Diagnostic postopératoire d’un paragangliome thoracique préaortique : à propos d’un cas
Pauline Fillet*1,2, Mathieu Bobet1,3, René Jancovici 1
Clinique du Val d’or, service de chirurgie thoracique, Saint-Cloud, France.
Hôpital européen Georges Pompidou, service de chirurgie cardiovasculaire, Paris, France.
Université Versailles-Saint-Quentin, hôpital Foch, service d'anesthésie, Suresnes, France.
* Correspondance : fillet.pauline@gmail.com
DOI : 10.24399/JCTCV22-2-FIL
Citation : Fillet P, Bobet M, Jancovici R. Diagnostic postopératoire d’un paragangliome thoracique préaortique : à propos d’un cas. Journal de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 2018;22(2). doi: 10.24399/JCTCV22-2-FIL
Résumé
Les paragangliomes sont des tumeurs rares développées aux dépens du système nerveux parasympathique. Leur localisation première se situe au niveau de la tête et du cou. Nous rapportons le cas de la découverte sur la pièce histologique d’un paragangliome thoracique préaortique chez un jeune patient de 44 ans hypertendu et diabétique.
Abstract
Postoperative diagnosis of a preaortic thoracic paraganglioma: a single case report
Paragangliomas are rare tumors that develop at the expense of the parasympathetic nervous system. They are primarily located is the head and neck. We report the discovery on the histological part of a preaortic thoracic paraganglioma in a 44-year-old hypertensive and diabetic patient.
1. Introduction
Les paragangliomes sont des tumeurs développées aux dépens de cellules neuro-endocrines. Elles sont bénignes dans plus de 80 % des cas mais peuvent être malignes ou fonctionnelles lorsqu’elles secrètent des catécholamines. Ces tumeurs sont alors responsables d’hypertension artérielle difficilement contrôlable ou de syndrome tumoral. Ce cas clinique rapporte la découverte d’un paragangliome thoracique chez un jeune patient de 44 ans.
2. Observation
S, 44 ans, a été admis aux urgences pour prise en charge d’une gêne thoracique postérieure présente depuis 4 jours. On note dans ses antécédents une hypertension artérielle traitée par trithérapie anti-hypertensive, un diabète non insulinodépendant traité par un antidiabétique oral et une appendicectomie. L’examen clinique était normal.
La radiographie thoracique retrouvait une opacité médiastinale postérosupérieure gauche arrondie aux contours réguliers. Le parenchyme pulmonaire ne présentait pas d’anomalie et les culs-de-sac pleuraux étaient libres.
L’angioscanner thoracique concluait à une masse médiastinale postérieure gauche de 80 x 53 x 46 mm le long de l’aorte thoracique descendante, étendue dans les foramens de conjugaison T4-T5-T6. Cette image évoquait en premier lieu une lésion neurogène ou un fibrome pleural.
Une IRM confirmait l’aspect de cette lésion atteignant les quatrième, cinquième et sixième vertèbres dorsales (figure 1).
Un TEP scanner avait été effectué montrant une fixation maximale à 20,35 SUV (standard uptake value) (figure 2).
Une artériographie médullaire notait la naissance d’une artère spinale au niveau de la onzième vertèbre et une très volumineuse vascularisation de la tumeur.
[caption id="attachment_4072" align="aligncenter" width="264"] Figure 1. IRM en coupe frontale montrant une masse médiastinale postérieure le long des quatrième, cinquième et sixième vertèbres dorsales.[/caption]
[caption id="attachment_4073" align="aligncenter" width="300"] Figure 2. TEP-scanner en coupe axiale montrant la masse médiastinale le long de l’aorte thoracique descendante avec une fixation maximale à 20,35 SUV.[/caption]
Devant cette tumeur très vascularisée et douloureuse, nous avons décidé de procéder à d’une exérèse chirurgicale par une thoracotomie postérolatérale gauche dans le cinquième espace.
Dès l’ouverture de la plèvre pariétale, on note la présence d’une volumineuse tumeur blanchâtre, indurée, rénitente et légèrement polylobée occupant l’angle dièdre entre la crosse aortique et la moitié supérieure de l’aorte thoracique descendante. La lésion est parfaitement fixée à la plèvre pariétale et nous devons réaliser une pleurolyse à ce niveau. Nous abordons alors une tumeur extrêmement hémorragique dont la partie externe est indurée. Au cours de la mobilisation de celle-ci, nous faisons face à une hypertension artérielle systolique paroxystique oscillant autour de 210 mmHg malgré une sédation profonde, une analgésie adaptée et réticente aux traitements hypotenseurs usuels (esmolol, nicardipine et urapidil).
Durant l’exérèse et les pics tensionnels, on note une perte de 800 mL de sang. Le saignement est contrôlé dès l’ablation totale de la pièce. L’exclusion vasculaire de la pièce opératoire est concomitante à une chute importante de la pression artérielle systolique aux alentours de 60 mmHg, malgré l’arrêt des traitements hypotenseurs, la diminution de la sédation et l’administration de médicaments vasoconstricteurs. Une normotension sera obtenue à partir de 2 mg/h de noradrénaline.
