Chirurgie des tumeurs neuroendocrines pulmonaires : étude rétrospective de 253 cas
Armand Cluzel, Joséphine Chenesseau, Alex Fourdrain, Iliès Bouabdallah, Delphine Trousse, Geoffrey Brioude, Lucile Gust, Christophe Doddoli, Xavier Benoît D’Journo, Pascal Alexandre Thomas*
Service de chirurgie thoracique et des maladies de l’œsophage, Aix-Marseille université, CNRS, Iiserm, Centre de recherche en cancérologie (CRCM), hôpital Nord, Aix-Marseille université, Marseille.
* Correspondance : pathomas@ap-hm.fr
DOI : 10.24399/JCTCV23-4-CLU
Citation : Cluzel A, Chenesseau J, Fourdrain A, Bouabdallah I, Trousse D, Brioude G, Gust L, Doddoli C, D’Journo XB, Thomas PA. Chirurgie des tumeurs neuroendocrines pulmonaires : étude rétrospective de 253 cas. Journal de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 2019;23(4). doi: 10.24399/JCTCV23-4-CLU
RÉSUMÉ
Objectif : évaluer la prise en charge chirurgicale à visée curative des tumeurs neuroendocrines pulmonaires (TNEP) et sa qualité.
Méthode : étude monocentrique rétrospective des patients opérés de TNEP de 2004 à 2018. Étaient évalués les données démographiques, la présentation clinique, les pratiques préopératoires, les pratiques chirurgicales (respect des recommandations sur le curage médiastinal), les traitements adjuvants et la survie.
Résultats : deux cent cinquante-trois patients ont été opérés : 164 pour carcinoïde typique (CT), 39 pour carcinoïde atypique (CA), 17 pour carcinome neuroendocrine à grandes cellules (CNEGC) et 33 pour carcinomes à petites cellules (CPC). Sur cette période, on notait une augmentation des TNEP de 269%. L’exérèse réalisée était anatomique pour 239 patients (94%) avec un curage ganglionnaire respectant les recommandations ESTS (European Society of Thoracic Surgeons) dans 66% des cas avec 14,9±8 ganglions prélevés. La survie à 5 ans était de 85,5% pour les TNEP : 98% pour les CT, 96% pour les CA, 59% pour les CNEGC et 32% pour les CPC. L’atteinte ganglionnaire était un facteur de mauvais pronostic.
Conclusion : en forte augmentation ces dernières années, la chirurgie des TNEP doit rester guidée par les principes oncologiques recommandés pour permettre une survie à long terme acceptable.
ABSTRACT
Surgery of neuroendocrine pulmonary tumors: study of 253 cases
Objective: To evaluate the management of pulmonary neuroendocrine tumors (PNETs) and quality of their surgery.
Method: Retrospective single-centre study of patients operated on for a pulmonary neuroendocrine tumor from 2004 to 2018. We looked at demographic and clinical characteristics, preoperative work-up, surgical practices (focusing on lymphadenectomy), adjuvant therapies, and survival.
Results: 253 patients were operated on: 164 for a typical carcinoïd (TC), 39 for an atypical carcinoïd (AC), 17 for a large cell neuroendocrine carcinoma (LCNEC) and 33 for a small cell carcinoma (SCC). Along this 14-year period, there was an increase in PNETs prevalence of 269% when comparing the 2 edge years. The resection was anatomical in 239 patients (94%). In 66% of the cases, the ESTS recommendations on intraoperative lymph node evaluation were completed with an average of 14.9±8 nodes removed/examined. The 5-year survival rate was 85.5% for the PNETs: 98% for TCs, 96% for ACs, 59% for LCNECs and 32% for SCCs. A lymph node involvement was a negative pronosticator on the whole cohort with marked differences according to the pathological subtypes.
Conclusion: we faced a strong increase in PNET incidence at our center. Our results are concordant with data from the literature. Compliance to oncological principles guiding their surgery led to adequate long-term survival.
