Cas clinique · Vol. 23 Décembre 2019

Hémangioendothéliome épithélioïde médiastinal : à propos d’un cas et revue de la littérature

décembre 13, 2019
Auteur correspondant : Sara Waguaf

Sara Waguaf*, Najat Idelhaj, Abdellah Fatene, Souheil Boubia, Mohamed Ridai

 

Service de chirurgie thoracique, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc.

*Correspondance : swaguaf@gmail.com

 


DOI : 10.24399/JCTCV23-4-WAG

Citation : Waguaf S. Idelhaj N, Fatene A, Boubia S, Ridai M. Hémangioendothéliome épithélioïde médiastinal : à propos d’un cas et revue de la littérature. Journal de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 2019;23(4). doi: 10.24399/JCTCV23-4-WAG


 

RÉSUMÉ

L’hémangioendothéliome épithélioïde (EHE) est un néoplasme vasculaire intermédiaire, entre un hémangiome bénin et un angiosarcome très agressif, retrouvé dans les tissus mous et dans divers organes notamment les poumons, les os et le foie. Nous rapportons le cas d’un EHE médiastinal, pris en charge dans le service de chirurgie thoracique du CHU Ibn Rochd, de Casablanca et nous analysons la littérature sur l’EHE.

Un homme de 37 ans s’est présenté avec des douleurs thoraciques. Le scanner thoracique a montré une masse médiastinale postérieure associée à un épanchement pleural gauche. L’exérèse de la masse était impossible car elle était adhérente aux structures vasculaires. L’étude immunohistochimique des biopsies de la masse a confirmé le diagnostic d’EHE médiastinal.

La localisation médiastinale est très exceptionnelle, avec un diagnostic difficile requérant l’aide précieuse de l’immunohistochimie. Le traitement de choix est chirurgical.

 

ABSTRACT

Mediastinal epithelioid haemangioendothelioma : Reports of one case and a review of the literature

EHE is considered an intermediate vascular neoplasm between a benign hemangioma and a highly agressive angiosarcoma. It can occur in soft tissues and various organs including lung, bone and liver. We report the case of mediastinal EHE treated in the Ibn Rochd University Thoracic Surgery Unit in Casablanca and review literature on EHE.

A 37-year-old man presented with chest pain. The chest CT scan showed a posterior mediastinal mass associated with left pleural effusion. Excision of the mass was impossible because it was adherent to the vascular structures. The immunohistochemical study of mass biopsies confirmed the diagnosis of mediastinal EHE.

The mediastinal localization is very exceptional, with a difficult diagnosis requiring the precious help of immunohistochemistry. The treatment of choice is surgical.


 

1. Introduction

L’hémangioendothéliome épithélioïde (EHE) est une tumeur endothéliale vasculaire rare décrite pour la première fois par Weiss et Enzinger en 1982. Il est généralement considéré comme un néoplasme vasculaire intermédiaire, entre un hémangiome bénin et un angiosarcome très agressif, retrouvé généralement dans les poumons, le foie, les tissus mous et les os. Il est exceptionnellement retrouvé dans le médiastin.

Dans ce rapport, nous décrivons dans un premier temps un cas d’hémangioendothéliome épithélioïde médiastinal associé à un épanchement pleural chez un homme de 37 ans, et dans un deuxième temps une revue de la littérature sur les différentes localisations de l’EHE.

 

2. Observation

Patient de 37 ans, tabagique chronique à 17 PA, sans antécédents pathologiques particuliers, qui a présenté des douleurs thoraciques depuis 3 mois évoluant dans un contexte de conservation de l’état général. L’examen pleuropulmonaire a objectivé un syndrome d’épanchement liquidien de l’hémithorax gauche. Le reste de l’examen physique a été sans particularité. Le scanner thoracique a montré une masse médiastinale postérieure, latéralisée à gauche, polylobée, bien limitée de contours réguliers, siège de calcifications et de cloisons, mesurant 80x92x96 mm, englobant l’artère pulmonaire gauche et ses branches de division, le tronc innominé gauche, l’artère sous-clavière gauche ainsi que l’aorte descendante sans conservation du liseré de séparation. Cette masse était associée à un épanchement pleural gauche [figure 1]. La bronchoscopie a objectivé une inflammation de la lobaire supérieure gauche avec un orifice de bifurcation réduit de taille. Les biopsies bronchiques ont objectivé des remaniements fibro-inflammatoires non spécifiques. Le patient a bénéficié d’un dosage des marqueurs tumoraux notamment BHCG et AFP, révélés négatifs, afin d’exclure une tumeur des cellules germinales. Une ponction biopsie pleurale a été faite objectivant une pachypleurite sans prolifération tumorale évidente.

 

Figure 1. Scanner thoracique, fenêtre médiastinale objectivant une masse médiastinale associée à un épanchement pleural gauche.

 

Le patient a été adressé au service de chirurgie thoracique pour une exérèse de la masse sous thoracoscopie. L’exploration peropératoire a montré une masse médiastinale postérieure d’aspect blanchâtre, dure, envahissant l’artère pulmonaire gauche et l’aorte rendant l’exérèse impossible. Le patient a bénéficié d’une évacuation de 400 ml de liquide sérohématique avec réalisation des biopsies pleurales et de la masse médiastinale. L’examen anatomopathologique de la plèvre a montré une inflammation chronique, non spécifique, sans signe de malignité. Selon la morphologie et les résultats immunohistochimiques, la tumeur a été diagnostiquée comme un EHE médiastinal. La période postopératoire était sans particularité. Après réunion de concertation pluridisciplinaire, aucun traitement n’a été administré et le patient était en vie avec un aspect scannographique stable de la masse médiastinale dans les 22 mois suivant le suivi.

 

3. Discussion

L’hémangioendothéliome épithélioïde (EHE) est un néoplasme rare d’origine vasculaire [1,3], défini par la classification de 2002 de l’Organisation mondiale de la santé comme un angiosarcome localement agressif de bas grade avec un potentiel métastatique [4]. Il a été décrit pour la première fois par Dail et Liebow en 1975. En 1982, Weiss et Enzinger définissent le terme d’hémangioendothéliome épithélioïde, dénomination actuelle, pour une tumeur vasculaire des tissus mous avec une histologie mimant un carcinome mais une clinique intermédiaire entre l’hémangiome bénin et l’angiosarcome très agressif [1,2,5,6].

La localisation de l’EHE dans les tissus mous est fréquente, en particulier dans les extrémités, sans prédilection sexuelle. Il est considéré comme une masse douloureuse présente depuis plusieurs années.

L’EHE a également été décrit dans le parenchyme pulmonaire, où il était précédemment appelé tumeur intravasculaire bronchiolo-alvéolaire. Il est généralement observé chez les jeunes femmes de nombreux nodules pulmonaires bilatéraux de moins de 2 cm, imitant la maladie métastatique [7].

L’EHE hépatique touche habituellement les sujets d’âge moyen avec une prédominance féminine sans facteurs de risque identifiés. Il doit être différencié du cholangiocarcinome sclérosant.

L’hémangioendothéliome épithélioïde est également présent dans l’os, où il affecte généralement les hommes plus jeunes, est souvent multicentrique, et est également appelé tumeur angioglomoid. La tumeur se développe également dans les régions de la tête et du cou, en particulier dans la région sous-mandibulaire. Une différenciation de la maladie de Kimura doit être faite dans ces cas.

De plus, l’EHE peut se manifester par de nombreuses manifestations thoraciques, notamment une masse médiastinale, un épaississement pleural diffus et une dissémination lymphangitique.

Pour la localisation médiastinale, il n’y a pas de prédilection sexuelle avec une tranche d’âge large. La symptomatologie n’est pas spécifique, la tumeur peut se manifester par une dyspnée, toux, douleur thoracique, dysphagie voire même une paralysie des cordes vocales. La présentation clinique chez notre patient est considérée comme atypique.

L’EHE médiastinal peut être confondu avec une grande variété de masses médiastinales [7]. Dans le médiastin postérieur, les tumeurs neurogènes, les kystes congénitaux et les lymphomes sont les plus fréquents. Dans le médiastin antérieur-supérieur, les thymomes, les lésions thyroïdiennes et les lymphomes sont plus susceptibles d’être présents que les tumeurs d’origine vasculaire. Dans le médiastin moyen, les kystes péricardiques et bronchogéniques doivent être pris en compte dans le diagnostic différentiel.

La tomodensitométrie thoracique est très utile pour exclure provisoirement certaines causes de masses médiastinales qui ont des caractéristiques radiographiques typiques, pour déterminer l’étendue locale de la lésion et pour planifier la meilleure approche chirurgicale. Cependant, aucun signe radiologique n’est considéré comme pathognomonique pour les hémangioendothéliomes épithélioïdes.

Histologiquement, l’EHE est caractérisé par des cellules épithélioïdes fuselées disposées dans des nids ou des cordes avec des vacuoles intracytoplasmiques dans un stroma myxohyalin. La formation de vacuole intracytoplasmique représente la différenciation vasculaire primitive des cellules endothéliales. L’étude immunohistochimique peut confirmer la nature endothéliale de la tumeur par une coloration positive de l’antigène lié au facteur VIII ou de la liaison à la lectine pour l’antigène Ulex europaeus. Les études au microscope électronique montrent souvent la présence de corps Weibel-Palade intracellulaires, caractéristiques des cellules endothéliales [1].

L’étiologie de l’EHE reste incertaine, bien que plusieurs anomalies chromosomiques clonales aient été identifiées [4]. Celles-ci comprennent une translocation impliquant CAMTA1 (chromosome 1) et WWTR1 (chromosome 3) décrite par Errani et al. [4] : les deux gènes ont été impliqués dans l’oncogenèse, mais l’EHE est le premier cas où ils ont été associés ensemble dans une translocation chromosomique récurrente. De plus, il a été suggéré que l’infection à Bartonella pourrait jouer un rôle dans le développement de l’EHE, en raison de son infection chronique intraendothéliale caractéristique, de la production de VEGF et de la suppression de l’apoptose des cellules endothéliales [8].

