/238) ; 2 AMI en Y : 12,6 % (n = 30/238) et 2 AMI en Y + 1 VSI chez 2,1 % (n = 5/238). Chez les patients multitronculaires, la proportion du pontage double mammaire a été de 66,7 % (n = 140/210). Le greffon mammaire composite en Y a permis de réaliser une moyenne d’anastomoses artérielles/patient significativement plus élevée que celle réalisée par le pontage double mammaire in situ, respectivement 2,77 ± 0,84 vs 2,06 ± 0,24, p ˂ 0,0001. Le pontage coronaire a été réalisé à cœur arrêté chez 97,5 % des patients (n = 232/238) et à cœur battant chez les autres, devant des aortes ascendantes très calcifiées (n = 5) ainsi qu’une thrombopénie sévère préopératoire (n = 1). La durée moyenne de la circulation extracorporelle (CEC) et du clampage aortique a été, respectivement 83,4 ± 29,1 min (de 25 à 188 min) et 61,1 ± 27,2 min (de 15 à 136 min).
La mortalité opératoire était de 3,36 % (n = 8/238). Durant la période hospitalière, 2,52 % (n = 6/238) de nos patients ont eu un infarctus du myocarde (IDM), 2,52 % (n = 6/238) ont eu un accident vasculaire cérébral (AVC), 8 % (n = 19/238) ont développé une insuffisance rénale postopératoire et 1,3 % (n = 3/238) d’entre eux a contracté une infection sternale profonde. Durant cette période hospitalière aucun patient n’a eu de revascularisation coronaire itérative.
Au 6e mois postopératoire, 5 patients étaient perdus de vue, 4 patients ont eu un AVC, aucun patient n’a eu d’IDM récent et un patient est décédé suite à une médiastinite (1/225 = 0,44 %). Les 224 patients convalescents ont été enrôlés pour une évaluation de la perméabilité de leurs pontages coronaires, par un coroscanner quand les examens de stress étaient négatifs et par une coronarographie dans le cas contraire. Seuls 7,6 % des patients (n = 17/224) avaient un angor au stade II de la classification de la société canadienne de cardiologie (CCS), alors que 92,4 % des patients (n = 207/224) étaient asymptomatiques ou avaient un angor au stade I de la même classification. Parmi ces derniers, 68 patients ont refusé de subir une exploration poussée (test d’effort et imagerie coronaire), soit du fait de leur caractère asymptomatique, soit devant leur incapacité à faire le déplacement. Parmi les 156 patients qui ont bénéficié de tests de stress, nous avons exclu 9 patients asymptomatiques de l’évaluation angiographique, vu leurs antécédents d’allergie à l’iode (3 patients) ou leurs taux de créatininémie > 15 mg/l (6 patients).
Les greffons coronaires ont été évalués selon la classification de Fitzgibbon [1], qui classe les greffons en : A (excellent), B (passable : greffon ayant un calibre ˂ 50 % de celui de la coronaire pontée) ou 0 (occlus).
Afin de déterminer les facteurs prédictifs d’occlusion des greffons coronaires, nous avons procédé à une analyse univariée des variables cliniques, biologiques et opératoires, collectées prospectivement pour chaque patient.
2.1. Analyse statistique
Le système utilisé pour l’analyse statistique de notre étude est l’EPI info 6. Les variables qualitatives sont exprimées en fréquences absolues et relatives, alors que les variables quantitatives sont exprimées avec des moyennes et des écarts types. Les pourcentages sont comparés par le test de Chi2, ainsi que par leurs odds ratio avec un intervalle de confiance à 95 %. Le test exact de Fisher (test non paramétrique) est utilisé pour comparer les échantillons de petites tailles. Les moyennes sont évaluées avec le test d’Anova. La valeur de p est considérée comme statistiquement significative si elle est < 0,05.
3. RÉSULTATS
Cent quarante-cinq patients ont ainsi bénéficié d’une imagerie coronaire [tableau 1], comprenant 134 coroscanners et 11 coronarographies ayant conduit à une revascularisation instrumentale chez 3 d’entre eux. Notons que 2 patients, dont les tests de stress étaient positifs, ont refusé de subir une imagerie coronaire quelconque vu la stabilisation de leurs symptômes par un traitement médical optimal.
