Chirurgie humanitaire · Vol. 20 Juin 2016

Les valvulopathies rhumatismales opérées chez l’enfant et l’adolescent, 18 ans d’expérience de Mécénat Chirurgie Cardiaque

juin 3, 2016
Auteur correspondant : Olivier Michel Bical

Olivier Michel Bical, Christian Latrémouille, Jean-Louis de Brux, Adrien Hazard, Vincent Lucet, Francine Leca

Association Mécénat Chirurgie Cardiaque, 33 rue Saint-Augustin, 75002 Paris.
Correspondance : ombical@hotmail.fr

 


Résumé

Objectif : Les valvulopathies rhumatismales opérées ont un pronostic peu connu chez l’enfant. Depuis 18 ans, l’association Mécénat Chirurgie Cardiaque (MCC) fait opérer dans plusieurs centres en France de jeunes malades étrangers atteints de cette pathologie. Le but de cette étude est de rapporter les résultats de cette activité associative.

Méthodes : Les données ont été recueillies prospectivement par la cellule « suivi » de MCC. Les résultats des différents types de valve implantés ont été comparés.

Résultats : De 1997 à 2014, 359 enfants (224 filles et 135 garçons) d’âge moyen 13,6 ± 4,5 ans ont été opérés grâce à MCC. La mortalité opératoire a été de 2,8 % (10 malades). Les gestes opératoires pour les 349 patients restants ont été 134 RVM, 44 RVA et 171 plasties mitrales. Le suivi est de 82 % avec un recul moyen de 4,5 ± 3,9 ans. La mortalité tardive a été de 16,1 % (58 malades), respectivement de 3,9 % pour les bioprothèses, 5,6 % pour les valves mécaniques et 6,6 % pour les plasties mitrales. Globalement, 46 % des malades ont une vie normale après l’opération. Les malades avec une valve mécanique ou une réparation mitrale ont à moyen terme une survie plus importante que ceux avec une bioprothèse (respectivement p = 0,005 et p = 0,002). La survie cumulée à 10 ans est identique pour les RVM et les plasties mitrales.

Conclusion : Les résultats de la chirurgie valvulaire chez les enfants ayant une valvulopathie rhumatismale sont bons, sauf pour les malades avec une bioprothèse. Les remplacements valvulaires mécaniques et les réparations mitrales ont une survie identique à moyen terme, ce qui conduit à réserver les réparations aux seules anatomies favorables.

 

Abstract

Surgery for rheumatic valvular disease in young patients: 18 years of experience at Mécénat Chirurgie Cardiaque

Aim: Surgery for rheumatic valvular disease has an unknown prognosis in young patients. For 18 years, the association Mécénat Chirurgie Cardiaque (MCC) has organized the surgical correction of this pathology for young patients at several centers in France. The aim of this study was to analyze the results of this activity.

Methods: Data were retrospectively collected by the follow-up unit of MCC. The results for different types of heart valve were compared.

Results: From 1997 to 2014, 359 young patients (224 girls and 135 boys) of a mean age of 13.6±4.5 years underwent valvular surgery in France thanks to MCC. The surgical mortality was 2.8% (10 patients). For the other patients, the intervention consisted of 134 MVR, 44 AVR and 171 mitral plasties. The follow-up was 82% for 4.5±3.9 years. Delayed mortality was 16% (58 patients), i.e. 3.9% with a bioprosthesis, 5.6% with a mechanical valve and 6.6% for mitral plasties. Globally, 46% of the patients regained a normal life after the surgery. Patients with a mechanical valve or a mitral plasty had better survival at mid-term than those with a bioprosthesis (p=0.005 and p=0.002, respectively). The cumulative survival at 10 years was the same for patients with MVR and mitral plasties.

Conclusion: The results of valvular surgery for young patients with rheumatic disease are good except for patients with s bioprosthesis. Mechanical valvular replacement and mitral plasty have the same survival at midterm, although we prefer to perform mitral repair only to favorable anatomies.


 

1. INTRODUCTION

Les valvulopathies rhumatismales opérées ont un pronostic peu connu chez l’enfant et l’adolescent. Depuis 18 ans, l’association Mécénat Chirurgie Cardiaque (MCC) fait opérer dans différents centres en France de jeunes malades étrangers atteints de cette pathologie. Cette activité ne représente qu’environ 1/8 de l’activité globale de MCC, axée principalement sur les cardiopathies congénitales. Le but de cette étude est d’analyser les résultats globaux de cette chirurgie valvulaire et de justifier l’engagement de MCC dans la prise en charge chirurgicale des enfants et adolescents ayant une  pathologie valvulaire rhumatismale.

 

2. MÉTHODES

Grâce à MCC, 359 enfants ont été opérés en France dans différents centres chirurgicaux de 1997 à 2014. Ces centres étaient à Paris, la fondation hôpital Saint-Joseph, l’hôpital européen Georges-Pompidou et à Angers, le centre hospitalier universitaire. Le groupe était composé de 224 filles et 135 garçons  (sexe ratio 0,6 H/F) d’âge moyen 13,6 ± 4,5 ans. Les pays d’origine des malades étaient principalement le Mali (97), le Sénégal (62), la République démocratique du Congo (24), le Cameroun (15) et la Guinée (11).

La pathologie rhumatismale était principalement mitrale chez 296 enfants et principalement aortique chez 53 enfants (hors décès précoces). Les remplacements valvulaires ont été mitraux dans 134 cas (113 valves mécaniques, 21 bioprothèses) et aortiques dans 44 cas (29 valves mécaniques et 15 bioprothèses). Parmi ces malades, 30 ont eu un remplacement aortique et mitral combiné. Enfin, 171 malades ont bénéficié d’une plastie mitrale selon les techniques de Carpentier.

La mortalité précoce est définie par le décès du patient dans les 30 jours suivant l’intervention chirurgicale. La mortalité tardive est prise en compte dans les données lorsque le décès dépasse ce délai.

L’analyse statistique pour les variables qualitatives a été réalisée par un test du Chi2 d’homogénéité grâce au logiciel R. Lorsque le nombre de variables qualitatives était insuffisant, l’étude a été faite grâce au test exact de Fisher. La comparaison entre les groupes de survie a été réalisée par la méthode de Kaplan-Meier avec le test du log rank (logiciel XL-Stat). Un seuil de significativité de 5 % a été retenu pour l’ensemble de ces données.

 

3. RÉSULTATS [figure 1]

La mortalité précoce a été de 2,8 % (10 malades). Un malade est décédé des suites immédiates d’une chirurgie redux d’intervention de Ross. Les 9 autres sont décédés de défaillance polyviscérale. Il s’agissait de 7 RVM et de 2 plasties mitrales.

Grâce à l’efficacité de la cellule « suivi » de MCC (Marion Saint-Picq), seuls 43 malades sur les 359 ont été perdus de vue. Le follow-up concerne donc 296 malades, soit 82 % de la série et le recul moyen est de 4,5 ± 3,9 ans. La mortalité tardive a été de 16 %, soit 58 malades. L’âge moyen des malades décédés était de 16,4 ± 3,9 ans, soit en moyenne 2,8 ans après l’intervention. Les causes des décès tardifs ont été d’origine cardiaque pour 22 malades (38 %), d’origine extracardiaque pour 16 malades (27 %) et d’origine inconnue pour 20 malades (36 %).

 

Figure 1 : Mortalité précoce et tardive.

 

Les résultats globaux montrent que 46 % des malades ont une vie normale après l’opération. 38 % ont une vie quasi normale avec toutefois une petite fatigabilité à l’effort ou une difficulté d’équilibrer l’INR. Enfin, 16 % des malades ont un résultat moyen et 6 % un mauvais résultat.

Parmi les 34 malades ayant des bioprothèses, 14 sont décédés [tableau 1]. Les 8 causes cardiaques (23 %) sont des dysfonctions de valve, des thromboses et des endocardites. Seuls 20 malades (59 %) ont une vie normale avec une bioprothèse.

 

Bioprothèses Valves
mécaniques
Réparations mitrales
Tableau 1: Origine des décès tardifs selon le geste chirurgical en regard de la valve mitrale
Causes cardiaques 8 (23 %) 7 (6 %) 3 (2 %)
Causes extracardiaques 2 (5,9 %) 7 (6 %) 21 (13,7 %)
Causes inconnues 4 (11,7 %) 6 (5 %) 0

 

Parmi les 119 malades ayant une valve mécanique, 20 sont décédés [tableau 1]. Les 7 causes cardiaques (6 %) sont des endocardites ou des complications des anticoagulants. Au total, 99 malades ayant une valve mécanique (soit 84 %) ont une vie normale sous traitement anticoagulant par AVK.

Parmi les 146 malades ayant eu une plastie mitrale, 24 sont décédés [tableau 1], essentiellement de causes extracardiaques (20 malades). Au total, 122 malades de ce groupe vont bien (soit 84 %) avec toutefois 16 malades ayant eu une reprise chirurgicale pour remplacement valvulaire mécanique.

Globalement, les malades ayant une valve mécanique ou une réparation mitrale ont avec un recul de 4,7 ans de meilleurs résultats que ceux ayant une bioprothèse (respectivement p = 0,005 et p = 0,002 – tableau  2). Les courbes de survie cumulée montrent à 10 ans une survie identique des malades mitraux ayant un remplacement mécanique ou une plastie [figure 2].

 

Les malades avec une valve mécanique ou une réparation mitrale ont à moyen terme une survie plus importante que ceux avec une bioprothèse (respectivement p = 0,005 et p = 0,002).
Tableau 2: Comparaison du décès selon le geste chirurgical en regard de la valve mitrale
Bioprothèses Plasties mitrales Valves
mécaniques
Décès tardifs 14 24 20
Vivants 20 122 99

 

Figure 2 : Courbe de survie cumulée des malades après chirurgie mitrale.
Figure 2 : Courbe de survie cumulée des malades après chirurgie mitrale

 

L’analyse des résultats chez les jeunes filles ne montre pas de résultats différents de ceux des garçons [tableau 3]. Les mortalités précoces et tardives sont identiques. Chez les adolescentes, le traitement anticoagulant est à l’origine de seulement 2 décès lors de grossesse sur les 38 décès tardifs.

 

Tableau 3: Comparaison du nombre de décès selon le sexe du patient
Filles Garçons
Décès opératoires ou précoces
(moins de 30 jours)
8 (3,6 %) 2 (1,5 %)
Décès tardifs 38 (17 %) 20 (15 %)

 

4. DISCUSSION

Le rhumatisme articulaire aigu est éradiqué dans tous les pays dits développés, mais il sévit encore en Afrique d’où sont originaires nos malades. Sa presque disparition dans le monde explique que les séries publiées de chirurgie valvulaire soient peu nombreuses et limitées [1,2]. Notre association MCC rassemble des malades de toute l’Afrique sub-saharienne, ce qui explique le nombre important de malades de notre étude. Nous rapportons ainsi la plus grande série de valvulopathies rhumatismales opérées, et l’importance du suivi de nos malades (82 %) justifie la publication de nos résultats.

La mortalité opératoire (2,8 %) est assez faible, identique à celle de la chirurgie valvulaire adulte. En revanche, la mortalité tardive est élévée (16,1 %) avec toutefois un nombre élevé de causes extracardiaques (29, soit 50 % des décés) liées aux conditions de vie des malades.

L’analyse des résultats confirme que les malades ayant des bioprothéses ont des résultats à distance nettement moins bons que les malades avec une valve mécanique ou une plastie mitrale. Pour la chirurgie aortique, cette supériorité des valves mécaniques sur les valves biologiques n’apparaît pas sur les courbes de survie, probablement en raison du recul insuffisant. En revanche, pour la chirurgie mitrale, cette supériorité des valves mécaniques et des réparations sur les valves biologiques est nette dès le début du suivi et s’amplifie d’année en année [figure 2]. Par ailleurs, nous ne trouvons pas de différence de survie entre les porteurs de valve mitrale mécanique et ceux ayant eu une réparation mitrale, probablement en raison d’un recul insuffisant. Il apparaît toutefois que le remplacement mitral chez l’enfant et l’adolescent donne de très bons résultats à distance malgré la nécessité du traitement anticoagulant. Cette constatation nous fait déconseiller les mauvaises plasties mitrales qui inéluctablement vont obliger à une réintervention proche. Les réparations ne se justifient que sur les insuffisances mitrales de type 1 ou 2 de Carpentier, ce qui est rare dans la pathologie rhumatismale [3]. Les insuffisances mitrales rhumatismales habituellement de type 3 de Carpentier (avec rétraction valvulaire) sont difficiles à réparer et, compte tenu de nos bons résultats des remplacements par valve mécanique, cette stratégie radicale nous paraît préfèrable [4].

Les résultats globaux de la chirurgie valvulaire ne sont pas influencés par le sexe des malades. Le traitement anticoagulant complique évidemment le suivi d’une grossesse chez une adolescente, mais dans notre série, les accidents sont exceptionnels. Compte tenu des difficultés médicales du suivi en Afrique, nous recommandons la continuité du traitement par AVK tout au long de la grossesse plutôt que les protocoles de relais par l’héparine [5]. En revanche, 2 semaines avant la date présumée de l’accouchement, le relais des AVK  par l’héparine nous semble indispensable, et cela en milieu hospitalier.

 

5. CONCLUSION

Les résultats de la chirurgie valvulaire pour les cardiopathies rhumatismales de l’enfant et l’adolescent sont bons et justifient la poursuite de la prise en charge au sein de notre association. La valve mécanique donne de meilleurs résultats que la valve biologique pour cette population, et cela malgré le traitement anti­coagulant. En position mitrale, les résutats à moyen terme du remplacement valvulaire et de la réparation conservatrice sont proches, ce qui nous conduit à ne réserver la réparation qu’aux rares anatomies favorables sans trop de lésions rhumatismales rétractiles.

 

REMERCIEMENTS

Nous remercions toute l’équipe du Mécénat Chirurgie Cardiaque, et particulièrement Marion Saint-Picq qui a permis, par la qualité de son travail de suivi des enfants, la justification scientifique de cette étude.

 

RÉFÉRENCES

  1. Kangah MK, Souaga KA, Amani KA et al. Insuffisance mitrale rhumatismale de l’enfant: aspects anatomiques et chirurgicaux, à propos de 84 cas. J Thoracique et Cardio-vasculaire 2009;13:11-4.
  2. Abid F, Ouarda F, Chaker L et al. Le remplacement valvulaire chez l’enfant. Indications actuelles et résultats, à propos de 63 cas. Archives de Pédiatrie 1998;8:946.
  3. Carpentier A. Chirurgie reconstructrice de la valve mitrale. In: Acar J. Cardiopathies valvulaires acquises. Paris: Flammarion medicine Sciences, 1985:554-60.
  4. Duran CM, Gometza B, Balasundaram C et al. A feasibility study of valve repair in rheumatic mitral regurgitation. Eur Heart J. 1991;12: 34-8.
  5. Berard J, Dufour Ph, Subtil D et al. Grossesse chez les femmes porteuses d’une valve cardiaque mécanique. J Gynecol Obstet Biol Reprod 1997;26:455-64.

Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared.
Cet article a été présenté au 68e congrès de SFCTCV (Marseille, juin 2015).