À ce jour, aucun facteur prédisposant n’a été identifié, et le pronostic de l’EHE médiastinal est inconnu en raison des cas limités. Selon Mentzel et al. et Weiss et al., la majorité des EHE ont une évolution clinique relativement meilleure que l’angiosarcome très agressif [1]. Cependant, la tumeur avec des atypies cellulaires marquées, une activité mitotique (>1 mitose par 10 HPF), une nécrose et un fuselage étendu peut avoir une évolution plus agressive. Deyrup et al. ont également utilisé la taille de la tumeur (plus de 3 cm) comme facteur de mauvais pronostic [1].

Le traitement de l’EHE varie et dépend du site et de l’étendue de l’atteinte tumorale, du ou des sites de métastases et des facteurs individuels spécifiques [1]. La chirurgie curative est le traitement de l’EHE pulmonaire. La radiothérapie adjuvante a été utilisée pour contrôler les EHE localisés dans les tissus mous et les os. La chimiothérapie a été utilisée à la fois comme adjuvant et dans le traitement d’une maladie inopérable généralisée.

Près d’un tiers des EHE développent des métastases dans les ganglions lymphatiques régionaux (au moins 50% de tous les cas métastatiques) ou dans les poumons, le foie ou les os. Les patients qui développent des métastases ont un taux de survie de 50% à cinq ans [1]. Le taux de récidive est de 10% et peut survenir jusqu’à 12 ans après la chirurgie [7].

 

4. Conclusion

L’EHE reste une maladie rare souvent mal diagnostiquée et pour laquelle l’étiologie, la prise en charge ainsi que le pronostic sont mal compris. La localisation médiastinale est exceptionnelle nécessitant si possible une exérèse chirurgicale complète.

 

Références

  1. Xiao-Man Li, Xu-Yong Lin, Hong-Tao Xu, Juan-Han Yu, Liang Wang, Chui-Feng Fan, Yang Liu and En-Hua Wang Li et al. Mediastinal epithelioid hemangioendothelioma with abundant spindle cells and osteoclast-like giant cells mimicking malignant fibrous histiocytoma. Diagnostic Pathology 2013;8:103.
    https://doi.org/10.1186/1746-1596-8-103
    PMid:23800015 PMCid:PMC3711789
  2. Yang Liu, Yue-Feng Jiang, Ye-Lin Wang, Hong-Yi Cao, Liang Wang, Qing-Chang Li, Hong – Tao Xu, Xue-Shan Qiu, En-Hua Wang. Epithelioid hemangioendothelioma of the anterior mediastinum: a case report. Int J Clin Exp Pathol 2016;9(5):5746-5752.
  3. Mansour Z, Neuville A, Falcoz PE, Santelmo N, Massard G. Hémangioendothéliome épithelioïde médiastinal : un cas d’une tumeur médiastinale rare. J Chir Thorac Cardio-Vasc 2009;13:117-119.
  4. Patrini D, Scolamiero L, Khiroya R, Lawrence D, Borg E, Hayward M, Panagiotopoulos N. Mediastinal hemangioendothelioma: Case report and review of the literature. Respiratory Medicine Case Reports 2017;22:19e23.
    https://doi.org/10.1016/j.rmcr.2017.05.005
    PMid:28626633 PMCid:PMC5466594
  5. Leleu O, Lenglet F, Clarot C, Kleinmann P, Jounieaux V. Hémangioendothéliome épithélioïde pulmonaire : à propos de trois cas et revue de la littérature. Revue des Maladies Respiratoires 2010;27:778-783.
    https://doi.org/10.1016/j.rmr.2010.06.019
    PMid:20863982
  6. Fletcher CDM, World Health Organization. International Agency for Research on Cancer. WHO classification of tumours of soft tissue and bone. World Health Organization classifi-cation of tumours. 4th edition. Lyon: IARC Press 2013.
  7. Campos J, Otero E, Dominguez MJ, Gonzalez-Quintela A. Epithelioid hemangioendothelioma in the posterior mediastinum. European Journal of Internal Medicine 2007;18:331-332.
    https://doi.org/10.1016/j.ejim.2006.11.010
    PMid:17574111
  8. Mascarelli PE, Iredell JR, Maggi RG, Weinberg G, Breitschwerdt EB. Bartonella species bacteremia in two patients with epithelioid hemangioendothelioma, J Clin Microbiol 2011;49(11):4006e4012.
    https://doi.org/10.1128/JCM.05527-11
    PMid:21918021 PMCid:PMC3209129

 


Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared. 

Date de soumission : 31/07/2019. Acceptation : 18/11/2019.