Tableau 1. Caractéristiques de base des patients ayant bénéficié d’une imagerie coronaire.
Nombre | n = 145 |
Sexe ratio | 4,4 H / 1 F |
Âge (Année) | 59,15 +/- 9,6 ans (37 à 84) |
HTA | 66,9 % (n = 97) |
Diabète sucré | 61,4 % (n = 89) |
Tabagisme sevré | 59,3 % (n = 86) |
Dyslipidémie | 57,9 % (n = 84) |
Obésité (IMC ˃ 30kg/m²) | 27,6 % (n = 40) |
Artériopathie extracoronaire (sténose > 50 %) | 7,6 % (n = 11) |
AVC préop | 4,8 % (n = 7) |
Angor II-III-IV | 88,3 % (n = 128) |
FEVG = 31-50 % | 36,5 % (n = 53) |
FEVG ≤ 30 % | 3,4 % (n = 5) |
TCG +/- 1, 2, 3 troncs | 21,4 % (n = 31) |
Tritronculaires (TCG sain) | 48,3 % (n = 70) |
Pontage double mammaire | 61,4 % (n = 89) |
HTA : hypertension artérielle ; IMC : indice de masse corporelle ; AVC : accident vasculaire cérébral ; FEVG : fraction d’éjection ventriculaire gauche ; TCG : tronc commun gauche.
L’analyse a porté sur 143 AMI gauches (AMIG), 89 AMI droites (AMID) et 89 VSI. Concernant les greffons veineux, nous avons constaté qu’à ce stade précoce de l’évolution, ils étaient soit parfaitement bien perméables et réguliers (type A), soit complètement occlus (type O), sans signe de sténose intermédiaire qu’elle soit anastomotique ou tronculaire. Mis à part les greffons AMI parfaits (type A) et occlus (type O), nous avons eu 5 AMIG et 4 AMID grêles, en comparaison aux greffons AMI controlatéraux, cependant leurs calibres étaient à tous points supérieurs à 50 % de celui de la coronaire cible. Vu que ces greffons AMI grêles ne correspondaient pas à la définition du type B, ils ont été classés comme type A.
Au 6e mois postopératoire, la perméabilité de l’AMIG dédiée à l’IVA était la plus élevée parmi tous les pontages analysés [tableau 2]. Cependant, sa perméabilité était statistiquement comparable à celle de l’AMID, que ce soit au niveau de l’IVA (p = 0,296. Test exact de Fisher) ou des artères marginales gauches (p = 0,617. Test exact de Fisher) [tableau 2]. Notons que la perméabilité globale des 2 AMI était significativement plus élevée quand elles étaient dédiées à l’IVA en comparaison aux artères marginales gauches, respectivement 95,8 % (n = 137/143) vs 82,8 % (n = 58/70) (odds ratio = 4,68, intervalle de confiance à 95 % [1,539-15,983], p = 0,002. Test exact de Fisher). À l’inverse, la perméabilité de l’AMID n’a pas présenté de différence significative, que ce soit entre le réseau coronaire droit et circonflexe, respectivement : 84,2 % (n = 16/19) vs 83,9 % (n = 52/62) (odds ratio = 0,975. Intervalle de confiance à 95 % [0,153-4,448], p = 1. Test exact de Fisher) ou de part et d’autre de la bifurcation de la coronaire droite (p = 0,422. Test exact de Fisher) [tableau 2].
Tableau 2. Perméabilité des greffons en fonction de leur coronaire cible.
Greffons | Coronaires cibles | % (perméables/total) |
AMIG |
IVA | 96,3 (130/135) |
Artère marginale | 75 (6/8) | |
Diagonales | 100 (5/5) | |
AMID |
IVA | 87,5 (7/8) |
Artère marginale | 83,87 (52/62) | |
Tronc CD | 66,67 (2/3) | |
IVP/RVG | 87,5 (14/16) | |
AMID in situ | 80 (48/60) | |
AMID en Y | 93,10 (27/29) | |
VSI |
Tronc de la CD | 63,41 (26/41) |
IVP/RVG | 65 (13/20) | |
Marginales gauches | 72,72 (16/22) | |
Diagonales | 33,33 (2/6) |
IVA : interventriculaire antérieure ; AMIG : artère mammaire interne gauche ; AMID : artère mammaire interne droite ; CD : coronaire droite ; VSI : veine saphène interne ; IVP : interventriculaire postérieure ; RVG : retroventriculaire gauche.
