Seydou Togo1, Moussa Abdoulaye Ouattara1, Ibrahima Sankaré1, Jacques Saye1, Chiek Ahmed Sekou Touré1, Issa Boubacar Maiga1, Xing Li2, Sekou Koumaré3, Sadio Yéna1
1. Service de chirurgie thoracique, hôpital du Mali, Bamako, Mali.
2. 23e Mission médicale chinoise au Mali.
3. Service de chirurgie A, hôpital du Point G, Bamako, Mali.
Correspondance : drseydoutg@hotmail.com
Résumé
Introduction : La cellulite cervicofasciale descendante médiastinale (CCDM) d’origine dentaire est une pathologie grave qui impose une prise en charge rapide et efficace. Le but de ce travail est de décrire les difficultés diagnostiques et thérapeutiques rencontrées lors de la prise en charge.
Méthodes : Il s’agissait d’une étude prospective réalisée dans le service de chirurgie thoracique de l’hôpital du Mali de janvier 2011 à février 2015. Nous avons colligé consécutivement 19 cas de CCDM d’origine dentaire. Les aspects anatomocliniques, les modalités thérapeutiques et les difficultés rencontrées ont été décrites.
Résultats : La douleur thoracique était retrouvée chez 10 patients (52,63 %) et la dyspnée chez 8 patients (42,10 %). La tomodensitométrie (TDM) thoracique a permis de poser le diagnostic dans tous les cas. La cervicotomie avec mise à plat des collections était le geste opératoire le plus réalisé. Le drainage pleural avec l’irrigation-lavage a été réalisé dans 6 cas. La mortalité était de 15,79 %.
Conclusion : Les CCDM sont des pathologies graves avec une morbimortalité élevée. Le retard diagnostique et les conditions socio-économiques précaires grèvent le pronostic dans notre contexte. Dans certains cas, seul le traitement conservateur en urgence par les mesures de réanimation, l’antibiothérapie adaptée et le drainage des collections peut être réalisé.
Abstract
Problems posed by descending cellulitis with mediastinal spread from a dental origin in a developing country
Introduction: Cervical facial necrotizing cellulitis with mediastinal spread from a dental origin is a serious disease which requires fast and effective management. The purpose of this work is to describe the diagnostic and therapeutic difficulties in the management of descending necrotizing mediastinitis of dental origin.
Methods: This was a prospective study in the thoracic surgery department of Mali Hospital from January 2011 to February 2015. We collected 19 consecutive cases of cervical facial necrotizing cellulitis with mediastinal spread from a dental origin. The anatomical and clinical aspects, the therapeutic modalities and difficulties are described.
Results: Chest pain was found in 10 patients (52.63%) and dyspnea in 8 patients (42.10%). Chest computed tomography (CT) provided the diagnosis in all cases. Cervicotomy with collection flattening was the most commonly performed surgical procedure. Pleural drainage with lavage-irrigation was performed in 6 cases. Mortality was 15.79%.
Conclusion: Cervical facial necrotizing cellulitis with mediastinal spread from a dental origin is a serious disease with high morbidity and mortality. Late diagnosis and precarious socioeconomic conditions worsen the prognosis in our context. In some cases, only the conservative treatment in emergency with intensive care, appropriate antibiotic therapy and drainage of collections can be performed.
1. INTRODUCTION
La cellulite cervicofasciale descendante médiastinale est une complication grave des cellulites d’origine cervicale pouvant engager le pronostic vital à la phase septicémique et qui impose une prise en charge rapide et efficace [1]. Les premiers signes sont parfois frustres et peuvent conduire à un retard diagnostique, surtout en Afrique où le contexte socio-économique est précaire [2]. L’examen clé est la tomodensitométrie [1,3]. Il s’agit d’une urgence médicochirurgicale. Sa prise en charge consiste à traiter l’infection médicalement et chirurgicalement en urgence [3]. Elle est fonction du délai de consultation conditionnant l’état général du patient. Le but de ce travail est de décrire les difficultés diagnostiques et thérapeutiques rencontrées lors de la prise en charge de cette pathologie dans un pays en voie de développement.
2. PATIENTS ET MÉTHODES
Il s’agissait d’une étude prospective réalisée dans le service de chirurgie thoracique de l’hôpital du Mali de janvier 2011 à février 2015 qui a permis de colliger consécutivement 19 patients (7 hommes et 12 femmes). Ces patients ont tous présenté une cellulite cervicofasciale descendante médiastinale grave [figure 1]. La moyenne d’âge était de 26 ans avec un écart type de 10,24 et des extrêmes de 20 ans et 62 ans. Le tableau 1 résume les données cliniques et les caractéristiques sociodémographiques des patients. Il a été réalisé chez les patients un bilan clinique, biologique infectieux (numération formule sanguine, bactériologie de prélèvements de pus, hémoculture) et radiologique (radiographie conventionnelle et TDM). Un traitement médical et/ou chirurgical était effectué en fonction des lésions anatomoradiologiques retrouvées. La prise en charge de ces patients était réalisée d’abord par les soins médicaux avec des mesures de réanimation associées à une triple antibiothérapie probabiliste par voie parentérale (bétalactamines, aminosides et métronidazole). Les antibiothérapies ont été introduites par voie veineuse, à visée bactéricide contre les anaérobies et aérobies, synergiques et sont administrées à fortes doses à intervalles rapprochés. Elles ont été adaptées à la fonction rénale du patient et, dans un second temps, réajustées après culture et antibiogramme. Cette antibiothérapie était associée à un traitement antalgique, antipyrétique et des soins locaux buccodentaires (bain de bouche). Le traitement des foyers buccodentaires était effectué en collaboration avec l’équipe d’odontostomatologie.

Caractéristiques | Nombre (%) |
Sexe
– Hommes – Femmes |
7 (36,84) 12 (63,16) |
Âge
– 20-30 – 31-40 – > 60 |
13 (68,43) 4 (21,05) 2 (10,52) |
Profession
– Cultivateur – Éleveur – Ménagère – Cordonnier – Enfant |
7 (36,85) 6 (31,58) 4 (21,05) 1 (5,26) 1 (5,26) |
Facteurs de risques
– Obésité – Immunodépression (VIH) – Diabète – Tabac – Grossesse |
3 (15,78) 2 (10,52) 2 (10,52) 8 (42,10) 1 (5,26) |
Traitement antérieur
1. Moderne/Automédication – Anti-inflammmatoire – Antibiotiques 2. Traditionnel 3. Associé |
17 (89,47) 17 (89,47) 8 (42,10) 13 (68,42) 13 (68,42) |
Résidence
– Milieu urbain – Milieu rural |
1 (5,26) 18 (94,74) |
Classification ASA
– ASA 2 – ASA 3 – ASA 4 |
1 (5,26) 12 (63,16) 6 (31,58) |
ASA : American Society of Anesthesia. |
Les gestes chirurgicaux ont consisté en un traitement combiné en fonction des besoins. La mise à plat des collections était associée à un drainage simple ou combiné à un système d’irrigation-lavage et une nécrosectomie. Les voies d’abord ont été une cervicotomie, une médiastinotomie, une thoracostomie (fenêtre thoracique) et une thoracotomie. Le système d’irrigation-lavage consistait en une irrigation continue par une solution diluée de polyvidone iodée (30 ml de polyvidone pour 500 ml de sérum salé à 0,9 %). L’irrigation-lavage n’était arrêté qu’après la disparition du dépôt dans le bocal d’aspiration.
Chez les patients ayant des pertes considérables tissulaires pariétales, la chirurgie plastique de cicatrisation dirigée était réalisée lorsque la plaie était jugée satisfaisante après un certain temps de traitement médical. Une greffe de peau ou une transposition du lambeau musculaire pectoral pédiculé était réalisée dans certains cas. Le résultat des examens paracliniques, les gestes opératoires réalisés et la morbimortalité ont été déterminés.
L’analyse de Kaplan-Meier a été utilisée pour calculer la survie à 1 mois, 3 mois et 1 an. Les données ont été exprimées en chiffre ou en pourcentage pour les différentes valeurs étudiées.
3. RÉSULTATS
Tous les malades ont été hospitalisés. L’infection primitive était d’origine dentaire chez l’ensemble de nos patients. La fièvre, l’altération de l’état général et la douleur dentaire étaient les symptômes principaux (présents chez 100 % des patients) suivis de l’œdème cervical (94,73 %) et la tuméfaction sous-mandibulaire (10,52 %). La douleur thoracique était retrouvée chez 10 patients (52,63 %) et la dyspnée chez 8 patients (42,10 %).
Chez 12 patients, une sonde nasogastrique a été mise en place pour assurer l’alimentation à l’aide de nutriments locaux. Onze patients (52,64 %) avaient un délai de prise en charge compris entre 15 et 21 jours suivi d’un délai de 8 à 14 jours pour 6 patients (31,58 %) ; de 22 à 30 jours pour 2 patients (10,52 %) et de 4 jours pour 1 patient (5,26 %). Le délai moyen de prise en charge était de 17,89 jours avec un écart type de 4,89. Selon la classification ASA (American Society of Anesthesia), 1 patient était classé ASA 2, 12 patients classés ASA 3 et 6 patients classés ASA 4. La radiographie thoracique a montré une pleurésie chez 6 patients et une collection médiastinale dans 3 cas. À la TDM, une collection médiastinale était retrouvée dans 4 cas et une pleurésie dans 7 cas. La modification de la densité de la graisse médiastinale sans collection liquidienne ou aréique était retrouvée chez 13 patients. La cervicotomie avec mise à plat des collections était le geste opératoire le plus réalisé (52,63 %), suivi du drainage pleural (36,84 %) et de la nécrosectomie cervicale (26,31 %). Le drainage pleural associé à l’irrigation-lavage était réalisé dans 6 cas.
Au total, 7 patients ont eu un séjour en réanimation dont 4 en postopératoire. Six patients ont bénéficié de transfusion sanguine dont 2 en préopératoire. Chez 13 patients, aucun germe n’avait été isolé et l’hémoculture réalisée chez 4 patients était positive seulement dans 1 cas [tableau 2]. Pour 4 patients, l’antibiothérapie initiale était réajustée en postopératoire après étude bactériologique des prélèvements. Le staphylocoque doré et le Pseudomonas aeroginosa étaient des germes multirésistants retrouvés dans les 3 cas de décès. Deux patients décédés avaient initialement été traités par un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS). Parmi les cas de décès il y avait 2 patients diabétiques et 1 patient porteur du VIH (virus immunodéficience humaine). Les gestes chirurgicaux initialement réalisés chez les 3 patients qui sont décédés ont été : une thoracotomie antérolatérale droite avec excision du tissu médiastinale nécrosé (durée opératoire supérieure à 4 heures) chez le 1er patient ; une fenêtre thoracique pour pyothorax sur paroi thoracique nécrosée (48 h après échec de la mise en place du système d’irrigation lavage) chez le 2e patient et une médiastinostomie droite associée à un effondrement des logettes de pus + un débridement du tissu nécrosé avec lavage-drainage chez le 3e patient [tableau 3].
Bactériologie | Nombre (%) |
Pus
– Morganella Sp – Staphyloccocus aureus – Streptoccocus pneumoniae – Germe non retrouvé |
15 (78,95)
1 3 1 10 |
Hémoculture
– Pseudomonas aeroginosa – Stérile |
4 (21,05)
1 3 |
Lésions à la TDM | Nbre (%)
n = 19 |
Gestes réalisés | Complic.
n = 8 |
Décès
n = 3 |
Infiltration œdémateuse des parties molles cervicales + collection mixte (aérique et liquidienne) du médiastin antérosupérieur | 2 (10,52) | Médiastinotomie antérieure (débridement du tissu nécrosé, mise à plat des logettes de pus + irrigation-lavage) | 1 | 1 |
Volumineuse collection du médiastin supérieur avec coulées étendues vers le médiastin postérieur + épanchement pleural | 1 (5,26) | Drainage médiatinal en position Trendelenburg + drainage pleural (irrigation-lavage) | – | – |
Collections cervicales + collections du médiastin moyen et postérieur | 1 (5,26) | Thoracotomie antérolatérale (excision du tissu nécrosé, mise à plat des collections, lavage-drainage) + cervicotomie (drainage) |
1 | 1 |
Collection cervicale + pneumo médiastin + emphysème pariétal + épanchement pleural | 2 (10,52) | Cervicotomie (mise à plat des collections et logettes de pus, drainage) + drainage pleural simple | – | – |
Infiltration de l’oropharynx et l’étage supérieur + modification de la densité de la graisse médiastinale + épanchement pleural | 1 (5,26) | Drainage pleural (initialement) puis fenestration thoracique (secondairement) | 1 | 1 |
Infiltration œdémateuse des parties molles cervicales + modification de la densité de la graisse médiastinale + épanchement pleural | 3 (15,78) | Nécrosectomie cervicale + drainage pleural (irrigation-lavage) |
1 | – |
Collections cervicales + modification de la densité de la graisse médiastinale + épanchement péricardique |
2 (10,52) | Cervicotomie (mise à plat des logettes de pus, drainage) + drainage péricardique |
– | – |
Collections cervicales + modification de la densité de la graisse médiastinale |
3 (15,78) | Cervicotomie (mise à plat des collections et logettes de pus, drainage) |
1 | – |
Abcès sous-mandibulaire + infiltration œdémateuse des parties molles cervicales + modification de la densité de la graisse médiastinale |
2 (10,52) | Incision sous-mandibulaire (mise à plat de collection, drainage) + nécrosectomie cervicale | 1 | – |
Collections cervicales + modification de la densité de la graisse médiastinale + lésions pleuroparenchymateuses | 2 (10,52) | Cervicotomie (mise à plat des collections) + vidéothoracoscopie (lavage-drainage) |
2 | – |
Complic : complications ; TDM : tomodensitométrie. |
Au total, 8 patients (42,10 %) avaient présenté des complications pendant la prise en charge. La fièvre persistante après le 3e jour et la détresse respiratoire étaient les complications dominantes. Tous les patients décédés avaient présenté une fièvre persistante (température > 40 °C) dans un tableau de détresse respiratoire [tableau 4].
Patient n° | Complications postopératoires | Décès |
1 | Détresse respiratoire + Insuffisance rénale + Fièvre persistante |
oui |
2 | Atélectasie pulmonaire gauche | – |
3 | Hémorragies | – |
4 | Fièvre persistante après le 3e jour + Détresse respiratoire |
oui |
5 | Bas débit cardiaque + Fièvre persistante | – |
6 | Ventilation mécanique prolongée (26 jours) + Fièvre persistante |
oui |
7 | Mauvais contrôle de la glycémie | – |
8 | Pneumonie + Ostéite costale | – |
Chez les patients ayant des pertes de substances pariétales, une greffe de peau avait été réalisée au bout de 5 semaines de traitement chez 9 patients et 3 patients avaient bénéficié d’une transposition du muscle grand pectoral au niveau cervical au bout de 3 mois de traitement. Le taux de mortalité était de 15,79 %. La survie à 1 mois et à 3 mois a été de 84,21 % et 78,94 % à 12 mois. Les patients décédés lors du suivi avaient des tares telles que le diabète et le VIH pour lesquels ils n’avaient pas de prise en charge appropriée.
4. DISCUSSION
Le diagnostic clinique de la CCDM est aisé quand le tableau clinique est complet [2,3]. L’examen clinique peut retrouver un érythème ou un œdème local souvent discret, accompagné de douleurs dentaires persistantes. S’ensuit la sensation de masse liée au développement d’un abcès oropharyngé qui engendrera un syndrome de compression à type de dyspnée, de dysphagie souvent dans un tableau d’altération de l’état général. Une dysphagie et une dyspnée laryngée témoignent d’un retentissement sur les voies aérodigestives. En l’absence d’un traitement médical ou chirurgical précoce et bien conduit, l’infection peut se propager vers le médiastin par diffusion suivant le trajet des gaines du cou dans plus de 20 % des cas [4,5]. L’état général peut être longtemps conservé et s’altérer brutalement [1,4].
Le délai est un élément pronostique important dans la prise en charge des médiastinites. Dans notre étude, nous avons enregistré un délai moyen très long de 18 jours. Ce délai est similaire au délai observé par Doumbia et al [6]. Il s’explique par l’itinéraire complexe des patients dont le parcours passe par les guérisseurs traditionnels, l’automédication, les centres périphériques pour enfin arriver au service de chirurgie. Cependant, dans les pays développés, le délai moyen est plus court comme le montre l’étude de Biland et al. qui retrouve un délai moyen global de 4,5 ± 3,2 jours [7]. L’allongement du délai de prise en charge a pour conséquence une admission dans les structures spécialisées de patients moribonds. La presque totalité de nos patients était classée ASA 3 ou 4. L’état général des patients à l’admission est mauvais comparé aux patients des pays développés. La malnutrition de la population dans les pays à ressources limitées, surtout celle vivant en milieu rural dans des conditions de vie précaires, constitue un facteur d’aggravation de la cellulite. Les patients sont généralement malnutris avec une faible immunité et sont susceptibles de s’affaiblir assez rapidement devant une infection grave.
Les cellulites nécrosantes descendantes médiastinales ont une incidence de 1 à 2,5 % avec une mortalité hospitalière de 10 à 20 % [3], ce qui concorde avec les résultats de notre étude qui a retrouvé une mortalité de 15,78 %. Cela montre que malgré le retard de prise en charge dans les pays à ressources limitées, la mortalité peut être comparable à celle retrouvée dans les pays développés. L’origine dentaire de la cellulite est identifiée par la plupart des études comme un facteur favorisant l’extension vers le médiastin, notamment lorsque les 2e ou 3e molaires sont infectées.
L’essentiel du bilan de localisation et d’extension est fait par la TDM cervicothoracique injectée qui recherchera le point de départ de l’infection dentaire et les signes témoignant de l’atteinte des parties molles : infiltration des tissus, collections, présence de gaz [1,3]. Dans notre étude, la CCDM a été confirmée dans tous les cas par la réalisation d’une tomodensitométrie souvent secondaire à une radiographie standard ou une échographie et a permis aussi de réaliser le bilan d’extension. Les facteurs de risque classiques d’immunosuppression comme le diabète, les néoplasies, la prise d’anti-inflammatoire non stéroïdiens ou de corticoïdes sont fréquemment incriminés [1]. Le diabète, l’obésité, l’utilisation AINS et la sérologie VIH ont été les facteurs de risque retrouvés chez nos patients.
Les patients ont un pouvoir économique faible et les soins sont à leur propre charge. La presque totalité de ces patients ne dispose d’aucune assurance sanitaire. Dès les premiers symptômes, la maladie est négligée, la majorité des patients a recours à l’automédication puisque les médicaments contrefaits sont moins chers, disponibles et facilement accessibles. Sur le marché africain, ces médicaments sont vendus par des femmes et des enfants pour la plupart illettrés, n’ayant aucune qualification en médecine ou en pharmacologie. Dans les pays en voie de développement, en plus des causes de retard que nous rencontrons par rapport aux pays développés qui sont généralement la symptomatologie fruste, la méconnaissance de la médiastinite descendante par le corps médical, l’attitude attentiste sous médication, s’ajoutent l’automédication et la tradithérapie qui sont les principales causes du retard diagnostique.
L’automédication et la tradithérapie restent de règle et de routine dans notre environnement très paupérisé et sont en cause non seulement dans le retard de la prise en charge médicale chez l’ensemble des patients, mais aussi dans l’aggravation de la maladie. La tradithérapie est culturelle dans notre contexte. Elle est pratiquée lorsqu’il n’y a pas d’amélioration après une automédication. Elle est en général un traitement d’espérance et psychologique des patients et consiste à la réalisation de sacrifices, de cérémonie rituelle ; à la préparation de décoctions de plantes et d’excréments d’animaux pour laver les patients, etc. La tradithérapie est réalisée à des prix dérisoires, souvent même par de simples offrandes. Bien que peu efficace, ce traitement reste le dernier recours pour la plupart des patients sans revenus. Les patients qui arrivent dans les structures hospitalières sont ceux qui ont eu un échec aux traitements traditionnels. À l’admission les patients n’étaient pas à mesure de supporter une chirurgie lourde parce qu’ils n’étaient pas éligibles pour un traitement agressif. Les gestes de sternotomie ou de thoracotomie bivalves type Clamshell n’étaient pas applicables, bien que reconnus pour être le traitement standard et de références des médiastinites en cas de progression sous-carinaire [8]. Sachant bien qu’il y a peu de place dans le traitement conservateur de la médiastinite, nous étions donc contraints de réaliser des gestes simples de drainage, de nécrosectomie et d’incision pour vider les collections de pus. Dans l’atteinte médiastinale, l’intervention chirurgicale doit être la plus complète possible et la voie d’abord large et extensible ; il s’agit de drainer mais aussi d’exciser la nécrose et de mettre à plat toutes les zones cellulitiques [9]. Une thoracotomie, une sternotomie ou une incision Clamshell peuvent être réalisées. Cette procédure a révélé une bonne vue chirurgicale de la structure du médiastin supérieur [10]. Les méthodes chirurgicales plus radicales à thorax ouvert sont de morbidité élevée, mais sont efficaces contre l’infection [9,11]. Dans cette étude, les quelques rares patients chez qui nous avons réalisé une thoracotomie sont décédés. La morbimortalité liée à la thoracotomie constatée dans notre étude n’est pas liée à la voie d’abord, mais pourrait être le fruit d’une infection plus avancée avec la dissémination de germes souvent polymicrobiennes.
Selon certains auteurs, l’erreur à éviter est un traitement trop conservateur ne permettant pas d’éliminer tous les tissus nécrosés et infectés [11-13]. Les méthodes chirurgicales à thorax fermé (drainage simple, irrigation-lavage, vidéothoracoscopie) ont été utilisées dans notre expérience en association avec l’antibiothérapie chez les patients compte tenu de leur mauvais état général à l’admission. Dans les cas de médiastinites sous-carinaires avec modification de la densité de la graisse médiastinale à la TDM et sans collections médiastinales objectivées, nous avons privilégié le traitement médical par antibiothérapie à large spectre. Souvent, il a été seulement associé à des gestes simples de nécrosectomie pariétale ou de drainage et les résultats ont été encourageants. Cela pourrait s’expliquer par le fait que les patients venus de milieu rural semblaient avoir une bonne réponse aux antibiotiques que nous avons utilisés. Nos patients pour la plupart n’ont jamais bénéficié de l’administration d’antibiotiques.
Pour une efficacité du drainage, la méthode de choix reste l’irrigation-drainage [11,14]. La technique d’irrigation-lavage nécessite une surveillance radiologique rapprochée. Cette technique a été réalisée dans notre étude et a permis d’obtenir de bons résultats. Le problème est celui du choix de la solution d’irrigation [11,15]. L’emploi d’antiseptiques tels que la polyvidone iodé ou l’acide acétique semblent donner de meilleurs résultats [15]. Dans notre étude, la polyvidone iodé (Bétadine) a été l’antiseptique utilisé. L’emploi d’antibiotique pour le lavage tend à être abandonné à cause des résistances qu’il peut engendrer.
Les prélèvements de pus et l’hémoculture ont très rarement isolé des germes dans notre contexte. Cela pourrait être lié aux conditions de prélèvement, d’acheminement, de traitement des échantillons. La pauvreté en ressource humaine qualifiée est aussi en cause, car souvent les prélèvements sont conservés dans de mauvaises conditions et traités dans un délai trop long. De façon générale, 60 à 90 % des cellulites cervicales sont polmicrobiennes à flore mixte aéroanaérobie [14]. Les protocoles thérapeutiques en matière de prescription de l’antibiothérapie sont variables dans la littérature. Pour la plupart, l’association de référence est une trithérapie : bétalactamines, aminosides et métronidazole [15]. Ce protocole thérapeutique a été observé chez tous nos patients en traitement de première intention. La durée de l’antibiothérapie varie selon les habitudes des équipes, la gravité de l’infection initiale et surtout l’évolution du patient. Elle a été maintenue à un minimum de 15 jours jusqu’à plusieurs semaines après disparition des signes d’infection locaux et généraux chez nos patients. Certains la préconisent jusqu’à la fermeture complète des lésions cutanées, mais la littérature ne donne pas de réponse concrète [4,9,12,16].
Une alternative intéressante aux pansements classiques dont nos patients n’ont pas pu bénéficier dans la cicatrisation dirigée des lésions pariétales cervicales serait les pansements occlusifs à pression négative type VAC (Vacuum-assisted closure). Ceux-ci permettent une meilleure cicatrisation des plaies pariétales dans un délai plus court [17].
Les récidives et les chocs septiques fatals ont été observés chez nos patients qui avaient une durée d’intervention assez longue (> 4 h) et les reprises chirurgicales précoces (< 72 h). La cause serait la dissémination de la flore endogène chez des patients avec un mauvais état général et surtout lorsque l’antibiothérapie n’est pas adaptée. La prise en charge classique d’un patient avec médiastinite descendante est pluridisciplinaire avec une réévaluation toutes les 48 heures clinique, biologique et radiologique par TDM jusqu’à une amélioration stable des patients [8]. Une étroite collaboration entre chirurgiens, odontostomatologues, anesthésistes et réanimateurs a été observée et nos patients ont tous été réévalués mais avec beaucoup de difficultés. Ils ont été gardés à l’hôpital dans un premier temps jusqu’à la stabilisation de l’infection et dans un second temps, ils ont été suivis par des contrôles hebdomadaires ou mensuels en fonction de leur état. La TDM était réalisée une première fois à l’admission puis une semaine plus tard chez tous les patients. Les trois quarts des patients n’étaient pas en mesure de payer les frais d’un examen TDM et sollicitaient le service social ou des personnes de bonne volonté. Les patients avaient des difficultés pour se présenter aux rendez-vous. Dans le suivi à long terme, la radiographie thoracique était réalisée dans certains cas par faute de moyen financier et la TDM selon l’appréciation du médecin. Les examens biologiques étaient réalisés toutes les 48 heures jusqu’à l’amélioration stable des patients. Cela a pu être possible grâce au concours du service social ou certains organismes de bienfaisance que nous avons sollicités. Dans les pays pauvres où les conditions chirurgicales restent précaires avec un plateau technique limité des laboratoires d’analyse, où le retard diagnostique est observé chez des patients en mauvais état général avec un pouvoir économique faible, le traitement radical de la médiastinite par chirurgie agressive est peu applicable.
5. CONCLUSION
La CCDM d’origine dentaire est une pathologie fréquente, grave avec une morbimortalité élevée. Le retard diagnostique et le contexte socio-économique précaire dans les pays pauvres grèvent le pronostic. Cependant dans certains cas seulement le traitement conservateur par antibiothérapie adaptée associé souvent au drainage de collections peut être réalisé. L’hygiène buccodentaire reste de nos jours un problème majeur de santé publique et mérite d’attirer l’attention.
REMERCIEMENTS
Remerciements à toute l’équipe la Mission médicale chinoise au Mali pour les dons de médicaments et de consommables utilisés dans la prise en charge de ces patients pour la plupart démunis et malnutris.
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Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared.