Lucile Gust1, Philippe Nafteux2, Pierre Allemann3, Jean-Jacques Tuech4, Issam El Nakadi5, Denis Collet6, Diane Goere7, Jean-Michel Fabre8, Bernard Meunier9, Frédéric Dumont10, Gilles Poncet11, Guillaume Passot12, Nicolas Carrere13, Muriel Mathonnet14, Gil Lebreton15, Jérémie Theraux16, Frédéric Marchal17, Jack Porcheron18, Pascal-Alexandre Thomas1, Guillaume Piessen19, Xavier-Benoît D’Journo1*
1. Service de chirurgie thoracique, maladies de l’œsophage et transplantation pulmonaire, hôpital Nord, CHU de Marseille, France. 2. Service de chirurgie thoracique et des maladies de l’œsophage, KUZ Gathuisberg, Louvain, Belgique. 3. Service de chirurgie thoracique, centre hospitalier universitaire vaudois, Lausanne, Suisse. 4. Service de chirurgie digestive, CHU de Rouen, France. 5. Service de chirurgie digestive, hôpital Érasme, Bruxelles, Belgique. 6. Service de chirurgie digestive et endocrinienne, CHU de Bordeaux, France. 7. Département de chirurgie viscérale, institut Gustave Roussy, Villejuif, France. 8. Service de chirurgie digestive et transplantation, CHU de Montpellier, France. 9. Service de chirurgie hépatobiliaire et digestive, CHU de Rennes, France. 10. Service d’oncologie chirurgicale, institut de cancérologie de l’ouest, Nantes, France. 11. Service de chirurgie digestive, hôpital Édouard Herriot, Lyon, France. 12. Service de chirurgie digestive et endocrinienne, hospices civils de Lyon-centre hospitalier Lyon-Sud, France. 13. Service de chirurgie générale et digestive, CHU Purpan, Toulouse, France. 14. Service de chirurgie digestive, générale et endocrinienne, hôpital Dupuytren, Limoges, France. 15. Service de chirurgie viscérale et digestive, unité de chirurgie colorectale, CHU de Caen, France. 16. Service de chirurgie viscérale et digestive, CHU de Brest, France. 17. Département de chirurgie, institut de cancérologie de Lorraine, Nancy, France. 18. Service de chirurgie digestive et cancérologique, CHU de Saint-Étienne, France. 19. Service de chirurgie générale et digestive, CHU de Lille, France.
*Correspondance : xavier.djourno@ap-hm.fr
DOI : 10.24399/JCTCV22-1-GUS
Citation : Gust C, Nafteux P, Allemann P, Tuech JJ, El Nakadi I, Collet D, Goere D, Fabre JM, Meunier B, Dumont F, Poncet G, Passot G, Carrere N, Mathonnet M, Lebreton G, Theraux J, Marchal F, Porcheron J, Thomas PA, Piessen G, D’Journo XB. Hernies hiatales après œsophagectomie. Étude francophone européenne multicentrique. Journal de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 2018;22(1). doi: 10.24399/JCTCV22-1-GUS
Résumé
Objectif : après œsophagectomie, le tube digestif peut s’incarcérer dans le hiatus autour de la plastie, réalisant une hernie hiatale (HH) pouvant entraîner des syndromes occlusifs avec ischémie digestive.
Méthodes : étude rétrospective multicentrique européenne francophone sur les HH après œsophagectomie : diagnostic, prise en charge chirurgicale et suites opératoires.
Résultats : de 2000 à 2016, 19 centres ont réalisé 6608 œsophagectomies. Dans le suivi, 78 HH (1,2 %) ont été opérées. Elles apparaissaient plus fréquemment après abord abdominal laparoscopique qu’après laparotomie (1,4 % vs 0,7 % ; p = 0,03). Elles sont survenues précocement (≤ 90 jours) pour 17 patients (21,5 %), la première année pour 21 patients (26,6 %) et au-delà pour 41 (51,9 %), (respectivement 13, 13 et 17 opérés en urgence). La voie d’abord de réparation était : la laparotomie (n = 35 ; 45 %), notamment en cas de résection digestive, la laparoscopie (n = 19 ; 24 %), un abord thoracique (n = 13 ; 17 %) ou une thoracophrénolaparotomie (n = 11 ; 14 %).
Trente-six patients ont présenté des complications, dont un décès et 13 reprises chirurgicales. Huit patients ont présenté des récidives de HH (délai 6 jours-26 mois).