3.1. Facteurs prédictifs de l’occlusion des greffons coronaires
L’analyse univariée a révélé que l’âge avancé (˃ 65 ans), la fraction d’éjection ventriculaire gauche préopératoire (FEVG), le diabète sucré, la glycémie à H24, la double anti-agrégation plaquettaire postopératoire (clopidogrel + aspirine), l’hémoglobine glyquée (HbA1C) et la cholestérolémie au 6e mois postopératoire n’ont pas significativement influencé la perméabilité des greffons coronaires qu’ils soient artériels ou veineux [tableaux 3 et 4].
Tableau 3. Facteurs prédictifs d’occlusion des greffons veineux
Facteurs étudiés | % (n des patients avec 1-2 VSI occluses/total) | p | odds ratio (IC à 95 %) |
Âge ≥ 65 ans | 45,5 (10/22) | 0,482 | 1,43 (0,47-4,38) |
Âge < 65 ans | 36,8 (21/57) | ||
Sexe : Féminin | 61,1 (11/18) | 0,030 | 3,22 (0,96-11,03) |
Sexe : Masculin | 32,8 (20/61) | ||
Diabétique | 40 (18/45) | 0,873 | 1,0 (0,39-3,00) |
Non diabétiques | 38,2 (13/34) | ||
Glycémie H24 ≥ 2g/l | 37,8 (14/37) | 0,743 | 0,8 (0,31-2,3) |
Glycémie H24 < 2g/l | 41,5 (17/41) | ||
HbA1C > 7 % (6 mois postop) | 37,9 (11/29) | 0,940 | 0,96 (0,33-2,78 |
HbA1C ≤ 7 % (6 mois postop) | 38,8 (19/49) | ||
Chol (6 mois) ≥ 2g/l | 45,5 (5/11) | 0,649 | 1,3 (0,31-5,7) |
Chol (6 mois) < 2g/l | 38,2 (26/68) | ||
FEVG ≥ 40 % | 28,6 (2/7) | 0,526 | 0,58 (0,07-3,79) |
FEVG < 40 % | 40,8 (29/71) | ||
Durée de CEC ≥ 110 min | 60 (12/20) | 0,014 | 3,58 (1,12-11,73) |
Durée de CEC < 110 min | 29,5 (18/61) | ||
Transfusions | 55,6 (15/27) | 0,037 | 2,73 (0,93-8,12) |
Pas de transfusions | 31,4 (16/51) | ||
Cl créat postop ≤ 50 ml/min | 50 (4/8) | 0,745 | 1,69 (0,32-9,01) |
Cl créat postop ˃ 50 ml/min | 37,1 (26/70) | ||
Aspirine seule | 41,4 (24/58) | 0,447 | 1,53 (0,45-5,36) |
Aspirine + clopidogrel | 31,6 (6/19) |
IC : intervalle de confiance ; HbA1C : hémoglobine glyquée ; Chol (6 mois) : cholestérolémie au 6e mois postopératoire ; FEVG : fraction d’éjection ventriculaire gauche ; CEC : circulation extracorporelle ; Cl créat postop : clairance de créatinine postopératoire.
Tableau 4. Facteurs prédictifs d’occlusion des greffons mammaires internes gauches.
Facteurs étudiés | % (n des patients avec AMIG occluse/potal) | p | odds ratio (IC à 95 %) |
Âge ≥ 65 ans | 2,9 (1/34) | 0,675 | 0,6 (0,03-6) |
Âge < 65 ans | 4,6 (5/109) | ||
Sexe : Masculin | 3,4 (4/116) | 0,355 | 0,45 (0,06-3,79) |
Sexe : Féminin | 7,4 (2/27) | ||
Glycémie H24 ≥ 2g/l | 5,2 (3/58) | 0,641 | 1,4 (0,22-9,7) |
Glycémie H24 < 2g/l | 3,6 (3/84) | ||
Chol (6mois) ≥ 2g/l | 10,5 (2/19) | 0,142 | 3,5 (0,4-25,39) |
Chol (6mois) < 2g/l | 3,3 (4/123) | ||
FEVG préop ˂ 40 % | 0 (0/16) | 0,372 | 0,0 (0,00-8,02) |
FEVG préop ≥ 40 % | 4,8 (6/126) | ||
Durée de CEC ≥ 110 min | 3,57 (1/28) | 0,648 | 0,7 (0,08- 6,93) |
Durée de CEC < 110 min | 4,54 (5/110) | ||
AMIG-IVA | 3,7 (5/135) | 0,050 | 8,37 (0,6-66,8) |
AMIG-Marginales | 25 (2/8) | ||
Transfusions | 6,1 (3/49) | 0,422 | 1,9 (0,29-12,80) |
Pas de transfusions | 3,3 (3/92) | ||
Cl créat postop ≤ 50ml/min | 25 (2/8) | 0,039 | 10,4 (1,07-92,2) |
Cl créat postop > 50 ml/min | 3,1 (4/129) | ||
Aspirine seule | 4,5 (4/89) | 0,967 | 0,9 (0,14-8,06) |
Aspirine + clopidogrel | 4,7 (2/43) |
AMIG : artère mammaire interne gauche ; IC : intervalle de confiance ; Chol (6 mois) : cholestérolémie au 6e mois postopératoire ; FEVG : fraction d’éjection ventriculaire gauche ; CEC : circulation extracorporelle ; IVA : intervention antérieure ; Cl créat postop : clairance de créatinine postopératoire.
4. DISCUSSION
Les principaux enseignements tirés de la présente étude sont les suivants.
- Le pontage AMIG-IVA possède la perméabilité précoce la plus élevée parmi les autres pontages coronaires.
- Pour la même coronaire cible, les deux greffons AMI ont des perméabilités comparables.
- L’AMID a la même perméabilité au niveau des artères marginales gauches et de l’artère coronaire droite, ainsi qu’en amont ou en aval de la bifurcation de cette dernière.
- La configuration du pontage double mammaire en Y n’augmente pas significativement la perméabilité de l’AMID par rapport à la configuration in situ, cependant elle permet de réaliser significativement plus de pontages artériels.
- Pour les mêmes coronaires cibles, la perméabilité précoce des greffons VSI est significativement plus basse que celle de l’AMID.
- Le sexe féminin, les durées de CEC dépassant 110 min et les transfusions de sang homologue augmentent significativement le taux d’occlusion des greffons VSI, sans affecter celui des greffons AMI.
Sur le plan méthodologique, les 145 patients de cette série angiographique ont été opérés au niveau du même service, par 4 chirurgiens travaillant en binôme à chaque fois. L’idéal aurait été que tous les patients soient opérés par le même chirurgien, afin de supprimer les variations interchirurgiens pouvant influencer les résultats statistiques. Notons par ailleurs que dans l’étude RIGOR [4], les 291 patients colligés ont été opérés par 17 chirurgiens, pratiquant dans 4 hôpitaux différents.
Malgré la polémique soulevée ces dernières années autour de la moindre perméabilité des greffons coronaires après un pontage coronaire à cœur battant, nous avons inclus les 6 patients opérés avec cette technique, car ils n’ont reçu que des pontages AMI. Une méta-analyse récente [5] a confirmé que le pontage off-pump ne réduit significativement que la perméabilité des greffons VSI, alors qu’il n’affecte ni celle de l’AMIG ni celle de l’artère radiale.
Dés le début de l’étude statistique, nous avons voulu aboutir à une analyse multivariée afin d’identifier les facteurs de risque indépendants en rapport avec l’occlusion des différents greffons. Cependant, vu que l’analyse univariée n’a pas pu isoler plus de 3 facteurs prédictifs significatifs par greffon, l’analyse multivariée a été jugée peu fructueuse par nos statisticiens.
Notre étude a objectivé qu’après 6 mois de recul, le taux d’occlusion des greffons VSI est inquiétant, puisque 35,96 % des patients ayant bénéficié d’un pontage artérioveineux ont eu un greffon veineux occlus, contre 33 % dans l’étude multicentrique RIGOR [4]. Dans cet intervalle de temps, la perméabilité des greffons veineux obéit à la loi du tout ou rien, ils sont soit totalement perméables, soit complètement occlus, ce qui dénote du mécanisme thrombotique de leur occlusion.
À un stade plus précoce, la proportion des greffons veineux occlus à 1 semaine de la chirurgie avoisine les 10 % [6]. Ceci démontre clairement que la phase périopératoire est déterminante pour la perméabilité des greffons veineux. Goldman [7] a objectivé qu’un greffon VSI perméable à 1 semaine de l’intervention avait 68 % de chance de l’être à 10 ans.
À plus long terme, une étude randomisée [8] a objectivé que 38 à 46 % des greffons veineux étaient occlus après 12-18 mois de recul. À ce stade, le mécanisme d’occlusion fait intervenir successivement l’hyperplasie intimale, entre 6 mois et 1 an, puis l’athérosclérose, au-delà d’une année [2].
Le sexe féminin a été identifié, dans notre étude ainsi que dans d’autres études antérieures [9], comme un facteur prédictif d’occlusion des greffons veineux. D’autres auteurs ont démontré qu’il était associé à une augmentation significative de la mortalité précoce après un pontage coronaire isolé, sans toutefois élucider le mécanisme responsable [10]. L’une des hypothèses avancées est une revascularisation coronaire plus difficile chez les femmes, lesquelles possèdent un calibre coronaire plus faible que celui des hommes, indépendamment de leurs surfaces corporelles [11].
L’association significative, dans la présente étude, des transfusions de sang homologue aux occlusions des greffons veineux, a été notée récemment par Engoren [12]. Des études plus anciennes ont démontré que la transfusion de sang conservé provoque un état prothrombotique, en stimulant la libération plaquettaire du CD40L, aboutissant à l’expression du facteur tissulaire et à la réduction de l’activité fibrinolytique. Par ailleurs, Hedstrom [13] a démontré dans une étude randomisée que le taux circulant postopératoire de l’inhibiteur de l’activateur du plasminogene (PAI-1), qui agit comme un facteur procoagulant direct, était plus élevé après des transfusions de sang homologue, comparativement aux transfusions de sang autologue.
D’autre part, notre étude a identifié l’association des durées de CEC dépassant 110 min à l’occlusion des greffons veineux au 6e mois postopératoire, corroborant ainsi les théories d’autres auteurs ayant fait ce constat à un stade plus précoce (7jours) [14], mais également à plus long terme (3 ans) [15].
Les greffons VSI utilisés dans la population de la présente étude ont été prélevés à ciel ouvert, selon la technique conventionnelle. Ceci peut expliquer en partie l’occlusion d’un tiers d’entre eux, d’autant plus que Samano et al. [16] ont démontré dans une étude randomisée, qu’après un recul moyen de 16 ans, le prélèvement « No Touch », gardant la graisse périvasculaire autour du greffon VSI, lui confère une perméabilité presque égale à celle de l’AMIG et significativement plus élevée que celle de la technique conventionnelle (p = 0,03).
L’excellente perméabilité précoce de l’AMIG dédiée à l’IVA, notée aussi bien dans notre étude (96,3 %) que dans d’autres études angiographiques (93-96 %) [6, 7, 17], conforte son statut de pierre angulaire de la revascularisation coronaire chirurgicale.
La perméabilité significativement plus élevée de l’AMID par rapport à celle des greffons veineux au niveau des territoires coronaires circonflexe et droit, parue dans notre étude ainsi que dans celle de Tatoulis [17] doit faire de l’AMID le greffon de choix pour revasculariser ces territoires.
Nous avons également mis en évidence, que pour les mêmes coronaires cibles, les 2 AMI, biologiquement semblables, avaient des perméabilités comparables. Ce constat vérifié dans d’autres études [17] confirme la sécurité du pontage double mammaire in situ inversé (AMIG-artères marginales et AMID-IVA), et offre au chirurgien plus de souplesse pour revasculariser l’ensemble du réseau coronaire gauche, y compris les marginales distales, en n’utilisant que les 2 AMI in situ.
