Guillaume Lebreton1,2, Sandra Fournier3, Marion Subiros4, Nicolas Veziris5,6, Faiza Mougari5,7, Côme Daniau4, Anne Berger-Carbonne4, Emmanuelle Cambau5,7
1. Service de chirurgie cardiaque, hôpital de La Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris.
2. UMRS 1166 ICAN, Faculté de Médecine, université Pierre et Marie Curie, Paris.
3. Équipe opérationnelle d’hygiène, Direction de l’organisation médicale et des relations avec les universités, AP-HP, Paris.
4. Direction maladies infectieuses, Agence nationale santé publique France.
5. Centre national de référence des mycobactéries et de la résistance des mycobactéries aux antituberculeux (CNR-MyRMA).
6. Laboratoire de bactériologie, hôpital de La Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris.
7. Laboratoire de bactériologie et virologie, hôpital Lariboisière, AP-HP, Paris.
Correspondance : guillaume.lebreton@aphp.fr
DOI : 10.24399/JCTCV21-2-LEB
Citation : Lebreton G, Fournier S, Subiros M, Veziris N, Mougari F, Daniau C, Berger-Carbonne A, Cambau E. Risques infectieux liés aux générateurs thermiques utilisés pendant les circulations extracorporelles : info ou intox ? Journal de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire 2017;21(2). doi: 10.24399/JCTCV21-2-LEB
1. Contexte
1.1. Cas d’infection rapportés
En avril 2015, l’ECDC lançait une alerte européenne à la suite de plusieurs cas d’infections généralisées à Mycobacterium chimaera chez des patients ayant subi une chirurgie cardiaque sous circulation extracorporelle (CEC). Depuis 2011, 52 cas d’infection à M. chimaera en post-opératoire de chirurgie cardiaque ont été rapportés en Europe [1-8] : France (2 cas), Allemagne (5 cas), Irlande (4 cas), Pays-Bas (4 cas), Espagne (1 cas), Royaume Uni (25 cas) et Suisse (10 cas). Parmi eux, 10 décès ont été rapportés [lien]. Les autres pays européens n’ont pas fait de recherche active, ou bien n’ont pas trouvé de cas. Des cas ont également été décrits aux États-Unis où 66 cas, dont 14 décès, sont rapportés par la Food & Drugs Administration [lien], au Canada, en Australie et à Hong-Kong. Une démarche d’information des patients a été entreprise aux États-Unis et au Canada.
Ces infections sont survenues entre 3 mois et 5 ans après la chirurgie cardiaque sous CEC [1-3]. Il s’agissait d’infections graves et disséminées : endocardite, spondylodiscite, abcès cérébral, infection oculaire [1-3,5-6]…
1.2. Mycobacterium chimaera
M. chimaera est une mycobactérie atypique (non tuberculeuse), à croissance lente (2-3 semaines), présente dans l’environnement et naturellement dans les eaux. Elle est rarement responsable d’infections graves chez l’homme. Sa mise en évidence nécessite des milieux de culture et des procédés spécifiques visant à l’identifier. La réalisation de prélèvements bactériologiques « classiques » ne permet donc pas d’identifier ce germe. De plus, en cas de présence d’autres bactéries communes (ex staphylocoques pour les prélèvements cliniques ou Pseudomonas pour les prélèvements d’eau), l’isolement de cette bactérie à croissance lente est plus difficile.
1.3. Générateurs thermiques et infection à M. chimaera
Il est maintenant bien établi que les générateurs thermiques (GT) utilisés pendant la CEC sont impliqués dans la contamination via une aérosolisation de germes contenus dans l’eau des bacs des GT [1,9-10]. M. chimaera a été identifiée dans des prélèvements d’air et de surface réalisés dans les salles d’opération lorsque le GT fonctionne, y compris à distance du GT au niveau de la table d’opération [1,9]. Aux États–Unis, l’investigation de cas groupés a montré que les souches cliniques et les souches environnementales étaient similaires, orientant vers une source commune de la contamination par mycobactéries.
Depuis l’alerte européenne, les fabricants recommandent d’effectuer régulièrement une recherche de mycobactéries dans l’eau des GT. Cette recherche n’est pour l’instant ni standardisée ni normalisée et il est recommandé de travailler en collaboration avec un laboratoire ayant une expertise dans ce domaine et en mycobactériologie. En effet, les prélèvements peuvent être faussement négatifs à mycobactéries en cas de présence de nombreux autres germes (champignons, Pseudomonas, autres bactéries saprophytes) ou positifs avec des mycobactéries autres que M. chimaera dont l’identification précise sera nécessaire.