1. Introduction
Les tumeurs neuroendocrines pulmonaires (TNEP), selon la classification de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), regroupent les carcinomes à petites cellules (CPC), les carcinomes neuroendocrines à grandes cellules (CNEGC), les tumeurs carcinoïdes typiques (CT) et atypiques (CA). Ces 4 tumeurs sont actuellement réparties en 3 grades de prolifération tumorale : bas grade (CT), intermédiaire (CA) et haut grade (CPC, CNEGC) [4]. Leurs caractéristiques anatomopathologiques de distinction reposent sur celles de Travis et al. [11] non modifiées dans la classification de WHO 2015 [11]. Au niveau international, différentes équipes retrouvent une légère augmentation des TNEP, une étude américaine reporte une augmentation de 6% par an depuis 30 ans. Cette augmentation porte principalement sur les tumeurs carcinoïdes. Les TNEP représenteraient entre 1 à 20% de tous les cancers du poumon [1,9]. Leur incidence serait de 0,2 à 2 cas pour 100,000 [2,4] et 25 à 30% de toutes les tumeurs neuroendocrines [4,9].
Le pronostic des TNEP varie en fonction du type histologique. Dans les cancers bronchopulmonaires (CBP), les CNEGC représentent 3% avec une survie à 5 ans de 53% [2] ; les tumeurs carcinoïdes 1 à 2%, dont 80 à 90% sont des CT [3] ; les CPC 15% [4]. Certains cas de CPC sont découverts sous des formes localisées justifiant un traitement local de première intention dans le cadre d’une chirurgie diagnostique et thérapeutique, bien que la chirurgie puisse être discutée au cas par cas dans des formes diagnostiquées précocement.
Dans le cadre d’une étude rétrospective monocentrique de 253 cas de 2004 à 2018, nous apporterons notre expérience sur la prise en charge des TNEP en précisant notamment les données démographiques, la présentation clinique, les pratiques préopératoires (endoscopie interventionnelle, place du TEP-scanner), les pratiques chirurgicales (types de chirurgies, respect des recommandations sur le curage ganglionnaire), les traitements adjuvants et la survie.
2. Patients et méthodes
Il s’agit d’une étude monocentrique incluant les patients de septembre 2004 à décembre 2018. L’étude inclut tous les patients opérés dans notre service de chirurgie thoracique avec un diagnostic histologique postopératoire de TNEP selon la classification de WHO 2015 [annexe 1]. La base de données a été extraite localement du registre Epithor (numéro CNIL 809839). Hors urgences, tous les patients ont eu un bilan d’opérabilité compatible avec la résection pulmonaire envisagée. Les patients ont été suivi du jour de l’entrée en service, jusqu’à leurs dernières nouvelles incluant le décès. Les patients perdus de vue ont été évalués par rapport à la date des dernières nouvelles. La date de point et de recueil de données est le 31 décembre 2018.
Pour chaque patient il a été recueilli :
Les données épidémiologiques : date de naissance, sexe, taille, poids, épreuves fonctionnelles respiratoires, date de l’intervention, épreuve d’effort (si présente), antécédents, le suivi.
Les données de présentation clinique.
Les examens de médecine nucléaire.
La réalisation de fibroscopie avec ou sans geste interventionnelle.
L’acte chirurgical avec la voie d’abord utilisée, le geste de résection effectué.
L’analyse anatomopathologique, le nombre de ganglions, le nombre de sites médiastinaux, le respect des recommandations européennes du curage ganglionnaire (6 ganglions minimum dont 3 ganglions intraparenchymateux et 3 ganglions médiastinaux de trois stations différentes dont au moins la station 7) et reclassé (si besoin) avec la 8e classification TNM des CBP.
La prise en charge postopératoire, le traitement adjuvant.
Les analyses statistiques ont consisté au calcul des moyennes présentées avec un leur écart type, le calcul des médianes avec leurs intervalles. La comparaison des populations a été faite par une analyse univariée par la méthode du Chi2. La survie a été calculée entre la date de l’intervention et la date des dernières nouvelles (vivant/mort). Les taux de survie ont été exprimés à 5 et 10 ans. La comparaison s’est faite selon la méthode de Kaplan-Meier avec analyse des sous-groupes selon la méthode du log-rank. Les analyses statistiques ont été réalisées par le logiciel SPSS 2019.
3. Résultats
3.1. Données épidémiologiques
Nous avons recensé 253 cas de TNEP opérées du 26 septembre 2004 au 31 décembre 2018. On comptait 140 femmes et 113 hommes soit un ratio de 1,23 femme pour un homme. Les TNEP se décomposaient en : 164 CT (64,8%), 39 CA (15,4%), 17 CNEGC (6,7%), 33 CPC (13%).
Toutes les caractéristiques épidémiologiques en fonction du sexe sont récapitulées dans le tableau 1 pour les TNEP et par type histologique dans le tableau 2. Nous avons observé dans notre centre une augmentation relative du nombre de TNEP opérées entre 2015 et 2018 de 269%, soit 18,23% par an. L’augmentation est due principalement à l’augmentation des CT représentée dans la figure 1.
Tableau 1. Caractéristique clinique des patients opérés de TNEP.
TNEP
N=253
Femme
N=140
Homme
N=113
Âge diagnostic moyen (DS)
56,08 (16,57)
54 (15,62)
58 (15,57)
Âge diagnostic médian
60
59
60
Taille (cm) (DS)
168 (8,95)
163 (6,71)
175 (5,3)
Poids (kg) (DS)
73 (16,51)
66 (14,1)
82 (11,6)
Tabagisme actif (%)
26 (10)
12 (8)
14 (12)
Tabagisme sevré (%)
122 (48)
52 (37)
70 (62)
Non fumeur (%)
105 (41)
74 (52)
29 (26)
Comorbidité
214 (84)
113 (80)
101 (89)
Pathologie auto-immune et allergie
23 (9)
15 (10)
8 (7)
Addiction (éthylisme, toxicomanie)
6 (2)
1 (0,7)
5 (4)
Pathologie cardiovasculaire
109 (43)
50 (35)
59 (52)
Thérapeutique (anticoagulant, antécédant de chimiothérapie)
38 (15)
20 (14)
18 (16)
Pathologie respiratoire
38 (15)
21 (15)
17 (15)
Antécédent de cancer
64 (25)
33 (23)
31 (27)
Démence, déficit moteur, pathologie psychiatrique
13 (5)
11 (7)
2 (2)
Obésité, dénutrition, diabète
46 (18)
26 (18)
20 (18)
Pathologie hormonodépendante
14 (5)
12 (8)
2 (2)
Pathologie digestive
41 (16)
29 (20)
12 (11)
Pathologie urologique et néphrologique
9 (3)
1 (0,7)
8 (7)
Infection virale chronique (VHC, VHB, VIH)
6 (2)
3 (2)
3 (3)
Tableau 2. Âge moyen au diagnostic et statut tabagique des sous-types histologiques des TNEP.
CT
N=164
CA
N=39
CNEGC
N=17
CPC
N=33
Âge diagnostic moyen (DS)
54,2 (16,4)
54 (21,4)
64,65 (9,7)
62,88 (9,8)
Âge diagnostic médian
58
62
64
63
Tabagisme actif (%)
17 (3)
2 (5)
2 (11)
5 (15)
Tabagisme sevré (%)
63 (38)
17 (43)
14 (82)
28 (84)
Non fumeur (%)
84 (51)
20 (51)
1 (5)
0 (0)
[caption id="attachment_4620" align="aligncenter" width="251"] Figure 1. Représentation des TNEP en fonction du type histologique.Figure 1A : évolution des TNEP et ses sous-types en fonction des années de prise en charge.Figure 1B : représentation des stades TNM en pourcentage des TNEP et des sous-types histologiques.[/caption]
3.2. Présentations cliniques
Dans notre étude, la majorité des cas sont des découvertes fortuites (38,7%). Les symptômes évocateurs sont ceux d’une irritation bronchique : pneumopathie 17%, toux 15%, hémoptysie 11,1%. Des manifestations endocrines paranéoplasiques ont été observées chez 5 patients : syndrome de Cushing (n=3) et carcinoïde (n=2). Les signes et symptômes conduisant au diagnostic sont résumés dans le tableau 3.
Tableau 3. Récapitulatif des symptômes/signes d’entrée en diagnostic.