Bien que nous n’avons pas noté de différences significatives de la perméabilité des deux greffons AMI en fonction du type de leur montage (in situ, in situ inversé ou en Y), les greffons mammaires composites en Y nous ont permis de réaliser significativement plus de pontages artériels par patient. Les autres avantages de ce type de pontage sont la réduction à moyen terme (7 ans) du taux des réinterventions par rapport au pontage double mammaire in situ [18], ainsi que la sécurité qu’il offre en cas d’une éventuelle réintervention avec des pontages AMI perméables. En effet, le greffon mammaire composite en Y passant sur le flanc gauche du cœur sera en position sécurisée, contrairement au pontage double mammaire in situ inversé, où l’AMID précroisant l’aorte ascendante comporte un risque de blessure très important.
Par ailleurs, la meilleure perméabilité des deux AMI au niveau de l’IVA en comparaison au réseau marginal gauche a été évoquée également par Tatoulis dans une autre étude portant sur 2127 conduits artériels (p ˂ 0,001) [19]. Cela peut s’expliquer par une difficulté opératoire plus élevée lors du pontage des artères marginales, ainsi que par la possibilité de survenue de tension et/ou de torsion au niveau de ces greffons, notamment lors de la traversée du sinus de Theile.
La perméabilité des greffons AMI est non seulement affectée par les lésions pouvant survenir lors de leurs prélèvements, telle que les dissections, les hématomes pariétaux et les brûlures par électrocoagulation, mais également par le degré de sténose de leur coronaire cible [19]. En effet, les sténoses modérées (˂ 60 %) entraînent un flux compétitif voire même inversé à travers les greffons artériels, aboutissant ultérieurement à leur involution. Récemment, une étude randomisée [20] a démontré que le pontage coronaire guidé par la FFR (Fractional Flow Reserve) réduisait significativement le taux d’occlusion des greffons et des récidives de l’angor, comparativement au pontage guidé par la seule coronarographie.
La valeur prédictive négative élevée des coroscanners actuels, concernant les sténoses et les occlusions des greffons coronaire [3], permet d’exclure avec une grande certitude tout dysfonctionnement de ces derniers et réserve ainsi la coronarographie aux patients qui nécessiteraient une revascularisation. Le talon d’Achille de cette imagerie non invasive reste sa plus faible performance diagnostique (sensibilité et spécificité) en matière d’évaluation du degré des sténoses du réseau coronaire natif, notamment en cas de calcifications importantes, rendant difficile la mise en évidence des sténoses modérées qui pourraient expliquer l’occlusion des greffons AMI.
4.1. Limites de cette étude
L’un des reproches que l’on pourrait faire à cette étude ayant analysé la perméabilité, à 6 mois de la chirurgie, de 232 AMI et 89 VSI, est le nombre réduit des effectifs comparés, limitant ainsi la puissance des tests utilisés. Le refus de presque un tiers des patients asymptomatiques de bénéficier d’une imagerie coronaire postopératoire a peut-être réduit le taux moyen de perméabilité des différents greffons. Le nombre limité des coronarographies (n = 11), réalisées uniquement chez les patients dont les examens de stress étaient positifs, nous a rendu difficile l’analyse de l’impact du degré des sténoses proximales sur la perméabilité des greffons AMI.
5. CONCLUSION
Au 6e mois postopératoire, la perméabilité de l’AMIG est excellente alors que les greffons veineux sont occlus dans 1/3 des cas. L’AMID doit être privilégiée dans la revascularisation des territoires coronaires circonflexe et droit. Un pontage « tout artériel » est à encourager chez le sexe féminin et les transfusions sanguines homologues sont à éviter en cas de pontage coronaire artérioveineux.
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PMid:23985788
Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared.
Date de soumission : 16/01/2018. Acceptation : 17/05/2018.
Remerciements : les auteurs tiennent à remercier R. Mansouri, R. Boughrarou, S. E. Bouyoucef et C. Cherid pour leurs contributions actives dans la réalisation des coroscanners, des scintigraphies myocardiques et de l’analyse statistique de cette étude.