L’examen anatomopathologique retrouve une pièce de 50 g à contenu friable brun rougeâtre. En microscope, il existe des foyers de dissociation hémorragique et des territoires de nécrose focalisée au centre des îlots tumoraux. La tumeur s’entoure en périphérie d’une épaisse condensation fibreuse. On note l’absence d’embols vasculaires et l’absence d’infiltration d’organes de voisinage et du tissu adipeux.
Cette étude histologique a permis de conclure à un paragangliome thoracique.
Les suites ont été simples. Le patient est extubé à H1 postopératoire et nécessita des amines vasopressives durant 72 heures. Les drains ont été retirés à J2 et J5 postopératoires, permettant la sortie du patient à J7. Le traitement anti-hypertenseur habituel du patient n’a pas été repris en postopératoire en raison d’une normotension pendant le séjour en hospitalisation. À un mois postopératoire, l’examen clinique retrouve une tension artérielle stable, sans reprise de traitement anti-hypertenseur. Par ailleurs, on note une disparition complète de la maladie diabétique depuis l’intervention. Le traitement antidiabétique oral a été totalement arrêté. Depuis les glycémies sont normales et stables.
3. Commentaire
Le paragangliome est une tumeur rare, d’origine neuro-endocrinienne. Elle se présente plus souvent chez l’adulte jeune. Les tumeurs fonctionnelles peuvent être cervicales, abdominales, pelviennes ou thoraciques. Elles peuvent être sporadiques ou rentrer dans le cadre d’une maladie génétique dans un tiers des cas [1]. Il existe plusieurs syndromes génétiques prédisposant : la maladie de Von Hippel Lindau, la néoplasie endocrine multiple de type 2 (NEM 2), la neurofibromatose de type 1 (mutation du gêne NF1), les syndromes héréditaires de type 1 (mutation du gêne SDHD), de type 3 (gêne SDHC) ou de type 4 (gêne SDHB) [2]. Une fois le diagnostic posé, il est indispensable de réaliser une enquête génétique chez ces patients. Si une mutation est confirmée, il est nécessaire de rechercher la même dans la famille. Le diagnostic repose tout d’abord sur un dosage de métanéphrines et normétanéphrines urinaires au-dessus de la norme.
La découverte est généralement fortuite, mais elle peut être faite sur une imagerie réalisée devant des douleurs ou un syndrome de masse tumorale. Le scanner est souvent l’examen de premier choix mais est moins efficace dans le diagnostic différentiel [3]. D’autres auteurs préconisent la réalisation d’un scanner injecté afin de mieux visualiser les rapports vasculaires de la tumeur [4]. Il est intéressant de pratiquer en préopératoire une artériographie médullaire afin de préciser si la tumeur est vascularisée par une artère spinale antérieure.
Le seul traitement radical est chirurgical [1]. Avant toute chirurgie, il sera nécessaire de préparer le patient à l’ablation de la tumeur par un régime fort en sodium, un traitement par alpha-bloquant ou autre [1-2]. En effet, la chute brutale du stock de catécholamines lors de l’exérèse peut conduire à des hypotensions massives. Il est important que l’équipe d’anesthésie soit prévenue du diagnostic potentiel de paragangliome afin d’éviter les complications hypertensives lors de la mobilisation de la tumeur (AVC, infarctus du myocarde, troubles du rythme allant jusqu’à la fibrillation ventriculaire) puis prévoir la supplémentation en catécholamines lors de l’exclusion vasculaire pour éviter l’hypotension massive [5]. Il est recommandé de pratiquer une chirurgie à ciel ouvert car ce sont des tumeurs très hémorragiques [2].
Le paragangliome est un rare cas de diabète secondaire [6]. Un article récent montre que la découverte d’un diabète chez un jeune patient hypertendu avec un poids dans la norme devrait faire suspecter un paragangliome [7].
L’évolution et le pronostic de cette pathologie sont mal connus et il est nécessaire de suivre le patient au long cours afin de surveiller l’apparition d’une potentielle récidive [8].
4. Conclusion
Les paragangliomes fonctionnels sont des tumeurs rares, souvent diagnostiquées après examen anatomopathologique de la pièce opératoire. Compte tenu des risques périopératoires, le diagnostic doit être systématiquement évoqué devant une tumeur du médiastin postérieur associée à une hypertension artérielle chez un sujet jeune. Leur traitement est strictement chirurgical. Une enquête génétique devra être réalisée après confirmation diagnostique. Il est nécessaire de suivre le patient au long cours pour s’assurer de l’absence de récidive maligne.
Références
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https://doi.org/10.1111/j.1582-4934.2001.tb00165.x
PMid:12067490
Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared.
Date de soumission : 31/10/2017. Acceptation : 15/12/2017.
juin 24, 2018