TNEP (%)
CT (%)
CA (%)
CNEGC (%)
CPC (%)
Fortuite
98 (38,7)
66 (40)
9 (23)
6 (35)
17 (51)
Pneumopathie
44 (17,3)
32 (19)
11 (28)
0 (0)
1 (3)
Hémoptysie
28 (11,1)
12 (7)
11 (28)
3 (17)
2 (6)
Dyspnée
14 (5,5)
7 (4)
6 (15)
1 (5)
0 (0)
Toux
38 (15)
27 (16)
8 (20)
2 (11)
1 (3)
Dysphonie
1 (0,3)
0 (0)
1 (2)
0 (0)
0 (0)
AEG
5 (2)
2 (1)
0 (0)
2 (11)
1 (3)
Cushing
3 (1,2)
2 (1)
1 (2)
0 (0)
0 (0)
Pancréatite
1 (0,4)
1 (0,6)
0 (0)
0 (0)
0 (0)
Paranéoplasique
6 (2,3)
6 (3)
0 (0)
0 (0)
0 (0)
Surveillance
18 (7,1)
8 (4)
0 (0)
3 (17)
7 (21)
Douleur
1 (0,4)
1 (0,6)
0 (0)
0 (0)
0 (0)
Neurologique
3 (1,2)
0 (0)
0 (0)
0 (0)
3 (9)
Dermatomyosite
1 (0,4)
0 (0)
0 (0)
0 (0)
1 (3)
Syndrome carcinoïde
1 (0,4)
0 (0)
1 (2)
0 (0)
0 (0)
3.3. Examens de médecine nucléaire
Parmi les 253 patients de l’étude, 226 (89%) ont bénéficié d’un examen d’imagerie nucléaire. Nous avons classé les examens en fonction de leur traceur : TEP-FDG n=197, Octréoscan n=22, TEP-DOPA n=7. Dans le groupe TEP-FDG, 173 examens étaient considérés comme positifs (87%) et 24 étaient considérés comme négatifs (13%). En termes de valeur numérique, seulement 120 comptes rendus indiquaient une valeur de SUV. La moyenne était de 6±4 SUV [intervalle : 0-22,5]. Les Octréoscans n’avaient pas de valeur numérique, en revanche 40% des examens étaient positifs. En ce qui concerne les 7 examens de TEP-DOPA, une seule valeur numérique était répertoriée. Les résultats des examens de médecine nucléaire sont donnés dans le tableau 4.
Tableau 4. Récapitulatif des examens de médecine nucléaire.
TNE
CT
CA
CNEGC
CPC
TEP-FDG
N=197
N=122
N=28
N=16
N=31
Positif (%)
173 (87)
103 (84)
24 (85)
15 (93)
31 (100)
Négatif (%)
24 (13)
19 (16)
4 (15)
1 (7)
0 (0)
Octréoscan
N=22
N=18
N=3
N=0
N=1
Positif (%)
9 (41)
6 (33)
2 (66)
0 (0)
1 (100)
Négatif (%)
13 (59)
12 (67)
1 (34)
0 (0)
0 (0)
TEP-DOPA
N=7
N=6
N=1
N=0
N=0
Positif (%)
6 (85)
5 (83)
1 (100)
0 (0)
0 (0)
Négatif (%)
1 (15)
11 (17)
0 (0)
0 (0)
0 (0)
3.4. Données de l’endoscopie bronchique
Cent soixante-trois fibroscopies préopératoire sont recensées, soit 64,42% des patients. Parmi elles, 93 (57%) étaient jugées comme contributives et ont apporté une analyse histologique préopératoire de certitude maligne ou d’orientation. Le diagnostic de CPC n’a jamais été obtenu en préopératoire par fibroscopie. Une désobstruction bronchique préopératoire avait été réalisée dans 7,11% des cas.
3.5. Chirurgie et suites postopératoires
Sur les 253 patients, 2 ont été opérés en urgence en raison d’une hémoptysie active et menaçante. Le motif d’urgence pour 1 cas était une hémoptysie massive avec pneumonectomie d’hémostase sans exploration précédente (le patient n’était pas connu). Le deuxième cas pour l’apparition d’hémoptysies abondantes chez un patient connu et exploré. Dans le premier cas il n’y a pas eu de curage.