Conclusion : les HH après œsophagectomie ont des présentations variables. Elles peuvent entraîner des complications thoraciques ou digestives, relevant d’une prise en charge spécialisée.
Abstract
Hiatal hernia after esophagectomy: a survey of French-speaking European countries
Introduction: After esophagectomy, part of the viscera can migrate through the hiatus to surround the gastric tube, creating hiatal hernias (HH) which eventually lead to abdominal occlusion and bowel ischemia.
Methods: This retrospective multicenter study investigated the diagnosis, surgical management and follow-up of HH after esophagectomy in French-speaking European departments.
Results: From 2000 to 2016, 19 departments performed 6608 esophagectomies. During follow-up, 78 cases of HH (1.2%) required surgery. These were more frequent after the laparoscopic approach than after laparotomy (1.4% vs. 0.7%; p = 0.03). The appearance of HH occurred during early follow-up (≤90 days) for 17 patients (21.5%), 21 underwent surgery during the first year (26.6%) and 41 after the first year (51.9%), with 13, 13 and 17 urgent surgeries, respectively. The surgical approaches included laparotomy (n = 35, 45%), especially when bowel resection was needed, laparoscopy (n = 19, 24%), a thoracic approach (n = 13, 17%) or a thoracophrenolaparotomy (n = 11, 14%). Complications arose in 36 patients, with one death and 13 secondary surgeries (three for secondary HH). Eight patients presented with recurrent HH (between 6 days and 26 months).
Conclusion: Development of HH after esophagectomy can have a wide range of presentations, and can lead to thoracic or abdominal complications requiring specialized management.
1. Introduction
L’œsophagectomie avec rétablissement de la continuité digestive à partir d’un substitut digestif autologue (gastrique, colique ou jéjunal) reste le traitement de référence des cancers de l’œsophage de stade précoce ou localement avancé dans le cadre d’une prise en charge multimodale [1,2]. Il s’agit d’une chirurgie à haut risque s’accompagnant d’une forte morbidité respiratoire ou chirurgicale notamment anastomotique [3,4].
Parmi les complications chirurgicales, les hernies digestives au travers de l’orifice hiatal ont été rapportées. Ces hernies correspondent à la migration dans le thorax de tout ou partie du contenu abdominal au travers du hiatus diaphragmatique dans lequel se situe le passage du transplant digestif nécessaire à la reconstruction de l’œsophage. Les conséquences cliniques sont potentiellement graves pouvant aller de l’occlusion à la strangulation avec perforation. Longtemps asymptomatiques, ces hernies peuvent se révéler dans un contexte brutal à distance de la première chirurgie rendant leur prise en charge parfois difficile [5-7]. Il s’agit de complications relativement rares, souvent méconnues et donc sous-estimées, pouvant aboutir à de véritables urgences chirurgicales intéressant à la fois le chirurgien digestif mais aussi thoracique. L’amélioration de la survie des patients opérés d’un cancer de l’œsophage explique vraisemblablement l’augmentation de l’incidence de ces complications [5-8]. Par ailleurs, l’augmentation des approches minimalement invasives, connues pour créer moins d’adhérences postopératoires, a été évoquée comme un élément favorisant ce type de complications [9-11].
Nous rapportons l’expérience de plusieurs centres européens francophones concernant cette pathologie, du mode de diagnostic à la prise en charge et au suivi des hernies hiatales après œsophagectomie.
2. Patients et méthodes
Il s’agit d’une étude rétrospective, multicentrique, réalisée auprès de 19 centres européens, participant au réseau FREGAT pour les centres français (base de données française des cancers œsogastriques) : un centre suisse (Lausanne), 2 centres belges (KUZ Louvain et Érasme à Bruxelles) et 16 centres français (Lille, Marseille, Bordeaux, Rouen, Villejuif, Montpellier, Rennes, Nantes, Lyon Édouard Herriot et Lyon-Sud, Toulouse, Limoges, Caen, Brest, Nancy et Saint-Étienne). Seuls trois services de chirurgie thoracique ont participé (Lausanne, Louvain et Marseille), alors que les autres sont des services de chirurgie viscérale.
