In memoriam · Vol. 20 Juin 2016

En hommage à Marc Laskar, notre président, notre collègue, notre ami

juin 3, 2016
Auteur correspondant : SFCTCV

À NOTRE PRÉSIDENT…

 
Vol20-N2-Hommage_1

L’exercice est difficile car il peut vite tomber dans la convention. Marc n’aurait certainement pas voulu tout cela, mais en même temps il nous est impossible de nous réunir à Nantes sans une pensée très particulière pour lui. J’ai la mission d’évoquer la trace, ou plutôt le sillon, laissé par Marc Laskar dans l’appareil de la SFCTCV et en particulier le Conseil d’administration.

Je suis incapable de vous dire depuis quand il servait la Société tant il était omniprésent. Il était déjà influent à mes débuts dans cette communauté, au début des années 1990. Il incarnait notre société par la constance de son implication dans tous ses rouages. Il faut ainsi rappeler que Marc avait avant tout une connaissance très précise de notre communauté professionnelle, tant par ses caractéristiques démographiques que ses modalités de fonctionnement, d’action et de pensée. Cela lui permettait d’avoir une approche pragmatique de toute évolution des pratiques professionnelles et des textes réglementant l’enseignement, la formation et l’exercice de notre discipline. Il était vite irrité par tout ce qui était formalisme et bureaucratie. Grand pourfendeur des usines à gaz, il ne mâchait pas ses mots quand certains d’entre nous, atteints du fameux syndrome de Stockholm, voulaient devancer la complexité des réformes en strates successives dont l’administration française a le secret. Il m’avait appris les vertus du « classement vertical » consistant à systématiquement jeter les courriers des expéditeurs importuns : « si leur objet est important, ils te réécriront, mais tu verras : c’est rare ! »  Très réactif quand il s’agissait de ses passions professionnelles comme l’enseignement, il usait et parfois même abusait de la procrastination pour les sujets rébarbatifs à son goût. Comme tous les amoureux de la vie et de ses plaisirs, il réservait son temps et sa formidable énergie à ses domaines de prédilection : l’exercice de la chirurgie, le management des équipes, l’accompagnement des jeunes, et les rencontres humaines. Il ne fallait pas trop compter sur lui quand il s’agissait de décliner la énième injonction tutélaire contradictoire en termes d’accréditation ou de DPC. Il était aussi très profondément « gaulois », même s’il n’ignorait pas le nécessaire dialogue avec les partenaires européens. Mais, son truc à lui, c’était plutôt la francophonie.

Bref, vous l’aurez compris, il avait les pieds bien rivés au sol d’un terroir hexagonal qu’il aimait et connaissait par cœur, c’est je crois la formule qui convient ! Son bon sens, qu’il qualifiait lui-même de « paysan », lui faisait tenir la barre du Conseil d’administration sans tergiversation et selon une trajectoire rectiligne. Il était très conscient du potentiel de notre communauté professionnelle dont il était très fier. Il porterait un soin très attentionné à l’organisation du congrès annuel qui était pour lui le point culminant et l’objet principal de notre société. Il avait des certitudes, comme celle que celui de Nantes compterait dans les annales. Une fois de plus, il aura probablement raison.

Le Conseil d’administration de la Société Française de Chirurgie Thoracique et Cardio-vasculaire

 


 

À MARC…

Le décès accidentel de Marc Laskar le 26 juillet 2016, à l’âge de 62 ans, a retiré à notre affection un ami très cher, interrompu une brillante carrière hospitalo-universitaire, et privé le CNU d’un de ses membres les plus éminents et influents.

Docteur en médecine à l’âge de 27 ans, professeur des universités à 37 ans, chef de service et vice-doyen de la faculté de Limoges à 38 ans, Marc Laskar est devenu membre du CNU en 2004, nommé sur proposition du président de la sous-section, le professeur Pierre Fuentes. Au terme de ce premier mandat de 6 ans, Marc a été brillamment réélu pour un second mandat qui devait se terminer fin 2015. Il s’était porté candidat à un troisième mandat et, sans nul doute, aurait été très certainement réélu.

Le destin en a décidé autrement.

Les principales missions du CNU sont le recrutement et la nomination des enseignants de notre discipline et leur promotion dans le corps. Le CNU doit aussi assurer un rôle de prospective pour la discipline et peut être appelé à intervenir dans l’analyse et le règlement de conflits menaçant la discipline au sein d’établissements. Dans chacun de ces domaines, l’action de Marc a été constante et déterminante ; il a adapté à notre sous-section la grille d’évaluation des candidats à une promotion en y introduisant des critères objectifs ; il a très largement contribué à définir les règles d’appréciation des travaux scientifiques des candidats au concours de PH et MCU-PH en classant les revues et en introduisant la notion de « points CNU » ; il a été la cheville ouvrière de la construction de la maquette du futur DES qualifiant de chirurgie thoracique et cardiovasculaire.

Marc s’était impliqué de longue date dans l’analyse scrupuleuse de la démographie de notre spécialité et était tout naturellement devenu l’interlocuteur privilégié des jeunes en formation. Grâce à sa parfaite connaissance du terrain, il pouvait les éclairer de ses conseils et guider leurs choix professionnels.

Sérieux sans se prendre au sérieux, travailleur infatigable, Marc était devenu incontournable et ses mérites ont été unanimement reconnus par ses pairs, comme en témoignent les éminentes fonctions qu’ils lui avaient confiées au sein des différentes instances, CNU, Conseil d’administration de la SFCTCV et Collège d’enseignement. Il a assumé toutes ces charges avec probité, brio et efficacité.

Cet investissement total dans sa vie professionnelle ne l’empêchait pas de se montrer un époux, père, grand-père et fils aimant et attentionné, et nous pensons beaucoup aux siens qu’il a laissés dans une peine profonde.

Lorsque nous nous sommes dit au revoir à l’issue du Congrès de Marseille, en juin 2015, tu m’as confié combien tu étais enthousiaste à l’idée de devoir organiser en juin 2016 à Nantes, ville dans laquelle tu avais effectué tes études de médecine, nos Journées présidentielles.

En te perdant, la chirurgie thoracique et cardiovasculaire française a perdu l’un de ses membres les plus emblématiques.

Marc est désormais absent physiquement de nos réunions, mais sera toujours présent dans nos esprits.

La mort ne triomphe jamais du souvenir.

Le Conseil National des Universités

 


 

HOMMAGE A MARC LASKAR

Vol20-N2-Hommage_2

Marc, nous avions déjà pensé à te rendre hommage dans quelques années lorsque tu aurais interrompu tes nombreuses activités de chirurgien, chef de service, vice-doyen, ainsi que tes autres fonctions que ce soit au sein de la Société Française de Chirurgie Thoracique et Cardio-Vasculaire ou ailleurs. Nous pensions avoir le temps d’organiser une cérémonie  et un hommage dignes de l’homme auprès duquel nous avions travaillé dans ce service de chirurgie cardiaque, thoracique, vasculaire et médecine vasculaire dont la polyvalence faisait la richesse et la force. Nous avions le temps… la seule certitude étant que nous voulions un hommage original, pas seulement au chirurgien ou à la carrière aussi brillante et riche fût-elle qu’à l’homme avec lequel nous avions travaillé durant ces années. Les circonstances en ont décidé autrement, nous obligeant à te rendre un hommage prématuré sous forme de cet abécédaire, chaque lettre de ton prénom et de ton nom faisant écho à des traits de caractères ou à des anecdotes. Nous aurions pu évoquer l’alphabet entier…

M comme Morgan, évidemment, ce véhicule semblant sorti tout droit d’une bande dessinée. Une voiture d’allure ancienne, à la bouille sympathique, sans compromis, rustique : châssis en bois, absence d’assistance électronique et de confort mais dotée d’un puissant moteur qui t’emmenait régulièrement de congrès en réunions. Lorsque nous nous présentions, Pr ou Dr X ou Y du CHU de Limoges, l’interlocuteur répliquait souvent : « Ah oui… Chez Laskar, l’homme à la Morgan ». Ainsi cette voiture était-elle devenue un peu l’emblème du service. « M » comme Moteur, et moteur, tu l’étais, n’étant jamais à court d’idées et de projets pour dynamiser le service et pousser les jeunes à acquérir de nouvelles compétences et s’investir dans la recherche.