Les 253 interventions ont consisté en pneumonectomie, lobectomie, segmentectomie, résection atypique (± lobectomie). Une intervention pouvait comprendre plusieurs gestes de résection. Les gestes chirurgicaux sont résumés dans le tableau 5 où les résections atypiques isolées ne sont pas représentées.
Tableau 5. Résection anatomique carcinologique.
TNEP
CT
CA
CNEGC
CPC
Pneumonectomie
9
0
3
1
5
Bilobectomie
16
13
3
0
0
Lobectomie
190
124
29
15
22
Segmentectomie
24
19
3
0
2
Lobectomie bronchoplastique
37
27
6
2
2
Au cours des interventions, des gestes associés ont dû/pu être réalisés, à type de résection cunéiforme, lambeaux intercostaux, résection anastomose de bronche et/ou artère, pneumolyse. Dans notre série, une résection cunéiforme et cinq lambeaux intercostaux sont retrouvés. Lors de résection anastomose d’artère (3 dans notre cohorte), 2 sont concomitantes d’une résection anastomose de bronche.
Dans les 15 premiers jours postopératoires, il y a eu 6 réadmissions, 2 pour épanchements, 4 pour infections sur poumon opéré. Il n’y a pas de réadmission au-delà de J15. Dans les 90 jours postopératoires, 95 patients ont présenté des complications qui sont résumées dans le tableau 6. Sur les 5 décès, 1 n’est pas lié à la prise en charge chirurgicale mais à une évolution rapide d’un CPC.
Tableau 6. Complications postopératoires de 0 à 90 jours.
TNEP
%
Atélectasie
8
3,16
Bullage >5J
22
8,69
Détresse respiratoire aiguë
7
2,76
Paralysie phrénique
1
0,39
Pneumopathie
18
7,11
Embolie pulmonaire
4
1,58
Fibrillation auriculaire
14
5,533
Infarctus du myocarde
1
0,39
Insuffisance cardiaque
1
0,39
Chylothorax
5
1,97
Hémorragique
3
1,18
Caillotage
5
1,97
Anémie
1
0,39
Luxation aryténoïde
1
0,39
Paralysie récurrentielle
10
3,95
Insuffisance rénale
2
0,79
Rétention aiguë d’urine
4
1,58
Infection urinaire
2
0,79
Ulcère gastroduodénale
1
0,39
Décès
5
1,97
3.6. Critères qualité de la chirurgie et données anatomopathologiques
93% des patients ont eu une évaluation ganglionnaire soit 237/253 interventions : 209 curages ganglionnaires complets et 28 échantillonnages selon les comptes rendus opératoires. Parmi les curages ganglionnaires complets, seulement 162 curages (78%) respectent les recommandations de l’ESTS. Il y a eu en outre 7 cas de curage lobe-orienté qui respectaient les recommandations, soit un total de 169 évaluations ganglionnaires conformes sur 252 patients (1 patient en urgence vitale absolue), et donc 66% des patients de cette cohorte. Dans 59 cas, un envahissement ganglionnaire (N+) était observé. Le ratio ganglionnaire de ces interventions était de 19,5%. Ces données sont résumées dans le tableau 7.
Tableau 7. Évaluation ganglionnaire.
TNEP
CT
CA
CNEGC
CPC
Nombre de ganglions prélevés (DS)
14,9 (7,9)
14,0 (7)
16,1 (7)
17,3 (9,4)
15,9 (10,9)
Nombre de ganglions médiastinaux prélevés (DS)
8,6 (5,9)
8 (5,5)
8,5 (4,5)
11 (6,83)
9,8 (8,1)
Nombre de ganglions intraparenchymateux prélevés (DS)
6,3 (3,9)
6 (3,7)
7,5 (4,4)
6,38 (3,7)
6 (4,4)
Nombre de ganglions positif (DS)
0,6 (1,5)
0,2 (0,7)
1,05 (1,5)
0,4 (0,7)
1,6 (2,7)
Nombre de stations médiastinales explorées (DS)
3,4 (1,4)
3,4 (1,5)
3,5 (1,4)
3,6 (1,3)
3 (1,2)
Respect critère de l’ESTS sur le curage ganglionnaire (%)
168 (66)
104 (63%)
30 (76%)
11 (64%)
14 (42%)
Les résultats TNM sont représentés dans la figure 1B en pourcentage et par sous-type histologique.
Dans la prise en charge adjuvante, nous notons deux interventions chirurgicales (l’une pour marge non saine dans le cadre d’une CT et l’autre pour résection d’une métastase cérébrale dans le cadre d’un CPC), 32 chimiothérapies et 14 radiothérapies. Il y a eu une chimiothérapie pour une atteinte ganglionnaire de CA en 2004. Dans le groupe CNEGC, les chimiothérapies ont été effectuées en cas d’atteinte ganglionnaire pour 4 d’entre eux et pour une tumeur T4, un seul cas ne présente pas d’atteinte ganglionnaire ni de T4 mais a tout de même eu une chimiothérapie en 2006. Tous les CPC ont eu une indication de chimiothérapie mais seulement 25 cas l’ont reçue. Toutes les radiothérapies adjuvantes avaient été réalisées dans le cadre de CPC.
3.7. Suivi et étude de survie
Le suivi a été assuré en moyenne pendant 49±43 mois avec une médiane de 33 mois (intervalle : 4 jours à 156 mois). Sur les 253 patients, 33 sont décédés, 6 décès de complications chirurgicales (2 fistules bronchiques, 1 hémoptysie massive sur une fistule artériobronchique, 1 hémorragie à domicile sans précision, 1 embolie pulmonaire, 1 syndrome de défaillance multiviscérale sur un point de départ septique) et 27 patients sont décédés d’une récidive de leur TNEP sans précision. Le taux de survie est représenté par des courbes de survie selon la méthode de Kaplan-Meier de manière globale par sous-type et par statut ganglionnaire (N0/N+) sur les figures 2 et 3. Les taux de survie à 5 et 10 ans sont représentés dans le tableau 8 et par statut ganglionnaire, ainsi que par respect des critères ESTS. Sur la figure 4 représentation des courbes de survie des CPC avec et sans respect des critères ESTS.
[caption id="attachment_4621" align="aligncenter" width="300"] Figure 2. Survie des TNEP en fonction du type histologique.[/caption]
[caption id="attachment_4622" align="aligncenter" width="300"] Figure 3. Survie des TNEP en fonction des types histologiques et en fonction de l’atteinte ganglionnaire N0/N+ (comparaison par log-rank).A : carcinoïde typique (p=0,496) ; B : carcinoïde atypique (p=0,305) ; C : carcinome à grande cellules (p=0,887) ; D : carcinome à petites cellules (p=0,03).[/caption]
Tableau 8. Taux de survie à 5 et 10 des TNEP par sous-type et leur statut N positif ou négatif.
Survie
TNEP
CT
CA
CNEGC
CPC
5 ans
85,5%
98,1%
96,3%
58,7%
32,3%
10 ans
81,8%
98,1%
69,3%
58,7%
24,2%
N0 5 ans
89,6%
97%
100%
55,6%
44,8%
N0 10 ans
87,9%
97%
66,7%
55,6%
44,8%
N+5 ans
71,3%
100%
91,7%
75%
19,2%
N+10 ans
58,1%
100%
61,1%
75%
0%
N0 vs N+ (log-rank)
<0,001
0,496
0,305
0,887
0,03
Curage ESTS respecté à 5 ans
81%
94%
94%
47%
36%
Curage ESTS non respecté à 5 ans
91%
100%
100%
87%
16%
ESTS respecté vs ESTS non respecté (log rank)
0,06
0,17
0,78
0,21
0,34
[caption id="attachment_4623" align="aligncenter" width="300"] Figure 4. Survie des CPC en fonction du respect des critères ESTS pour le curage, p=0,34.[/caption]
4. Discussion
Les TNEP représentent un groupe de 4 types histologiques différents de gravité pronostique croissante selon le grade : les CT dits de bas grade, les CA de grade intermédiaire, les CNEGC et les CPC de haut grade.
La distribution par genre a été de 1,23 femme pour un homme. Cette prépondérance du sexe féminin est en contradiction avec certaines données de la littérature sur les TNEP dans lesquelles une prépondérance masculine forte est mentionnée [1,5]. Cette différence est liée à la forte représentation des CT dans notre cohorte et son augmentation, type histologique pour lequel une prépondérance féminine est classique. En revanche, sur les études spécifiques sur les sous-types histologique, nos valeurs sont en corrélation avec la littérature [6,10], respectivement 63% de femmes pour les CT, 51% pour les CA, 29% pour les CNEGC et enfin 33% pour les CPC.
L’âge au diagnostic s’étend de 14 à 84 ans, avec une moyenne de 56 ans ±16,6. Pour les hommes l’intervalle est de 16 à 84 ans avec une moyenne de 58 ans ±16,6 ans. Pour les femmes, l’âge au diagnostic est plus précoce avec des bornes de 14 à 81 ans, une moyenne de 54 ans ±15,62 ans. Ces données sont concordantes avec celles de la littérature [1-13].
La répartition des sous-catégories par ordre décroissant est de 64% de CT, 15% de CA, 6% de CPC et 1% de CNEGC, avec 80% de CT dans le groupe des carcinoïdes.
Les circonstances du diagnostic, toutes TNEP confondues, ont été à 38,6% fortuites, 17% une pneumopathie obstructive, 15% la toux. Les CA et les CNEGC étaient plus souvent symptomatiques avec 28% de pneumopathie et hémoptysie pour les CA et 17% d’hémoptysie pour les CNEGC.
Une fibroscopie interventionnelle avec désobstruction a été effectuée dans 19,4% des patients ayant eu une fibroscopie préopératoire, essentiellement dans le contexte d’une pneumopathie obstructive d’amont (17%).
Dans notre étude rétrospective, sur presque 15 ans de chirurgie des TNEP, nous obtenons une cohorte de 253 patients, avec une augmentation de 2005 à 2018 de 269%, soit une augmentation annuelle moyenne de 19%. Cette augmentation a porté principalement sur celle des CT. En effet, les CT ont eu une augmentation de 325%. Cette observation est bien au-delà de l’étude japonaise qui fait état d’une hausse de 6% par an depuis 30 ans [2], et laisse supposer, outre une augmentation d’incidence de ces tumeurs, des réorganisations régionales du recrutement du service.
Les TEP-FDG, contrairement aux idées reçues, ont été analysées comme “positives” dans 84% des cas dans notre série. Les résultats collectés sur les TEP-scanner sont cependant très difficiles d’interprétation devant les absences fréquentes dans le compte rendu des valeurs de SUV max et hépatique, l’absence de nomenclature et de directives collégiales sur les interprétations, ainsi que l’évolution des machines et les multitudes des appareils utilisés. Néanmoins, nos résultats suggèrent plutôt que les TNEP sont des tumeurs hypermétaboliques avec un SUV moyen (sur les données disponibles) de 4,28, et 5,10 pour la littérature [12]. Nous avons logiquement observé un hypermétabolisme plus prononcé pour les TNEP de haut grade. L’étude américaine publiée en 2015 [10] annonce des résultats de 100% de fixation pour toutes les TNE excepté les CT, ce qui est donc partiellement en contradiction avec nos résultats.
La prise en charge chirurgicale a consisté en une résection anatomique monobloc dans 94,7% des cas, 191 lobectomies, 37 résections infralobaires et 9 pneumonectomies. Dix-huit résections anastomoses bronchiques ont été réalisées dont 2 avec résection anastomose artérielle.
Sur les critères du curage ganglionnaire, 67% des interventions ont respecté les recommandations de l’ESTS. Sur l’atteinte ganglionnaire, 74% des patients étaient N0, 15% N1 et 8% N2. Les informations dans la littérature sur le détail du curage en ce qui concerne les CT font état de 17% d’atteinte ganglionnaire contre 13% ici et 45% pour les CA contre 43% [11]. L’étude de la Nouvelle-Orléans reporte 34% d’atteinte ganglionnaire médiastinale sur une cohorte de 121 patients opérés [8] en concordance avec le taux de 36% que nous avons observé.
Le taux de récidive était de 13% toutes TNEP confondues, 2% CT, 17% CA, 23% CNEGC et 54% pour les CPC, ce qui est globalement conforme aux données de la littérature : 5% pour les CT et 20% pour les CA [11].
Le pronostic des TNEP est très variable en fonction de son grade, les CPC ont un taux de 32 et 24% de survie à 5 et 10 ans. En ce qui concerne les CT, en fonction des études il est reconnu un bon pronostic de survie à 5 ans variant de 80 à 100% [1,2,6,9]. Les CA ont des valeurs très étalées en fonction des études de 25 à 100% [1,2,6] et 13,4% pour les CNEGC [6]. Dans notre analyse, selon la méthode de Kaplan-Meier, la survie à 5 ans toutes TNEP est de 85,5% et de 81,8% à 10 ans. On note également une différence significative sur la survie sur l’atteinte ganglionnaire dans le groupe TNEP et CPC.
En conclusion, cette étude monocentrique rétrospective suggère une augmentation épidémiologique de ces tumeurs. Nous avions souhaité étudier l’ensemble de ces tumeurs en un groupe, en dépit des différences pronostiques majeures observées dans le spectre de ces tumeurs. La raison en était principalement l’impression, confirmée par ce travail, de la grande similitude pronostique “dans la vraie vie” des tumeurs carcinoïdes typiques et atypiques d’une part, et des TNEP à grandes cellules et à petites cellules quand elles sont opérées, d’autre part. Enfin, il nous paraissait important de tester les dernières évolutions de la classification TNM sur ce type de tumeur, ce qui correspond à une zone “grise” de la littérature contemporaine. De même, il n’est plus possible en 2019 de présenter une cohorte chirurgicale sans un minimum d’information concernant la qualité de la chirurgie qui a été réalisée. Le focus sur le curage ganglionnaire montre que, même dans une équipe universitaire à haut volume d’activité et convaincue de l’importance du curage ganglionnaire, ce dernier n’avait été réalisé conformément aux recommandations internationales de pratiques, pourtant minimalistes, que chez 2 patients sur 3. La marge de progression est donc substantielle.
ANNEXE 1
– Tumeur carcinoïde typique : tumeur à morphologie carcinoïde avec moins de 2 mitoses par 2 mm2 (10 HPF), pas de nécrose et mesurant au moins 0,5 cm.
– Tumeur carcinoïde atypique : tumeur à morphologie carcinoïde avec 2 à 10 mitoses par 2 mm2 (10 HPF) et/ou nécrose (souvent punctiforme).
– Carcinome neuroendocrine à grandes cellules :
architecture neuroendocrine : nids, travées, rosettes, palissades ;
index mitotique élevé : ≥11 mitoses par 2 mm2 (10 HPF), moyenne de 70 par 2 mm2 (10 HPF) ;
nécrose (souvent de larges zones) ;
cellules tumorales larges avec cytoplasme modéré à abondant ;
nucléole fréquent (diag diff CBPC);
un ou plusieurs marqueurs neuroendocrines positifs en immunohistochimie chromogranine, synaptophysine et CD56. Un marqueur est suffisant si >50% cellules tumorales ;
variant combiné : avec un autre carcinome non CBPC.
– Carcinome à petites cellules :
petite taille des cellules (en général < au diamètre de trois petits lymphocytes) ;
peu de cytoplasme ;
chromatine granuleuse, nucléoles absents ;
déformation (moulding) nucléaire ;
index mitotique élevé : ≥10 mitoses par 2 mm² (10 HPF), moyenne de 80 par 2 mm2 (10 HPF) ;
nécrose fréquente, souvent en larges plages ;
variant combiné : avec un autre carcinome ;
e.n IHC : kératine AE1/AE3 souvent en dots. Marqueurs neuroendocrines (CD56, chromogranine et synaptophysine) souvent + (10% cas négatifs). TTF1 + dans 90% des cas
Il existe donc 3 grades de prolifération tumorale de malignité croissante distinguant les carcinoïdes typiques, les atypiques et les tumeurs de haut grade de malignité regroupant les carcinomes à petites cellules et les carcinomes neuroendocrines à grandes cellules.
Références
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Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared.
Date de soumission : 28/08/2019. Acceptation : 09/09/2019.
décembre 13, 2019