Le recueil des données a porté sur les patients opérés d’une hernie hiatale après œsophagectomie, quelle que soit l’indication, de manière rétrospective, à partir des dossiers médicaux des patients. Les données de l’œsophagectomie initiale (données démographiques, stade oncologique et données opératoires) ont été analysées, ainsi que le délai et le mode de diagnostic des HH, et enfin la prise en charge et les suites opératoires du traitement chirurgical de ces dernières.
Le test de Chi2 a été utilisé pour la comparaison des variables qualitatives.
3. Résultats
De 2000 à 2016, les 19 centres participants ont réalisé 6 608 œsophagectomies. Soixante-dix-neuf patients ont été identifiés comme ayant une hernie hiatale durant cette période, 78 opérés et un patient pour lequel une chirurgie était programmée au moment de la fin du recueil des données, soit une incidence de 1,2 %.
3.1. Œsophagectomie initiale [tableau 1]
Les œsophagectomies initiales étaient le plus souvent réalisées par voie transthoracique, selon la technique de Lewis-Santy (52 patients soit 67 %). Neuf patients ont été opérés par œsophagectomie trois voies selon la technique de McKeown et 5 par voie transhiatale. Douze patients ont bénéficié d’une œsophagectomie par thoracophrénolaparotomie gauche, dont 11 dans le même centre.
Tableau 1. Données pré et postopératoires de l’œsophagectomie initiale.
Œsophagectomie initiale | |||
Sexe | 58 hommes | ||
21 femmes | |||
Âge | 57,7 ans | ||
ASA | I | 21 | |
II | 43 | ||
III | 11 | ||
Tumeur | Adénocarcinome | 56 | |
CE | 13 | ||
DM | 3 | ||
Reflux | 6 | ||
Traitement néoadjuvant | Aucun | 23 | |
Chimiothérapie | 12 | ||
Radiochimiothérapie | 32 | ||
Technique chirurgicale | |||
Technique | Lewis-Santy | 52 | |
McKeown | 9 | ||
TH | 5 | ||
TPL gauche | 12 | ||
Abord abdominal | Cœlioscopie | 49 (63 %) | |
Laparotomie | 29 (37 %) | ||
Plastie | Gastrique | 70 (89 %) | |
Jéjunale | 9 (11 %) | ||
Geste sur la plastie/le diaphragme | Aucun | 37 (47 %) | |
Fermeture hiatus seule | 3 (3,8 %) | ||
Fixation diaphragme | 7 (8,9 %) | ||
Section pilier droit | 9 (11,4 %)
|
||
Section pilier gauche | 4 (5,1 %)
|
||
Section des deux piliers | 10 (12,7 %)
|
||
Association de plusieurs gestes | 2 (2,5 %)
|
||
Données manquantes | 7 (8,9 %)
|
CE : carcinome épidermoïde ; DM : données manquantes ; TH : transhiatal ; TPL : thoracophrénolaparotomie.
La plupart des procédures réalisées étaient des procédures hybrides ou par voie totalement mini-invasives (MI) : 39 Lewis-Santy sur 52 (dont 2 MI), 8 McKeown sur 9 (dont 7 MI) et 2 œsophagectomies transhiatales. Au total 49 œsophagectomies sur 79, soit 62 % des patients, ont bénéficié d’une cœlioscopie éventuellement associée à une thoracoscopie lors de la chirurgie initiale.
Une plastie gastrique a été réalisée dans plus de 88 % des cas (70 patients), dont 54 anastomoses intrathoraciques et 16 cervicales. Les autres patients ont bénéficié d’une plastie jéjunale avec réalisation d’une roux-en-y et anastomose intrathoracique.
Des gestes additionnels sur la plastie, de type fermeture du hiatus, fixation au diaphragme, section d’un ou des deux piliers, n’ont été réalisés que pour moins de 50 % des patients.
3.2. Diagnostic de la hernie hiatale
Les délais d’apparition des hernies digestives étaient très variables selon les patients. Ainsi, 17 hernies ont été diagnostiquées durant les 3 premiers mois du suivi (soit 21,5 %), dont 12 dans les 15 premiers jours. Durant la première année de suivi, 21 patients supplémentaires ont présenté une hernie hiatale (26,6 %). Enfin, plus de 50 % des patients ont été opérés de leur HH au-delà de la première année de suivi (41/79) [figure 1].

Onze patients étaient asymptomatiques lors de la prise en charge mais présentaient de volumineuses HH contenant généralement des organes digestifs (grêle ou colon). La plupart des autres patients présentaient une association de symptômes aigus dont les plus fréquents étaient les syndromes occlusifs (n = 31) et les douleurs épigastriques (n = 26). D’autres symptômes étaient moins souvent retrouvés comme les douleurs thoraciques, la dysphagie ou la dyspnée (respectivement 10, 11 et 8 patients) [figure 2].

Dix-neuf patients présentaient des symptômes chroniques, associant essentiellement douleur épigastrique et dysphagie. Et 3 patients ont été pris en charge dans un contexte d’acutisation de symptômes chroniques, associant syndrome subocclusif et douleurs épigastriques.
3.3. Prise en charge de la hernie hiatale [figure 3]
Dans près de 50 % des cas, les patients ont été opérés de leur hernie hiatale dans un contexte d’urgence (43/79). Plus le délai d’apparition entre œsophagectomie et hernie hiatale était court, plus le risque de réopération dans un contexte d’urgence était grand. Treize patients sur 17 ayant présenté une hernie digestive dans les 90 jours suivant l’œsophagectomie ont été opérés dans un contexte d’urgence (76,5 %), 13 sur 20 pour celles apparues entre 90 et 365 jours (65 %), et 17 sur 41 au-delà de la première année (41,5 %) [figure 4].


La voie d’abord de la chirurgie initiale et les circonstances de diagnostic influençaient le choix de la voie d’abord de la seconde chirurgie. Ainsi une cœlioscopie a été réalisée uniquement si le patient avait auparavant bénéficié d’un temps abdominal par voie cœlioscopique. Les patients opérés par laparotomie ont été repris dans 12 cas par laparotomie, 4 cas par thoracotomie gauche et une fois par vidéothoracoscopie (donnée manquante pour un patient). Enfin, 11 des 12 patients initialement pris en charge par thoracophrénolaparotomie gauche ont été réopérés par cette même voie. Au total 35 laparotomies, 19 cœlioscopies, 11 thoracophrénolaparotomies gauches, 11 thoracotomies, dont 10 à gauche et un à droite, et 2 thoracoscopies ont été réalisées. Trois cœlioscopies ont été converties en laparotomie, et 3 thoracotomies ont été élargies soit en phrénotomie (n = 1), soit en laparotomie (n = 2) [tableau 2].
Tableau 2. Données peropératoires de la prise en charge chirurgicale de la hernie hiatale.
Chirurgie de la hernie hiatale | |||
Voie d’abord HH | Voie d’abord Temps initial | ||
Cœlioscopie | Laparotomie | TPL | |
Laparotomie | 23 | 12 | 0 |
Cœlioscopie | 17 | 0 | 1 |
Thoracotomie gauche | 6 | 4 | |
Thoracotomie droite | 1 | 0 | |
VTC | 1 | 1 | |
TPL | NA | NA | 11 |
Données manquantes | 1 |
HH : hernie hiatale ; VTC : vidéothoracoscopie ; TPL : thoracophrénolaparotomie.
La voie d’abord privilégiée dans les situations d’urgence était la laparotomie, d’autant plus si une résection digestive était réalisée [figure 5]. Quatre résections de grêle ont été nécessaires, ainsi que 4 résections de colon, une résection partielle d’estomac et 2 réfections d’anastomose. L’ensemble des résections digestives ont été réalisées par laparotomie. Le hiatus quant à lui a été réparé par suture directe, éventuellement renforcée de patchs de Téflon pour 63 patients. Seuls 12 patients ont bénéficié de la mise en place d’une plaque.

La proportion d’œsophagectomie avec temps abdominal par laparotomie ou cœlioscopique était disponible pour 4 772 patients de notre cohorte, correspondant à 48 hernies digestives après œsophagectomie (incidence de 1 %). Dans cette population, une chirurgie ouverte avait été réalisée pour 3 010 patients (63,1 %) et une chirurgie par voie hybride ou totalement mini-invasive, c’est-à-dire un abord cœlioscopique pour 1 761 patients. Après laparotomie, 23 patients ont présenté une hernie soit une incidence de 0,73 % contre 25 après cœlioscopique, soit une incidence de 1,4 % (p = 0,03).
3.4. Suites opératoires [tableau 3]
Un patient est décédé d’une défaillance multiviscérale, soit un taux de mortalité de 1,3 %.
Trente-six patients ont présenté des complications (46 %), essentiellement d’ordre médical, et largement dominées par les complications pulmonaires. Treize reprises chirurgicales ont été nécessaires, dont trois pour récidive précoce de hernie hiatale. À long terme, 5 récidives supplémentaires ont été diagnostiquées. Soit un total de 8 récidives apparues dans un délai de 6 jours à 26 mois, avec un taux de 10,25 % dans notre série.
Tableau 3. Morbidité de la chirurgie de hernie hiatale.
Complications chirurgicales | Récidive précoce | 3 |
2nd look | 3 | |
Éventration/Éviscération | 2 | |
Drainage simple | 1 | |
Hémopéritoine | 1 | |
Sténose ischémique du colon | 1 | |
Décortication | 1 | |
Multiples reprises pour VAC | 1 | |
Total | 13 | |
Complications médicales | Pulmonaires | 17 |
Sepsis | 4 | |
Cardiaque | 4 | |
Neurologiques | 2 | |
Digestives | 3 | |
Rétention aiguë d’urines | 3 |
4. Discussion
Notre série est la plus large publiée à ce jour s’intéressant aux hernies digestives après œsophagectomie. Elle retrouve une incidence de hernies opérées de 1,2 %, ce qui est semblable aux données de la littérature [11]. Cette pathologie se présente sous des aspects variables, à la fois du fait des symptômes très différents qui peuvent être rencontrés, mais aussi du fait des circonstances de diagnostic et du délai d’apparition. Dans notre série les hernies digestives pouvaient apparaître soit très précocement dans les premiers jours suivant l’œsophagectomie initiale, soit plusieurs années après celle-ci. Les circonstances de diagnostic allant de hernies complètement asymptomatiques à des syndromes occlusifs nécessitant une prise en charge en urgence. Ces données expliquent l’incidence variable de cette complication dans la littérature, ainsi que leur prise en charge non standardisée.
Ainsi, plusieurs points rendent la prise en charge des hernies hiatales complexe.
D’une part, il s’agit d’une complication peu commune des œsophagectomies. Van Sandick et al. rapportaient que 18 cas avaient été décrits dans la littérature anglophone entre 1979 et 1997 [5]. Les grandes séries de hernies hiatales sont rares et ont été publiées par des équipes expertes, sur de longues périodes d’étude, ou proviennent de revue de la littérature parfois exposée aux biais de la sélection [7,11-13].
Selon le mode de détection des hernies digestives, soit diagnostiquées de manière systématique sur les scanners de suivi, soit uniquement les hernies symptomatiques et opérées, la littérature anglo-saxonne retrouve une incidence allant de 0,8 % à près de 20 % [tableau 4] [5-6,12-19]. Différents facteurs prédisposant ont été évoqués. Le plus important est sans doute la diffusion et l’utilisation croissante des techniques chirurgicales laparoscopiques et /ou vidéothoracoscopiques avec les œsophagectomies hybrides ou totalement mini-invasives [3,9-10]. La diminution des adhérences postopératoires associées aux techniques minimalement invasives, et notamment à la cœlioscopie pour l’abord abdominal, est l’un des facteurs le plus souvent évoqué dans la littérature pour expliquer l’incidence croissante de hernie hiatale [11,12,14,18,19].
Tableau 4. Revue de la littérature.
Auteur | Année | Nombre patients | Incidence | Ouvert | Hybride/MI | Délai d’apparition (médiane) | Chirurgie | Récidive | |
Van Sandick | 1999 | 218 | 9 (4,1 %) | NA | NA | 12 M [2 J-44 M] | 6/9 (66 %) | NA | |
Kent | 2008 | 1075 | 20 (1,9 %)
4 externes |
4 (0,8 %) | 16 (2,8 %) | 32 M [46 J-7 A] | 22/24 18 % urgence |
6 (29 %) | |
Price | 2011 | 2182 | 15 (0,69 %) | NA | NA | 21 M [3 J-2 A] | 15/15 87 % urgence |
2 (13 %) | |
Sutherland | 2011 | 36 TH robots |
7 (19,5 %) | NA | NA | [30 J-1 A] | 100 % | 2 (28,6 %) | |
Willer | 2012 | 39 | 5/39 (12,8 %) | 0 | 5 (26 %) | 18 M [3 M-20 M] | 3/5 | NA | |
Ganeshan | 2013 | 440 (suivi > 1 an) | 67 (15 %) | NA | NA | 24 M [47 J-9 A] | 9/67 (13 %) | NA | |
Bronson | 2014 | 114 | 9 (8 %) | NA | NA | 14 M [2 J-97 M] | 100 % | 1 | |
Benjamin | 2015 | 120 (MI) | 7 (5,8 %) | NA | NA | 3,4M [1 M-45 M] | 5/7 (71,4 %) 4 urgences |
2 (23,3 %) | |
Narayanan | 2015 | 199 TH ouvert |
9 (4,5 %) | NA | NA | 29 M [4 M-8 A] | 100 % 3 urgences |
0 | |
Matthews | 2016 | 506 | 31 (6,1 %) | 4 (1,8 %) | 27 (9,5 %) | [7 J-7 A] | 30/31 | 7 (23,3 %) | |
Crespin | 2016 | 192 TH cœlio |
22 (11,5 %) | NA | NA | 7,5 M [2 J-97 M] | 7/22 | NA | |
Brenkman | 2017 | 657 | 45 (7 %) | 19 (9 %) | 21 (4,9 %) | 20 M [0 J-101 M] | 23/45 (51 %)
16 urgences |
4 (15 %) | |
Gust | 2017 | 6608 | 79 (1,2 %) | 23/3010 (0,7 %) | 25/1761 (1,4 %) | 13,6 M [1 J-16 A] | 100 % | 8 (10,25 %) | |
MI : minimalement invasif ; NA : non applicable ; M : mois ; J : jour ; A : année : TH : transhiatal.
Dans notre série, l’incidence de hernie digestive après œsophagectomie semble être plus importante pour les patients ayant bénéficié d’un abord cœlioscopique. La proportion de chirurgie hybride ou totalement mini-invasive n’était malheureusement pas disponible pour l’ensemble de notre cohorte. Cependant, pour les 4 772 patients pour lesquels la voie d’abord initiale était disponible, on observait une différence statistiquement significative entre l’incidence de hernie digestive après abord laparoscopique : 1,4 % contre 0,7 % après laparotomie.
L’élargissement du hiatus diaphragmatique semble être un autre facteur favorisant, d’autant plus qu’il est associé à des techniques mini-invasives [11,14,16,18]. Ainsi, une incidence augmentée de hernie hiatale après œsophagectomie transhiatale a été rapportée par plusieurs études. La plus parlante est celle de Sutherland rapportant leur expérience initiale d’œsophagectomies transhiatales robot-assistées. Dans cette étude, 7 patients sur 36, soit 19,5 %, ont été réopérés pour cure chirurgicale de hernie hiatale dans la première année suivant la chirurgie initiale. Il est aussi intéressant de noter qu’après modification de leur technique opératoire (fixation systématique de la plastie au hiatus et fermeture de celui-ci), les auteurs n’ont plus observé de hernie.
D’autres facteurs prédisposant, non retrouvé dans notre étude, comme l’influence du BMI, restent controversés car les résultats sont contradictoires dans la littérature [6,15].
Certaines études, comme celle de Ganeshan et al, se sont intéressées au taux réel de hernie hiatale après œsophagectomie. Contrairement à la population, où seules les hernies opérées étaient prises en compte, Ganeshan et al. ont évalué de manière rétrospective l’incidence de hernie digestive après œsophagectomie [15]. Il retrouve un taux relativement plus élevé de 15 % que celui habituellement observé dans la littérature. Cependant, plus de la moitié des hernies digestives n’avaient pas été diagnostiquées initialement par le radiologue et n’ont été visualisées qu’à la relecture des images pour l’étude en question. L’étude de Ganeshan et al. met donc en évidence un double problème dans la prise en charge de ces hernies. D’une part la difficulté d’en faire le diagnostic de manière prospective, les scanners de réévaluation se focalisant sur les signes d’une éventuelle récidive de la maladie et peuvant ignorer ce problème. Et donc l’incidence probablement très sous-estimée de cette complication. D’autre part, la prise en charge à instaurer en cas de découverte fortuite de ces HH. Dans notre série, près de 50 % des patients ont été opérés en urgence, avec 9 cas de résections digestives, et un décès postopératoire. De plus parmi les prises en charge électives, certains patients étaient en fait des urgences différées devant la résolution des symptômes occlusifs, mais nécessitant une prise en charge chirurgicale à court terme. Quelle est la conduite à tenir pour les hernies hiatales de découverte fortuite, asymptomatiques, devant leur potentiel évolutif vers des situations d’urgence ? Cette prise en charge n’est pas codifiée. Du fait de la rareté de cette situation, les auteurs décrivent des prises en charge au cas par cas en fonction de l’espérance de vie des patients, de la maladie sous-jacente et de leurs souhaits.
Au fur et à mesure que le délai entre hernie et œsophagectomie augmente, il semblerait que les circonstances de diagnostic se modifient. Ainsi, dans notre série, la majorité des opérations en urgence se faisaient lorsque le délai était court. Un cinquième des patients ont été réopérés dans un délai inférieur aux 90 premiers jours, dans des tableaux d’urgence le plus souvent. A contrario, environ 50 % de notre population étaient pris en charge avec un délai supérieur à 1 an, avec des tableaux plus chroniques. Nous émettons l’hypothèse qu’il s’agit en fait de deux populations différentes de patients : des hernies hiatales précoces en rapport avec un défaut technique ou une complication chirurgicale de l’intervention initiale. Hypothèse qui peut être soutenue par les résultats de l’étude de Sutherland, où la modification du geste chirurgical a permis une disparition de la complication à court terme. Ou une évolution naturelle de la plastie après œsophagectomie, dont l’incidence et le diagnostic augmentent du fait de l’augmentation de survie des patients atteints de cancer de l’œsophage. Ainsi la plastie et le contenu abdominal migrent progressivement vers le thorax, créant hernie digestive et redondance.
Les résultats présentés dans cette série doivent cependant être analysés avec circonspection, devant les biais potentiels de l’étude. En effet, il s’agit d’une étude rétrospective, multicentrique, concernant des centres de référence des maladies de l’œsophage, recensant les cas déclaratifs et s’intéressant aux hernies opérées. Les hernies hiatales prises en charge dans des hôpitaux périphériques ne peuvent pas être prises en compte. Ceci peut minimiser à la fois l’incidence globale de cette complication, ainsi que la proportion de hernies prises en charge dans un contexte d’urgence.
5. Conclusion
Les hernies digestives après œsophagectomie sont des complications peu fréquentes mais non négligeables. Elles peuvent se présenter soit de manière précoce, souvent dans un contexte d’urgence, soit à plus long terme, évoluant à bas bruit. Ces complications peuvent nécessiter une approche thoracique ou abdominale pour leur réparation.
Leur incidence semble en augmentation après chirurgie cœlioscopique et elles doivent être détectées dans le suivi à long terme. Compte tenu de l’essor des approches minimalement invasives, une fermeture systématique du diaphragme paraît recommandée pour les prévenir.
Références
- Shapiro J, Lanschot JJ, Hulshof M, van Hagen P, van Berge Henegouwen M, Wijnhoven B et al. Neoadjuvant chemoradiotherapy plus surgery versus surgery alone for oesophageal or junctional cancer (CROSS): long-term results of a randomised controlled trial. The Lancet Oncology 2015 Sep;16(9):1090-1098.
https://doi.org/10.1016/S1470-2045(15)00040-6 - D’Journo XB, Thomas PA. Current management of esophageal cancer. J Thorac Dis 2014 May;6(Suppl 2): S253-S264.
- Biere SS, van Berge Henegouwen MI, Maas KW et al. Minimally invasive versus open oesophagectomy for patients with oesophageal cancer: a multicentre, open-label, randomised controlled trial. Lancet 2012 May 19;379(9829):1887-1892. doi: 10.1016/S0140-6736(12)60516-9
https://doi.org/10.1016/S0140-6736(12)60516-9 - Briez N, Piessen G, Torres F, Lebuffe G, Triboulet JP, Mariette C. Effects of hybrid minimally invasive oesophagectomy on major postoperative pulmonary complications. Br J Surg 2012 Nov;99(11):1547-1553. doi: 10.1002/bjs.8931.
https://doi.org/10.1002/bjs.8931 - Van Sandick J.W, Knegjens J.L, van Lanschot J.J.B, Obertop H. Diaphragmatic herniation following oesophagectomy. Br J Surg 1999;86:109-112.
https://doi.org/10.1046/j.1365-2168.1999.00979.x - Benjamin G., Ashfaq A., Chang Y-H., Harold K, Jaroszewski D. Diaphragmatic hernia post-minimally invasive esophagectomy: a discussion and review of the literature ? Hernia 2015;19:635-643.
https://doi.org/10.1007/s10029-015-1363-8 - Brenkman H, Parry K, Noble F, van Hillegersberg R, Sharland D, Goense L et al. Hiatal Hernia After Esophagectomy for Cancer. Ann Thorac Surg 2017 Apr;103(4):1055-1062.
https://doi.org/10.1016/j.athoracsur.2017.01.026 - Njei B, McCarty T.R, Birk J.W. Trends in Esophageal Cancer Survival in United States Adults from 1973 to 2009: A SEER Database Analysis. J Gastroenterol Hepatol 2016 Jun;31(6):1141-1146.
https://doi.org/10.1111/jgh.13289 - Haverkamp L, Seesing M, Ruurda JP, Boone J, v. Hillegersberg R. Worldwide trends in surgical techniques in the treatment of esophageal and gastroesophageal junction cancer. Dis Esophagus 2017 Jan;30(1):1-7.
- Mitzman B, Lutfi W, Wang CH, Krantz S, Howington JA, Kim KW. Minimally Invasive Esophagectomy Provides Equivalent Survival to Open Esophagectomy: An Analysis of the National Cancer Database. Semin Thorac Cardiovasc Surg 2017 Summer;29(2):244-253.
https://doi.org/10.1053/j.semtcvs.2017.03.007 - Oor JE, Wiezer MJ, Hazebroek EJ. Hiatal Hernia After Open versus Minimally Invasive Esophagectomy: A Systematic Review and Meta-analysis. Ann Surg Oncol 2016 Aug;23(8):2690-2698. Review.
https://doi.org/10.1245/s10434-016-5155-x - Kent MS, Luketich JD, Tsai W, Churilla P, Federle M, Landreneau R et al. Revisional surgery after esophagectomy: an analysis of 43 patients. Ann Thorac Surg. 2008 Sep;86(3):975-983;discussion 967-974.
https://doi.org/10.1016/j.athoracsur.2008.04.098 - Price TN, Allen MS, Nichols FC 3rd, Cassivi SD, Wigle DA, Shen KR, et al. Hiatal hernia after esophagectomy: analysis of 2,182 esophagectomies from a single institution. Ann Thorac Surg 2011 Dec;92(6):2041-2045.
https://doi.org/10.1016/j.athoracsur.2011.08.013 - Sutherland J, Banerji N, Morphew J, Johnson E, Dunn D. Postoperative incidence of incarcerated hiatal hernia and its prevention after robotic transhiatal esophagectomy. Surg Endosc 2011 May;25(5):1526-1530.
https://doi.org/10.1007/s00464-010-1429-8 - Ganeshan DM, Correa AM, Bhosale P, Vaporciyan AA, Rice D, Mehran RJ et al. Diaphragmatic hernia after esophagectomy in 440 patients with long-term follow-up. Ann Thorac Surg 2013 Oct;96(4):1138-1145.
https://doi.org/10.1016/j.athoracsur.2013.04.076 - Bronson NW, Luna RA, Hunter JG, Dolan JP. The incidence of hiatal hernia after minimally invasive esophagectomy. J Gastrointest Surg 2014 May;18(5):889-893.
https://doi.org/10.1007/s11605-014-2481-9 - Narayanan S, Sanders RL, Herlitz G, Langenfeld J, August DA. Treatment of Diaphragmatic Hernia Occurring After Transhiatal Esophagectomy. Ann Surg Oncol 2015 Oct;22(11):3681-3686.
https://doi.org/10.1245/s10434-015-4366-x - Crespin OM, Farjah F, Cuevas C, Armstrong A, Kim BT, Martin AV et al. Hiatal Herniation After Transhiatal Esophagectomy: an Underreported Complication. J Gastrointest Surg 2016 Feb;20(2):231-236.
https://doi.org/10.1007/s11605-015-3033-7 - Matthews J, Bhanderi S, Mitchell H, Whiting J, Vohra R, Hodson J et al. Diaphragmatic herniation following esophagogastric resectional surgery: an increasing problem with minimally invasive techniques?: Post-operative diaphragmatic hernias. Surg Endosc 2016 Dec;30(12):5419-5427.
https://doi.org/10.1007/s00464-016-4899-5
Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared.
Cet article est issu d’un mémoire de DESC.
Date de soumission : 07/09/2017. Acceptation : 04/12/2017. Pré-publication : 15/12/2017.