comme Atypique et c’est bien là le premier adjectif qui est tout d’abord venu à nos esprits lorsqu’il a fallu évoquer ta mémoire. Atypique dans l’allure, atypique dans tes goûts et parfois dans tes réactions. « A » comme « Aorte », de préférence anévrismale ou disséquée, fissurée ou rompue. « A » comme « Accessible », qualité appréciée de tous et surtout des plus jeunes. Tu savais te rendre disponible pour nous conseiller sur des indications opératoires difficiles et venir nous tenir la main au bloc opératoire lors de nos débuts et que nous manquions d’expérience et d’assurance. Tu étais aussi disponible pour aller réveiller le praticien de garde à 3 heures du matin lorsqu’il ne répondait pas au téléphone ou te lever à 6 heures le dimanche pour encourager ton chef de clinique engagé sur l’étape du tour de France.

comme Recherche. Toujours curieux, mais aussi critique à l’égard des dernières innovations, au staff, lors des réunions multidisciplinaires ou de nos bibliographies mensuelles. Dans ce domaine aussi, tu poussais chacun à s’investir.

comme Cœur, évidemment, une passion pour cette chirurgie jamais démentie.  « C » comme Cheval, une passion tardive pratiquée avec rigueur. Le mardi, le staff devait être terminé à 18 h 30, car il y avait entraînement… « C » comme challenge. Alors que nous appréhendions les interventions complexes cardiaques ou aortiques, parfois redux ou tridux, chez des patients fragiles, à la fraction d’éjection altérée, tu te les réservais, la situation étant parfois grave mais rarement désespérée même lorsque les deux récupérateurs tournaient à plein régime dans le champ opératoire, sans stress et sans panique. Nous avions droit généralement à cette petite phrase magique : « ça va se tasser… » « C » comme Cadre infirmier. Réunion tous les lundis dans le bureau pour faire le point sur les problèmes du service. Les cadres étaient là pour mettre de l’huile dans les rouages et non du sable, aider à résoudre les problèmes d’organisation et non les créer. Partant de là, tout se passait bien. Quelques personnes firent exception. Après avoir quitté le service au prix d’une promotion, nous les retrouvions parfois sur notre chemin… écueil de l’hôpital public. « C » comme Convivial. Il régnait parfois au bloc opératoire une ambiance de village gaulois, la plupart des membres de l’équipe te tutoyaient, nous partagions des moments de vie extraprofessionnels en dehors du service, ce qui n’empêchait pas le plus grand respect que ta seule présence savait imposer. « C » comme Chef, tout simplement.

comme Limousin, la terre d’accueil où tu avais débarqué les cheveux jusqu’aux épaules destiné à une carrière d’orthopédiste. « L » comme Labeur, « L » comme Liberté, « L » comme Lascar tout simplement, si l’on s’en réfère au dictionnaire Larousse. La définition étant : « Lascar : individu rusé, qui aime jouer des tours ». C’est aussi le nom d’un volcan chilien connu pour sa grande activité, et volcanique tu pouvais l’être parfois lors de certaines réunions administratives !

comme action et il en fallait pour te fatiguer et nous ne nous souvenons pas t’avoir entendu un jour te plaindre même si parfois les traits étaient tirés après une nuit blanche.

comme Simplicité. Tu avais fait tienne la devise de Léonard de Vinci : « La simplicité est la sophistication suprême ». Appliquée à la chirurgie, cette devise caractérisait ton style : épuré, dénué de gestes et d’artefacts inutiles ou superflus. Les choses paraissaient simples en toutes circonstances. Comme tu nous le répétais souvent durant notre formation : « Ce qui est inutile est nuisible ». « S » comme Salpêtrière, la maison mère que tu évoquais toujours avec un profond respect, école d’excellence que tu citais régulièrement en exemple. « S » comme Scialytiques, sous lesquels nous passons quelques heures. En cet instant l’étymologie de ce mot nous interpelle. Il est, malgré eux, des ombres qui persistent au dessus du champ opératoire, celles de nos aînés qui nous ont transmis leur expérience, leur savoir et qui semblent nous guider lorsque nous hésitons. Leur présence bienveillante au dessus de nos épaules continue de nous guider bien après qu’ils nous ont quittés. L’artiste, par ses œuvres, accède à la postérité. Notre artisanat est à l’opposé fragile et éphémère malgré le temps et les efforts nécessaires à la maîtrise du geste. La postérité, nous y accédons peut-être à travers ce que nous transmettons à nos élèves, élèves qui transmettront un jour aussi leur savoir, appris, acquis et enrichi de leur propre expérience.

comme Kilomètres. Comment ne pas évoquer les voyages. Quel pays n’as-tu pas visité ? Toujours intéressé et curieux, insatiable voyageur, nous te pensions à Paris alors que tu étais déjà au Pakistan ou en Russie, mais toujours disponible et informé de ce qui se passait dans le service. « K » comme K-Way, vêtement utile pour les passagers que tu embarquais dans la Morgan. Tu avais une théorie bien à toi pour expliquer que l’on ne se mouillait pas dans ta voiture en cas d’averse. La vitesse chassait les gouttes par-dessus le pare-brise ou la théorie du « Plus je vais vite moins je me mouille »… une autre manière de passer entre les gouttes. Cette théorie n’emportait cependant pas la conviction de tous.

comme Avenir, celui des jeunes en formation. Nommé interne dans le service, nous étions assurés d’avoir un poste de chef de clinique puis un avenir que tu te chargeais d’assurer. Tu avais parfois le don de savoir avant nous-mêmes ce pourquoi nous étions faits et dans quel domaine nous arriverions à nous épanouir.

comme Rangement. La pagaille apparente régnant sur ton bureau contrastait au premier abord avec ton sens de l’organisation. Lorsque que nous allions te voir pour discuter d’un dossier, remplir une demande de poste ou te solliciter pour un congrès, tu savais parfaitement où tout se trouvait parmi l’amoncellement de documents. Tu étais secondé comme tu aimais à le dire par une assistante efficace : la poubelle de ton bureau, mobilier vorace qui n’était jamais rassasié de papier, notamment les documents administratifs. « R » comme Rebelle, « R » enfin comme… Reconnaissance, celle de toute ton équipe.

L’équipe de chirurgie cardiaque, vasculaire et thoracique et de médecine vasculaire de Limoges

 


 

LE ROI EST MORT. VIVE LE ROI !

Marc Laskar, sous l’impulsion de son chef de service de l’époque  Constantin Christides, séjourna pendant deux ans dans le service de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière de 1982 à 1984. Son arrivée ne passa pas inaperçue : grand « gaillard » à longue chevelure, avec bouc, habillé en noir avec pantalon de cuir moulant, sortant de sa voiture anglaise décapotable. Il avait l’air d’un « dandy », sa décontraction laissait  soupçonner un dilettante.

Or Marc était à l’inverse de ce cliché, réfléchi, curieux, à l’affût de toutes les nouveautés, de toute opportunité, de toute possibilité. Il a su s’adapter à son environnement et en tirer le maximum.

Dans une ville de moins de 150 000 habitants et dans une zone urbaine de moins de 300 000 habitants, Marc a d’emblée compris l’opportunité et la nécessité de pratiquer les trois sous-spécialités de notre discipline. Il se donna les moyens, en allant se former dans les meilleurs services de chirurgie thoracique et de vasculaire. Dès lors, la voie était ouverte ; devenu chef de service, il a pratiqué et a fait pratiquer d’une façon équilibrée la chirurgie cardiaque, thoracique et vasculaire avec un volume d’activité global conséquent pour chaque.

En participant à la vie de sa faculté et en devenant le vice-doyen,  il se donna une meilleure marge de manœuvre, donc de décision. Il participa avec assiduité à la vie de notre communauté : tenant le livre de la démographie, il était le seul à connaître tous les chirurgiens de notre discipline, sur tout le territoire. Il est devenu l’interlocuteur des jeunes et leur confident.

Il a mis ses qualités d’écoute et le sens des décisions au service de la Société Française de Chirurgie Thoracique et Cardio-Vasculaire qu’il présida.

Sa disparition brutale, prématurée, laisse un vide pour sa famille, pour la ville de Limoges et la SFCTCV.

La nostalgie et le pessimisme n’ont pas de place chez nous. Le roi est mort. Vive le roi ! C’est aux générations futures que revient la tâche de relever le défi, de s’adapter, d’innover ; bref, de vivre.

I. Gandjbakhch

 


 

LE COLLÈGE INTER-RÉGIONAL, NARBONNE ET MARC LASKAR…

Vol20-N2-Hommage_3

Pour prendre la mesure de ce que nous avons perdu, il faut essayer de décrire le rôle de Marc Laskar en ce qui concerne les plus jeunes d’entre nous. Sans même mentionner les premiers séminaires du Collége, décrivons simplement Narbonne et toute son implication.

Depuis plus de quinze ans, deux fois par an, parfois dans sa décapotable, le plus souvent en covoiturant des jeunes, il arrivait à Narbonne. Il nous semblait quelquefois qu’il connaissait mieux le Novotel que le directeur ou la réceptionniste présents. Sans avoir l’air d’y toucher, il réglait tranquillement les flux d’arrivée et de départ. Il connaissait presque tout le monde et savait, peut-être mieux que les intéressés, qui allait être en retard, qui n’allait pas pouvoir venir et qui allait essayer de partir avant la fin. Sa simple présence évitait des dizaines de problèmes et faisait que tout le monde se concentrait sur le contenu scientifique du séminaire. Il avait certainement aussi des informateurs (ou -trices !) au Botafogo. Dès le début de la première séance, il s’installait au fond et régulait le rythme des présentations séquentielles. À la fin de chacune, il se levait et savait moduler les infos et stimuler la salle si nécessaire. Il arrivait même parfois à interrompre les discussions entre Charles de Riberolles et Dominique Blin… C’est ainsi que petit à petit, il a transmis autour de lui sa sagesse, sa vision de l’excellence et de la nécessaire polyvalence de la formation initiale. Nous savons que des dizaines de professionnels, et donc des milliers de patients, lui en sont redevables. À dire vrai, lors des deux derniers séminaires, même en sachant très bien la dure réalité, nous avions presque tous encore l’impression qu’il était là ! Il nous manque ; sachons saluer, développer et poursuivre son œuvre.

Nous ne pouvons nous résoudre à tourner la page qu’il a écrite sans un dernier vœu : « Oh Capitaine, mon Capitaine !

Que votre esprit libre et votre confiance, celle qui nous a guidés sans faillir, jamais ne nous lâche. »

Le Collège, inter-région Sud

 


 

LAISSER SA MARQUE

Laisser sa marque est probablement ce à quoi aspire tout Homme et à fortiori, secrètement (ou pas) tout chirurgien. Il suffit de prêter l’oreille à tous ces illustres patronymes fusant à longueur d’intervention, d’un instrument à l’autre… Quoi de plus noble que cette quête de reconnaissance amenant à repousser toujours plus loin ses limites, mais aussi celles des autres, car point de reconnaissance sans altérité et point d’altérité sans responsabilité. Le professeur Laskar était de ces Hommes, avec ce constant souci de l’autre.

Les « jeunes », avec qui il entretenait une relation particulière, sont assez bien placés pour en témoigner, et l’appréciaient pour son franc-parler et son aspiration à transmettre. Il avait ce souci d’enseigner et prenait un réel plaisir à stimuler les esprits, les plus jeunes comme les plus aguerris, comme lors de ses visites professorales du samedi matin avec tous les chefs de clinique, internes et étudiants en médecine. Le dialogue et l’échange étaient toujours assez simples avec M. Laskar, car il s’agissait bien d’un dialogue où nous avions une place à part entière. Ne voulant pas se considérer comme un homme mûr, il traitait les plus jeunes comme ses semblables. Cette reconnaissance s’est d’ailleurs vue concrétisée par la place que l’Association des Jeunes a dorénavant au sein de la Société et de son Conseil d’administration.   

Notre spécialité est à un tournant majeur de son évolution, et son travail sur sa démographie nous prédisait un manque de postes pour les prochaines générations. Même si les choses ne sont pas aussi tranchées que ce qui était prédit, la prospective avait pour vertu de poser la problématique de l’avenir de nos spécialités, dans le lot d’évolutions à venir. Nous nous devons de poursuivre ce chantier en intégrant l’essor des nouvelles technologies et les transferts de compétences. Pour paraphraser Louis Pasteur, l’avenir ne sourit qu’aux esprits préparés. La préparation des jeunes générations à ces mutations est un devoir trans­générationnel dont Marc Laskar se sentait investi. Nous avons la chance de faire partie d’une société savante regroupant trois spécialités – la chirurgie thoracique, la chirurgie cardiaque et la chirurgie vasculaire – devenant presque quasi exclusives en pratique actuelle de par la complexité des procédures (angioplastie vasculaire, assistance circulatoire ou endoscopie thoracique par exemple, sans parler du TAVI). En revanche, l’internat nous permet de côtoyer ces trois spécialités. Nos aînés ont eu la chance de pratiquer parfois l’une, souvent plusieurs de ces activités au cours de leur carrière. Aujourd’hui, même si ces spécialités restent sœurs pour leur intérêt et leurs champs d’action communs, il sera probablement rare de pouvoir en exercer plusieurs. Le orofesseur Laskar avait notamment comme objectif, en accord avec nos souhaits, nos passions et nos « facilités », de nous aider à choisir celle qui nous convenait le mieux. Ne demandons pas à nos Maîtres de n’être que des évaluateurs, mais bien des Guides pour non seulement nous former, mais surtout nous montrer le chemin qui leur semble le plus adéquat avec les spécificités de notre temps. À l’heure où les sources d’informations et de savoir sont de plus en plus nombreuses, la place de nos Maîtres, à l’image du mentor de Télémaque, est plus importante et nécessaire que jamais.

Enfin, comment évoquer Marc Laskar sans s’arrêter à la formation. Albert Einstein disait qu’il était du devoir de chaque homme que de rendre au monde au moins autant qu’il en avait reçu. Le professeur Laskar avait eu la chance, dans sa formation débutée à Nantes, d’être chef de clinique du professeur Cabrol à la Pitié-Salpêtrière, avant d’intégrer le CHU de Limoges. Pour lui, la formation en chirurgie se devait de passer par plusieurs équipes, et c’est ainsi qu’il a toujours encouragé ses internes à la mobilité (Inter-CHU, voir fellowships à l’étranger) dans l’optique de voir naître de nouvelles connaissances, opportunités, passions au retour dans le service. Grâce au Collège France Sud de CTCV, qu’il aimait particulièrement organiser à Narbonne chaque semestre, il était connu et apprécié par tous les jeunes, aussi bien lors des présentations de travaux ou d’exposés devant nos Maîtres… que le soir venu pour faire la fête. Nombreux d’entre nous sont venus avec simplicité lui demander conseil. Beaucoup à travers la France ont rejoint son équipe pour se former à ses côtés, profitant de son expérience dans nos trois spécialités. Comme son prédécesseur Marcel Dahan, Marc Laskar nous a soutenus dans cet ambitieux projet que représente Epiform. Au-delà du concept et de sa mise en œuvre informatique, il s’agit d’une véritable révolution dans le compagnonnage si cher au professeur Laskar.

Un chirurgien a la possibilité de laisser sa marque en donnant son nom à une intervention ou à un instrument. Ou bien, comme Marc Laskar, d’associer son nom à un état d’esprit, à une personnalité et de laisser sa marque non pas dans les livres mais dans le cœur et l’esprit.

L’Association des Jeunes Chirurgiens