Chirurgie cardiaque congénitale et pédiatrique · Vol. 20 Juin 2016

Dérivation cavopulmonaire totale (extracardiaque) avec conservation d’un flux antérograde

juin 3, 2016
Auteur correspondant : Mohammed Al-Yamani

Mohammed Al Yamani1*, Alexandre Metras1, Virginie Fouilloux2, Stéphane Lebel3, Alain Fraisse4, Bernard Kreitmann1

1. Service de chirurgie cardiovasculaire, hôpital cardiologique de Haut-­Lévêque, Bordeaux-Pessac.
2. Service de chirurgie thoracique et cardiovasculaire, hôpital de la Timone Enfants, Marseille.
3. Département d’anesthésie-réanimation pédiatrique, hôpital de la Timone Enfants, Marseille.
4. Service de cardiologie pédiatrique, hôpital de la Timone Enfants, Marseille.
Correspondance : mohammed.al-yamani@chu-bordeaux.fr

 


Résumé

Objectif : L’objectif principal de cette étude est de présenter des situations particulières et de décrire l’évolution des patients ayant une circulation de Fontan avec un flux antérograde restrictif persistant.

Méthodes : Étude monocentrique rétrospective sur la totalité des patients ayant eu une dérivation cavopulmonaire totale extracardiaque en deux étapes. Les raisons ayant amené la conservation du flux antérograde, les gestes associés, les résultats opératoires et le suivi à moyen terme ont été étudiés.

Résultats : Entre janvier 1999 et décembre 2014, 119 malades ont bénéficié d’une totalisation extracardiaque. Parmi eux, 8 malades ont conservé un flux pulmonaire antérograde restrictif. L’âge à la totalisation cavopulmonaire était de 9,7 (3,5-27) ans. L’analyse des paramètres de morbidité n’a montré aucun effet négatif de la conservation du flux antérograde pulmonaire restrictif sur une période de suivi de 5 ans en moyenne. La mortalité est nulle.

Conclusion : Dans certains cas, et à condition d’une évaluation préopératoire rigoureuse et d’éventuels gestes associés complémentaires appropriés, il est possible et peut-être préférable de respecter la perméabilité de la voie antérograde lors de la totalisation cavopulmonaire.

 

Abstract

Extracardiac Fontan with conservation of restrictive antegrade pulmonary flow

Aim: The main goal of this study is to present particular situations and to describe the evolution of patients having Fontan circulation with a persistent restrictive pulmonary antegrade flow.

Methods: Retrospective monocentric study of all patients having a total extracardiac cavopulmonary connection in two stages. The reasons for the conservation of pulmonary antegrade flow, the associated surgical procedures, the operative results and the mid-term follow up were studied.

Results: From January 1999 to December 2014, 119 patients underwent extracardiac cavopulmonary connection; among them, 8 patients retained a restrictive antegrade pulmonary flow. The age at cavopulmonary totalization was 4-17 years. The analysis of morbidity parameters showed no negative effects of the conservation of restrictive pulmonary antegrade flow in a mean follow-up period of five years. Mortality was nil.

Conclusion: In some cases, and under conditions of a rigorous preoperative evaluation and the associated appropriate surgical procedures, it is possible and may be preferable to respect pulmonary antegrade flow when accomplishing a total cavopulmonary connection.


 

1. INTRODUCTION

Depuis sa première description en 1971 [1], l’intervention originale de Fontan, dérivation cavopulmonaire totale (DCPT), a subi plusieurs modifications. Actuellement, la DCPT extracardiaque est l’intervention de référence et représente l’étape chirurgicale finale de la palliation des cardiopathies univentriculaires. Cette intervention et ses variations ont pour but ultime de donner, si possible, à des patients ayant un ventricule unique une vie de qualité et de longévité « normales ».

Plusieurs complications ont été décrites après une totalisation cavopulmonaire, y compris l’insuffisance cardiaque, l’arythmie, l’entéropathie exsudative et la maladie thromboembolique [2]. Parmi elles, la formation de thrombus intracardiaque est l’une des plus graves et peut être fatale [3]. Si certaines malformations univentriculaires s’accompagnent d’une atrésie pulmonaire, d’autres comportent une connexion plus ou moins sténosée entre le massif ventriculaire et les branches artérielles pulmonaires. En principe, cette connexion est supprimée chirurgicalement au moment d’une des étapes de la dérivation cavo­pulmonaire.

La persistance d’un flux antérograde entre le ventricule unique et les artères pulmonaires peut être à l’origine d’une dysfonction du Fontan par hyperdébit et augmentation des pressions dans le système cave [4]. Cependant, la suppression de ce flux peut générer des problèmes graves de thromboembolies systémiques [5]. Par ailleurs, dans certains cas, un flux antérograde résiduel après une DCPT est bien toléré. Ces situations rares ne sont pas bien étudiées dans la littérature.

L’objectif principal de l’étude est d’analyser les effets de la persistance d’une voie antérograde restrictive dans une circulation de Fontan chez des patients ayant bénéficié d’une prise en charge séquentielle en deux étapes d’une cardiopathie univentriculaire.

 

2. PATIENTS ET MÉTHODES

Il s’agit d’une étude rétrospective monocentrique (service de chirurgie thoracique et cardiovasculaire de l’hôpital de la Timone Enfants à Marseille) sur 15 ans (1999-2014). Tous les malades ont bénéficié d’une DCPT extracardiaque en deux étapes, avec ou sans fenestration. Les données démographiques, cliniques, échographiques, angiographiques et opératoires ont été récupérées des dossiers médicaux sauvegardés dans les archives du service avec anonymisation. Le suivi des patients était assuré par leur cardiologue référent, lors de consultations régulières incluant examen clinique, électrocardiogramme et échocardiographie. Les données ont été recueillies à 1 an, 5 ans et lors de la dernière consultation.

Sur le plan statistique, les variables qualitatives étaient exprimées en termes d’effectif et de pourcentage, les variables quantitatives en termes de moyenne, médiane et d’intervalle. Le seuil de significativité était fixé à 5 %. Tous les calculs ont été effectués avec le logiciel IBM SPSS Statistics. Afin de répondre à l’objectif de l’étude, tous les dossiers ont été analysés complétement, puis les différences entre les patients ayant conservé un flux antégrade et les autres ont été recherchées et étudiées.

 

3. RÉSULTATS

 

3.1. Description démographique

Les formes anatomiques les plus fréquentes étaient l’atrésie tricuspide avec 34 patients (28 %), l’hypoplasie du cœur gauche avec 26 patients (22 %) et les ventricules uniques à double entrée avec 19 patients (16 %). D’autres cardiopathies complexes ont étaient traitées comme l’atrésie pulmonaire sans communication interventriculaire, le ventricule droit à double issue (VDDI), le canal atrioventriculaire déséquilibré [tableau 1].

Une première intervention était nécessaire dans la majorité de cas. Presque la moitié des patients (47 %) ont bénéficié d’un shunt systémicopulmonaire type Blalock-Taussig modifié (BTM). Une intervention type Norwood a été pratiquée chez 18 malades (15 %) ; 26 malades (22 %) ont eu un cerclage de l’artère pulmonaire. Une intervention chirurgicale en période néonatale n’était pas nécessaire pour les autres patients qui ont gardé une circulation en parallèle jugée équilibrée jusqu’au moment de la dérivation cavopulmonaire partielle (DCPP).

La DCPP était proposée de principe à partir de l’âge de 6 mois, mais réalisée à une période variable selon les enfants et aussi selon les propositions des cardiopédiatres référents. Pour 6 malades, une DCPP bilatérale a été réalisée. L’âge moyen au moment de la DCPP était de 2,8 ans (médiane : 1,6 an). La médiane du délai entre la DCPP et la DCPT était de 5,3 ans. L’âge moyen au moment de la DCPT était de 8,6 ans.

 

Tableau 1: Caractéristiques des patients (n = 119)
Variables catégoriques Nombre
(proportion)
Sexe Homme 69 (58 %)
Femme 50 (42 %)
Type de ventricule unique VG 73 (62 %)
VD 44 (37 %)
VU indéterminé 2 (1 %)
Type d’anatomie cardiaque Atrésie tricuspide 34 (28 %)
Hypoplasie du cœur gauche 26 (22 %)
Ventricule à double entrée 19 (16 %)
TGV-CIV-SP-Straddling* 9 (8 %)
Atrésie pulmonaire sans CIV 9 (8 %)
VD à double issue 6 (5 %)
Canal AV déséquilibré 5 (4 %)
Autres 11 (9 %)
Intervention première Cerclage AP 26 (22 %)
BTM 56 (47 %)
Norwood 18 (15 %)
Pas d’intervention 19 (16 %)
Type de DCPP Cavopulmonaire supérieure droite 112 (94 %)
Bilatérale 6 (6 %)
Variables continues Moyenne
± écart-type
Âge au moment de la DCPT-EC (an) 8,6 ± 5,4 (3,4-27,6)
Délai DCPP / DCPT (an) 5,3 ± 3,7 (0,5-10,5)

* Transposition des gros vaisseaux – Communication interventriculaire – Sténose pulmonaire – Straddling de la valve AV.

 

3.2. Données préopératoires [tableau 2]

Dans l’ensemble, la fonction cardiaque globale des patients était évaluée comme bonne. Une majorité de patients (91 %) n’avait pas de fuite significative des valves atrioventriculaires. La saturation moyenne était de 80 % (66-95 %). La majorité des patients (73 %) avait  une cyanose marquée  avec une saturation inférieure à 85 %. L’évaluation par cathétérisme cardiaque retrouvait des artères pulmonaires de calibre variable avec un index de Nakata à 245 ± 127. La pression artérielle pulmonaire moyenne était de 10 ± 13 mmHg.

 

Tableau 2: Données préopératoires (n = 165)
Variables Nombre
(proportion)
Fonction cardiaque globale Bonne fonction 141 (92 %)
Fonction modérément altérée 11 (7,5 %)
Fonction altérée 1 (0,5 %)
Fuites des valves
atrioventriculaires
Absence de fuite 113 (77 %)
Fuite minime 17 (14,3 %)
Fuite modérée 8 (7 %)
Fuite sévère 2 (1,7 %)
Présence d’anomalie du rythme cardiaque Oui 8 (7 %)
Non 111 (93 %)
Présence de flux pulmonaire additionnel Oui 62 (52 %)
Non 57 (48 %)
Embolisation de collatérales Oui 27 (23 %)
Non 92 (77 %)
Variables continues Moyenne
± écart type
PAP moyenne (mmHg) 10 ± 3,2
Index de Nakata (mm2/m2) 245 ± 127
PTDVU (mmHg) 9,1 ± 2,9
Saturation périphérique (%) 80 ± 6,2
Hémoglobinémie (g/dl) 17,1 ± 1,6

 

3.3. Données opératoires [tableau 3]

Un  clampage aortique a été nécessaire chez 42 patients (35 %) pour réaliser certains gestes chirurgicaux (élargissement d’une CIA, plastie valvulaire, mais aussi et surtout la suppression du flux antérograde). Les gestes les plus fréquents  associés à la DCPT étaient la fermeture du tronc de l’artère pulmonaire chez 27 patients et la plastie des artères pulmonaires chez 12 patients. Ont été réalisées 4 plasties valvulaires (dont 2 sur la valve tricuspide et 2 sur la valve atrioventriculaire gauche).

 

Tableau 3: Données opératoires (n = 119)
Durée de CEC (min) 129 ± 48,18
Clampage Oui 42 (35 %)
Non 77 (65 %)
Durée de clampage aortique (min) 46 ± 22,5
Fenestration Oui 78 (66 %)
Non 41 (34 %)
Suppression voie antérograde Oui 111 (93,3 %)
Non 8 (6,7 %)
Gestes associés
à la DCPT
Déconnexion tronc artériel pulmonaire 27 (22,7 %)
Plastie artérielle pulmonaire 12 (10 %)
Plastie valvulaire AV 4 (3,4 %)
Élargissement CIA 2 (1,7 %)
Résection de membrane
ou bourrelet sousaortique
2 (1,7 %)
Remplacement de la valve pulmonaire mécanique 1 (1 %)
Damus-Kaye-Stansel 1 (1 %)
Mise en place d’un pacemaker/électrodes péricardiques 3 (2,5 %)

 

3.4. Données postopératoires [tableau 4]

Chez 8 patients, le drainage pleural a été prolongé au-delà de 14 jours. Six patients ont présenté un épanchement péricardique. Une infection pulmonaire est survenue chez 4 patients. Une  reprise chirurgicale a été nécessaire pour 5 patients dont une pour fenestration au deuxième jour postopératoire devant une instabilité hémodynamique.

La médiane de la durée de drainage thoracique était de 9 jours (moyenne 11,5 ± 6,3 jours). Quant à la durée d’hospitalisation, la médiane était de 15 jours (9-116 jours) avec une moyenne de 19,4 jours. La mortalité précoce est nulle.

Une fenestration a été réalisée chez 66 % des patients. Le suivi a permis de retrouver 6 cas de fermeture spontanée de la fenestration. Une fermeture par cathétérisme interventionnel était réalisée dans 15 cas.

La période de suivi était de 4,9 ans (0,6-12,8 ans) avec une mortalité de 1,7 % (2 décès). La cause du premier décès était une thrombose du montage de DCPT 4 mois après la chirurgie due à une mauvaise observance du traitement anticoagulant chez un patient atteint de trisomie 21. Le deuxième décès était dû à une cause non cardiaque (accident de la circulation).

 

Tableau 4: Évolution postopératoire
Délai d’extubation (jours) 1,8 ± 6,4
Durée du séjour en réanimation (jours) 4,7 ± 8,2
Durée de drainage thoracique (jours) 11,5 ± 6,3
Durée d’hospitalisation (jours) 19,4 ± 11,6
Complications postopératoires Drainage pleural prolongé (> 14 j) 8 (6,7 %)
Épanchement péricardique 6 (5 %)
Parésie/Paralysie diaphragmatique 3 (2,5 %)
Insuffisance rénale 5 (4 %)
Bloc atrioventriculaire 2 (1 %)
Infection pulmonaire 4 (3 %)
Défaillance hépatique 2 (1,7 %)
Thrombose du tube extracardiaque 1 (1 %)
Reprises chirurgicales   (n = 5) Réintervention pour fenestration 1 (1 %)
Drainage péricardique 3 (2,5 %)
Infection sternotomie 1 (1 %)
Période de suivi 4,9 (0,6-12,8)
Fermeture
de fenestration
Spontanée 6 (5 %)
KT 15 (12,6 %)
Mortalité Décès à 30 jours 0 (0 %)
Décès tardif 2 (1,7 %)

 

3.5. Conservation du flux antérograde

La conservation du flux antérograde pulmonaire après  la DCPT a été constatée chez 8 patients (6,7 %) [tableau 5]. Pour 2 patients, la perméabilité de la voie antérograde était involontaire (reperméabilisation) et parmi eux, une tentative de fermeture par cathétérisme cardiaque a échoué. La persistance d’un flux antérograde était délibérée chez les autres patients en raison de la présence d’un ou plusieurs facteurs de risque de complication thrombo­embolique. Ces patients présentaient des formes anatomiques variables de ventricules uniques : 3 atrésies tricuspides, 2 hypoplasies tricuspides sévères, 1 CAV déséquilibré, 1 maladie d’Ebstein sévère et 1 cardiopathie complexe type TGV-CIV-sténose pulmonaire avec straddling de la valve mitrale. L’âge moyen au moment de l’intervention était de 8 (4-16) ans.

 

Tableau 5: DCPT avec conservation du flux antérograde (n = 8)
Données opératoires
Durée de CEC (min) 102 ± 18
Clampage Oui 3 (37,5 %)
Non 5 (62,5 %)
Durée de clampage aortique (min) 67 ± 19
Fenestration Oui 7 (87,5 %)
Non 1 (12,5 %)
Gestes associés
à la DCPT
Plastie artérielle pulmonaire 1 (12,5 %)
Exérèse partielle du VD 1 (12,5 %)
Plastie valvulaire AVG 1 (12,5 %)
Calibration de la CIA à 3 mm 3 (37,5 %)
Évolution postopératoire
Délai d’extubation (jours) 1,8 ± 6,4
Durée du séjour en réanimation (jours) 2 ± 1
Durée de drainage thoracique (jours) 11,2 ± 7,4
Durée d’hospitalisation (jours) 13,8 ± 9,6
Complications
postopératoires
Épanchement péricardique 1 (6,7 %)

 

Tous les malades avaient des ventricules uniques type gauche avec une bonne fonction cardiaque préopératoire. Les pressions artérielles pulmonaires moyennes étaient basses avec une moyenne à 13,2 ± 3,7 mmHg et un index de Nakata à 199 ± 104 mm²/m².

Un clampage aortique a été réalisé chez 3 malades avec une durée moyenne de 67 (33-98 minutes). Une fenestration a été réalisée chez 7 malades. Les gestes chirurgicaux particuliers associés étaient la calibration d’une CIA dans les hypoplasies tricuspides sévères, une plastie de la valve mitrale et une exérèse partielle du VD pour une maladie d’Ebstein. Une plastie artérielle pulmonaire et une plastie de valve atrioventriculaire gauche ont été faites, identiques aux gestes similaires dans l’autre groupe de patients.

Ces 8 patients n’ont pas présenté de complication notable à l’exception d’un patient qui a eu un épanchement péricardique régressif sous traitement médical. La mortalité hospitalière et tardive est nulle pendant la période de suivi de 5 ans (1-14 ans). Deux patients ont bénéficié d’une fermeture de la fenestration par cathétérisme cardiaque interventionnel. Tous les patients avaient un excellent statut fonctionnel NYHA à la dernière visite médicale et tous avaient une bonne fonction cardiaque globale.

 

4. DISCUSSION

 

4.1 Évolution de la prise en charge à Marseille

La prise en charge chirurgicale des cardiopathies congénitales univentriculaires dans la cadre de la circulation de Fontan a évolué dans les différentes équipes et pendant les années. Cette série de totalisation extracardiaque de Fontan pour les cardiopathies univentriculaires a donné des résultats globalement concordants avec ceux des séries internationales [tableau 6].

 

Tableau 6: La mortalité postopératoire à la DCPT dans quatre séries internationales
Série Année Nombre de cas Mortalité
Rogers et al. [6] 2012 771 3,5 %
Baker et al. [7] 2009 239 1,3 %
Hirsch et al. [8] 2007 636 4 %
Salvin et al. [9] 2005 226 0,9 %

 

L’analyse de l’âge des patients à chaque étape chirurgicale au cours des années a montré que l’âge moyen à la DCPP et à la DCPT se réduisait avec une tendance à opérer les enfants plus tôt. Après une DCPP, l’indication et le timing de la totalisation sont variables. Pour certains, le deuxième temps est indiqué à un âge et un poids donné quel que soit l’état fonctionnel ; pour d’autres, c’est l’apparition d’une désaturation ou d’une intolérance à l’effort qui marque le moment de la totalisation. Wallace et al. ont montré qu’un poids égal à Z-score < -2 est associé à une augmentation de la mortalité hospitalière, d’échec du montage de Fontan et de l’augmentation de durée d’hospitalisation [10].

Le concept de la fenestration a été introduit à la fin des années 1980, d’abord pour les patients à risque élevé. Devant les avantages proposés, certains centres ont utilisé la fenestration chez tous les patients sans stratification du risque. Récemment, l’évolution dans l’utilisation des agents pharmacologiques qui réduisent les résistances vasculaires pulmonaires (sildénafil et bosentan) pourrait éviter le recours systématique à la fenestration [12]. Dans cette série, 66 % des DCPT étaient fenestrés,  aboutissant au fait que les saturations étaient assez basses à la sortie de l’hôpital. Le taux moyen de saturation était de 89 % dans le groupe avec  fenestration, et de 95 % dans le groupe sans fenestration.

 

4.2. Importance des complications thromboemboliques

Il  y a un accord général sur l’importance et la sévérité des événements thromboemboliques après les opérations Fontan. Plusieurs études ont rapporté un très faible taux de survie après les complications thromboemboliques, avec des taux de mortalité aussi élevés que 25 % dans les séries pédiatriques et de 38 % dans les séries avec des patients plus âgés [13]. La mesure dans laquelle les facteurs chirurgicaux et les facteurs liés au patient contribuent au risque global reste mal définie.

L’efficacité des différentes formes de traitement anticoagulant prophylactique après une opération de Fontan est un objet de débat. Une antiagrégation ou une anticoagulation efficace est recommandée pour tous les patients après une opération de Fontan [14]. Cependant, l’association d’un antiplaquettaire et d’un anticoagulant durant 6 à 12 mois, suivi d’un traitement antiplaquettaire à vie, est la stratégie thérapeutique la plus commune utilisée après DCPT. À Marseille, une anticoagulation pour une durée de 6 mois est toujours prescrite, avec remplacement par acide acétylsalicylique ensuite.

Dans notre série il y a eu 2 événements thromboemboliques : une embolie pulmonaire chez un patient ayant bénéficié d’une totalisation non fenestrée sans antécédent de troubles du rythme, thrombolysée avec un bon résultat ; et une thrombose tardive du tube extracardiaque chez un patient atteint de trisomie 21 qui a abouti à un des deux décès de la série.

 

4.3. Le flux antérograde et la circulation de Fontan

La suppression du flux antérograde dans le tronc de l’artère pulmonaire est en principe la règle au moment de la DCPP (le plus souvent) ou plus tard au moment de la DCPT. Dans notre série, 27 % des patients ont gardé un flux antérograde dans l’artère pulmonaire jusqu’à la DCPT. À Marseille ce flux antérograde est recherché au moment du bilan et notamment du cathétérisme cardiaque préopératoire. Ses caractéristiques anatomiques et physiologiques sont évaluées. La décision de sa conservation ou de sa suppression est prise après discussion multidisciplinaire. Ainsi, la conservation d’un flux antérograde pulmonaire restrictif après la DCPT a été délibérée pour 6 malades (2 malades ont gardé le flux antérograde de façon non intentionnelle).

La conservation du flux antérograde pulmonaire au moment de la DCPP est un facteur qui peut retarder la date de la totalisation en gardant une hématose correcte pendant plus longtemps sans effets indésirables évidents. Il est considéré par certains comme bénéfique pour le développement des artères pulmonaires, et donc permettant  entre autres l’insertion d’un plus grand conduit extracardiaque, chez un enfant plus grand, au moment de la DCPT [17]. Théoriquement il prévient la formations des fistules artérioveineuses intrapulmonaires car c’est un flux pulsatile en provenance hépatique [18].

Toutefois, la conservation du flux antérograde pulmonaire de façon chronique induit une surcharge volumétrique chronique sur le ventricule unique. Cette surcharge peut aboutir à une dilatation de ventricule puis à l’apparition de signes de défaillance fonctionnelle et de retentissement hémodynamique. Elle peut être aussi responsable de fuite fonctionnelle de l’appareil valvulaire atrioventriculaire par dilatation, augmentant les pressions de remplissage du ventricule unique. De  plus, une  pression élevée dans l’artère pulmonaire  peut gêner l’écoulement sanguin dans le système veine cave supérieure et créer un syndrome cave supérieur. Enfin, ce flux antérograde pulmonaire est un shunt gauche-droit et contrarie le principe de circulation en série de Fontan.   

Différentes techniques sont décrites pour la fermeture des flux antérogrades pulmonaires. Une simple ligature ou une section suture du tronc de l’artère pulmonaire est possible sans considération de la valve pulmonaire. Ceci peut entraîner des problèmes de stagnation du flux sanguin dans le moignon résiduel. Une autre technique possible est la résection des sigmoïdes de la valve pulmonaire au moment de la fermeture du TAP. À Marseille, la technique utilisée est la section-suture du TAP, sous clampage, avec double surjet incluant les sigmoïdes de la valve pulmonaire pour éviter les complications thromboemboliques [15]. En regard de ces techniques, la conservation du flux antérograde évite la prolongation du temps de CEC et de clampage aortique, néfastes pour la circulation de Fontan.

La suppression de la voie antérograde pulmonaire est une source de formation possible de thrombose endocavitaire bien décrite dans la littérature [5,15]. De fait, dans cette série, il y a un cas d’atrésie tricuspidienne (opéré à 3 reprises : cerclage pulmonaire à l’âge de 3 mois, DCPP à l’âge de 2 ans ; et DCPT à l’âge de 12 ans) chez qui, 6 ans après la DCPT, il a été noté une dilatation très importante du ventricule droit exclu avec compression symptomatique du ventricule gauche par présence de caillot dans ce ventricule droit [figure 1]. La chirurgie alors nécessaire a consisté en une ablation du caillot dans le ventricule droit avec fermeture d’une CIV. Cette CIV était de forme très particulière fonctionnant comme une valve à sens unique entre le VG unique et fonctionnel et la chambre rudimentaire droite. Le patient est sorti de cette complication avec une dysfonction majeure de la circulation de Fontan. Il est arrivé au stade de discussion d’une transplantation cardiaque éventuelle, mais après mise sous sildénafil et programme de réadaptation cardiaque, il a récupéré progressivement un statut lui permettant de ne pas être à ce jour en liste d’attente de greffe. Depuis cette expérience, et d’autant plus que, de manière simultanée, il avait été constaté que la persistance involontaire d’un flux antégrade chez 2 patients était et restait sans conséquence, chaque patient ayant une voie antéro­grade pulmonaire persistante fait l’objet d’une discussion médico­chirurgicale multidisciplinaire spécifique pour décider de la stratégie concernant cette voie antérograde.

 

Figure 1 : Thrombose dans le VD après ligature du TAP au moment de la DCPT
Figure 1 : Thrombose dans le VD après ligature du TAP au moment de la DCPT. A : coupe apicale sur le VU. B : coupe parasternale petit axe médioventriculaire. Flèche : thrombose intra-VD

 

Dans notre série, la comparaison entre le groupe de DCPT avec conservation du flux antérograde restrictif  et le groupe de DCPT sans flux antérograde n’a pas montré de différence significative [tableau 7], ni dans le bilan préopératoire, ni dans les constatations périopératoires. L’âge moyen était de 8 ans dans les deux groupes avec des PAP non élevées et des artères pulmonaires biens développées dans les deux groupes. Concernant la durée de CEC et la durée du séjour en réanimation, on peut constater un effet positif de la conservation du flux antérograde. En effet, la durée de CEC était plus courte dans le groupe avec conservation du flux antérograde (102 min vs 138 min, p = 0,12), ainsi que la durée du séjour en réanimation (2 j vs 3j, p = 0,26). Ces tendances n’ont eu d’influence ni sur la durée totale d’hospitalisation qui reste alentour de 19 jours dans les deux groupes, ni sur la mortalité. De même, les PAPm en postopératoire immédiat n’étaient pas significativement différentes avec une durée de drainage pleural similaire dans les deux groupes.

 

Tableau 7: Comparaison entre la DCPT avec flux antérograde et la DCPT sans flux antérograde
Flux antérograde conservé

(8 patients)

Flux antérograde supprimé

(111 patients)

Résultat (p)
Âge (ans) 8 (4-16) 8 (4-27) 0,95
PAPm pré-op 13,2 ± 3,7 13 ± 2,8 0,6
Index Nakata pré-op 199 ± 104 291 ± 151 0,27
Durée CEC 102 ± 18 138 ± 39 0,12
PAPm post-op 12,5 ± 2,5 13 ± 2,7 0,82
Durée réanimation 2 ± 1 3 ± 4,6 0,26
Durée drainage 11,2 ± 7,4 11 ± 5,7 0,79
Durée hospitalisation 18,6 ± 9,6 19 ± 15 0,86
Mortalité (%) 0 0

 

Cette étude met en évidence plusieurs considérations intriquées pour la conservation du flux antérograde pulmonaire en diverses situations.

Pour certains, elle est conservée au moment de la DCPP pour des raisons physiologiques afin de garder une hématose correcte pendant le plus de temps possible [18]. Elle peut également être conservée quand les artères pulmonaires sont de petit calibre, et parfois pour éviter un flux préférentiel important dans l’APD.

Au moment de la DCPT, les raisons de la conservation du flux antérograde restrictif sont essentiellement anatomiques en cas d’absence de décharge d’une cavité ventriculaire accessoire qui se remplit. Dans certains cas, la raison est technique, quand l’abord du TAP est difficile. Chaque cas doit être analysé avec ses particularités et le traitement adapté. Ainsi, dans deux cas d’hypoplasie tricuspide sévère, l’intervention a consisté à respecter le flux antérograde, à interposer un tube entre la veine cave inférieure et les artères pulmonaires avec une « fenestration » communiquant avec l’oreillette droite, mais aussi à calibrer la CIA, car, dans ce contexte, c’est la taille de celle-ci qui conditionne de fait le flux de fenestration au sens de la circulation de Fontan.

En plus, il existe une place importante pour le cathétérisme cardiaque en ce qui concerne le flux antérograde pulmonaire et la DCPT. Il permet une évaluation préopératoire de l’anatomie des artères pulmonaires, la présence des cavités cardiaques accessoires sans décharge, de définir les PAP moyennes dans la VCS et d’évaluer la modulation de la pulsatilité sur la pression pulmonaire. De même, il permet d’effectuer un test de fermeture du TAP au ballonnet pour définir l’importance du flux antérograde sur la PAP. Finalement, si la conservation du flux antérograde pulmonaire est problématique, la fermeture est possible si nécessaire au moyen des dispositifs percutanés [19,20].

 

5. CONCLUSION

La totalisation extracardiaque de Fontan en deux étapes est la technique actuellement utilisée pour le traitement des cardiopathies univentriculaires. La prise en charge des cardiopathies univentriculaires avec flux antérograde pulmonaire persistant est un sujet actuel dans la complexité des concepts de la circulation « paradoxale » de Fontan. Certaines équipes ont étudié les avantages et les inconvénients de la conservation de ce flux au moment de la DCPP. Dans ces conditions, certains patients arrivent au moment de la DCPT avec un flux antérograde persistant. Dans certains de ces cas, et à condition d’une évaluation préopératoire rigoureuse et d’éventuels gestes complémentaires appropriés, il est possible et peut-être préférable de respecter la perméabilité d’une voie antérograde pulmonaire restrictive lors de la réalisation d’une totalisation cavopulmonaire. L’expérience de notre équipe démontre l’importance de ce concept et sa faisabilité sans risque ajouté. Huit patients ont gardé un flux pulmonaire antérograde restrictif au moment de la DCPT avec de bons résultats à court et moyen termes, alors qu’un patient a eu des conséquences graves de sa suppression. Un plus long recul est bien sûr nécessaire pour analyser les facteurs importants dans la période préopératoire et le devenir des patients à long terme.

 

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Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared.Cet article est issu d’un mémoire de DESC.