L’ECDC indique que les différents cas européens rapportés ont bénéficié d’une CEC avec un générateur thermique 3T fabriqué avant septembre 2014 par le laboratoire LivaNova (ex-Sorin Group en Allemagne). La même mycobactérie a été identifiée dans l’eau des bacs des GT utilisés pendant la CEC [2,9-11] et dans l’eau de l’usine qui fabrique ces GT en Allemagne2. De surcroit, des GT neufs ont été colonisés en quelques mois par M. chimaera [12]. Bien qu’à ce jour, aucun cas d’infection lié à un autre type de GT n’ait été rapporté, l’implication d’autres modèles de générateurs thermiques reste possible, de même que d’autres modes de contaminations environnementales ou au cours des manipulations de l’appareil.
Des mesures, notamment la mise en place d’un processus de désinfection des nouveaux GT avant expédition, ont été prises dès septembre 2014 chez le fabricant des générateurs en lien avec ces cas. À ce jour, il n’a pas été déclaré de cas d’infection postopératoire causée par M. chimaera associée à un générateur 3T fabriqué après septembre 2014. Toutefois, les délais de survenue des infections et la croissance lente de ces germes appellent à la prudence. Une décontamination des GT par désinfection profonde est proposée par LivaNova pour les GT de moins de 10 ans. Une action de LivaNova pour rendre le dispositif hermétique est également annoncée.
Un protocole renforcé de désinfection (changement quotidien de l’eau des bacs et désinfection toutes les 2 semaines) n’a pas permis de maîtriser la contamination des GT [12]. Des équipes en Europe ont fait le choix, soit de placer le GT en dehors de la salle d’opération, ce qui nécessite des travaux pour percer une ouverture laissant passer les tuyaux reliant le GT à l’appareil de circulation extracorporelle [10] (et pose la question des pertes de charges du GT et de la décontamination des tuyaux), soit de construire un coffrage autour du GT, branché sur les grilles d’extraction d’air du bloc opératoire [12]. Ces solutions coûteuses et pas toujours réalisables ne semblent toutefois pas garantir l’absence de contamination et entraînent des modifications des espaces de travail et des réseaux de ventilation qui peuvent exposer les patients à d’autres risques.
2. Situation en France
Une enquête, menée par Santé publique France et le Centre national de référence des mycobactéries et de la résistance des mycobactéries aux antituberculeux (CNR-MyRMA) a recensé en France 2 cas d’infections invasives à M. chimaera après chirurgie cardiaque sous CEC survenus en 2012 et 2014 chez des patients opérés en 2009 et 2012, dont un cas décédé de cette infection.
Un groupe de travail de l’AP-HP (associant hygiénistes, perfusionnistes, ingénieurs biomédicaux, chirurgien, microbiologistes, représentant du CNR MyRMA) a montré que les pratiques d’entretien des GT avant l’alerte étaient très différentes d’un hôpital à un autre, tant sur les produits utilisés que sur le rythme de changement de l’eau et de désinfection. La procédure d’entretien figurant dans le manuel d’utilisation du fabricant n’apparaissait pas toujours applicable (produits non disponibles au marché ou en France, matériel et personnel en nombre insuffisant). Une procédure commune d’entretien et de désinfection des GT a alors été établie et validée par le CLIN central de l’AP-HP en juin 2016.
2.1. Actions de la Direction générale de la santé (DGS) et de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS)
Des MARS (messages d’alerte rapide sanitaire) ont été envoyés par la DGS et la DGOS aux Agences régionales de Santé (ARS) en juin 2015 (MARS N°2015_04) et en mars 2017 (MARS N°2017_11) pour informer et sensibiliser les services de chirurgie cardio-vasculaire et thoracique, de cardiologie, de maladies infectieuses, de réanimation, de bactériologie, et les équipes opérationnelles d’hygiène. Ces MARS rappellent aux établissements de santé pratiquant des actes de chirurgie cardiaque les recommandations suivantes, visant à éviter la survenue de nouveaux cas et permettre leur diagnostic sans retard le cas échéant :
– Suivre les recommandations d’entretien et de désinfection du fabricant pour tous les modèles de générateurs thermiques. De même, toutes les préconisations complémentaires qui seraient faites par l’équipe opérationnelle d’hygiène (EOH) de l’établissement portant sur la formation du personnel, sur l’entretien des locaux adaptés et la prise en compte de la non disponibilité du matériel pendant les périodes de désinfection doivent être appliquées.
– Dans le bloc opératoire, après évaluation préalable des risques et si cela est techniquement possible, le générateur thermique sera sorti de la salle d’intervention chirurgicale pour limiter le risque de contamination dans cette enceinte. Lorsque le générateur thermique reste présent dans le bloc opératoire, il devra se situer le plus loin possible de la table d’intervention et sa ventilation sera dirigée à l’opposé du patient et si possible en direction de l’évacuation d’air de la salle. Dans ce cas, la vidange des tuyaux reliés à l’appareil sera réalisée après la fin de l’intervention, lorsque le patient aura quitté le bloc opératoire. Pour rappel, les installations d’air doivent être maîtrisées et vérifiées dans ces locaux et leur entretien assuré.
– Les cliniciens prenant en charge les patients après une chirurgie cardiaque avec CEC ne manqueront pas d’évoquer le diagnostic d’infections invasives à M. chimaera devant une symptomatologie infectieuse atypique apparaissant tardivement (plusieurs mois à années) après une intervention chirurgicale sous CEC. Le tableau clinique est varié, pouvant constituer une endocardite avec ou sans infection du greffon selon le type d’intervention, une ostéomyélite sternale ou des infections disséminées (bactériémies, spondylodiscites, hépatites granulomateuses, néphrites, etc.). La médiane de survenue des lésions est de 19 mois, allant de 3 mois à 5 ans. Le traitement de ces infections est long, associant plusieurs antibiotiques et de la chirurgie.
– Les services de bactériologie et les laboratoires de biologie médicale doivent veiller à ajouter la recherche de mycobactéries atypiques, en cas de culture négative pour les bactéries usuelles (staphylocoques, streptocoques, bacilles à Gram négatif etc.). Si la culture se révèle positive à mycobactéries, leur identification devra être faite par un laboratoire habitué aux techniques de mycobactériologie. En cas de mycobactéries du complexe avium (MAC) dont fait partie M. chimaera, la souche bactérienne devra être adressée pour confirmation au CNR-MyRMA.
– Tout cas diagnostiqué devra être signalé à l’EOH ou au CLIN de l’établissement et sera signalé dans e-sin à l’attention de l’ARS et du CCLIN. L’investigation autour du cas s’attachera à effectuer des prélèvements du matériel de CEC le plus rapidement possible.
2.3. Enquête Santé publique France
À la demande de la DGS, Santé publique France et le CNR-MyRMA réalisent une enquête sur les pratiques liées aux matériels de circulation extracorporelle en France ayant pour objectifs de poursuivre la recherche rétrospective de cas d’infection à M. chimaera après une chirurgie cardiaque sous CEC, de décrire les pratiques autour de la maintenance, l’entretien et l’utilisation des GT et de déterminer le niveau de contamination microbiologique d’un échantillon de GT (échantillon d’établissements tirés au sort). Cette enquête, réalisée dans les 63 établissements de santé qui pratiquent des actes de chirurgie cardiaque en France, vise à documenter les orientations à venir de la stratégie nationale pour l’utilisation, la maintenance/désinfection des générateurs thermiques pour les CEC.
3. Conclusion
Depuis 2011, plus de 50 cas d’infections invasives à Mycobacterium chimaera ont été rapportés en Europe chez des patients ayant subi une chirurgie cardiaque sous CEC et plus de 60 aux États Unis. Un lien de cause à effet est établi entre la survenue de ces infections et la contamination des générateurs thermiques utilisés pendant la CEC, par un phénomène d’aérosolisation.
M. chimaera étant une mycobactérie atypique à croissance lente, l’enquête microbiologique permettant d’identifier une contamination par M. chimaera nécessite une recherche spécifique et des techniques spécialisées. La négativité d’un prélèvement bactériologique « standard » ne signifie pas l’absence de contamination ou d’infection à mycobactérie atypique. La survenue d’une infection à M. chimaera pouvant survenir plusieurs années après la contamination, il convient d’évoquer cette infection chez un patient ayant subi une chirurgie cardiaque sous CEC plusieurs mois ou années auparavant, en recherchant spécifiquement ces mycobactéries atypiques. Tout cas diagnostiqué doit être signalé à l’ARS.
La DGS et la DGOS ont émis deux MARS sur le sujet et demandent de suivre les recommandations d’entretien et de désinfection du fabricant pour tous les GT et de sortir le GT de la salle d’intervention chirurgicale (si cela est réalisable) ou à défaut de l’éloigner le plus loin possible de la table d’opération, en orientant sa ventilation à l’opposé du patient et si possible en direction de l’évacuation d’air de la salle.
Une enquête préliminaire réalisée dans plusieurs centres de chirurgie cardiaque en France a mis en évidence de grandes hétérogénéités de pratiques quant à l’entretien des GT de CEC. Une enquête nationale, commandée par la DGS et la DGOS, portant sur les 63 centres de chirurgie cardiaque pour faire le point sur la situation en France débutera dans les prochaines semaines.
Le risque infectieux lié aux GT est documenté dans le monde entier et responsable de plusieurs décès. Bien que ce risque apparaisse très faible et très largement inférieur aux bénéfices de la chirurgie cardiaque sous CEC, il est très probablement sous-estimé et incite à la prudence. Des mesures d’information au grand public ont été entreprises à l’étranger. Il convient donc de ne pas minimiser ce risque, et de s’assurer dans son centre du respect des bonnes pratiques.
Recommandations de bonnes pratiques
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Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared.