Éditorial · Vol. 20 Mars 2016

Notre discipline au centre de changements disruptifs

mars 15, 2016
Auteur correspondant : Pascal Thomas
Pascal-Alexandre Thomas, président SFCTCV
Pascal-Alexandre Thomas, président SFCTCV

Les innovations technologiques et les possibilités illimitées d’analyse des « big data » sont à l’origine de changements radicaux dans tous les domaines de la santé. Notre discipline est en première ligne de ces bouleversements. Qu’il s’agisse de la saisie continue de paramètres cliniques, de la capture des interfaces biomédicales, des données de l’analyse biomoléculaire des cancers, ou encore des progrès de l’imagerie médicale, nos pratiques professionnelles sont fondamentalement modifiées. Dans le même temps, l’intelligence artificielle investit nos blocs opératoires. La chirurgie de- vient mini-invasive, robot-assistée, et adopte une réalité « augmentée » par la vision 3D et l’imagerie de fusion. Ce contexte modifie l’architecture même de nos plateaux techniques devenus « hybrides », et traduit une prise en charge diagnostique et thérapeutique devenue de plus en plus multidisciplinaire et multiprofessionnelle.

À ces changements spectaculaires – et donc bien visibles – s’ajoutent des évolutions sociétales et réglementaires plus subtiles dans leur perception et donc souvent mal appréhendées, souvent contournées, et parfois même publiquement contestées. On peut citer le développement professionnel continu (DPC), rendu particulièrement opaque par des changements réglementaires incessants et inaboutis, mais dont l’obligation faite à tout praticien a été une nouvelle fois réaffirmée par l’actuelle loi de santé. On peut aussi mentionner l’avènement inéluctable de la certification des individus et des équipes, et surtout de leur recertification, dans un contexte européen qui ne tardera pas à s’imposer aux états membres, comme il l’a fait avec la réforme des études médicales ou celle de la réglementation du temps de travail, véritables bombes à retardement tapies dans nos organisations.

 

Accueillir le changement, éviter le chaos

Il n’y a pas d’autre option que celle d’accueillir ces changements et dans certains cas les anticiper. C’est en tout cas la responsabilité de la génération actuellement en place dans nos structures. Nous disposons d’un certain nombre d’atouts pour faire face à ces défis.

Le premier d’entre eux est la cohérence de notre discipline, en dépit de l’hyperspécialisation croissante dans ses trois branches cardiaque, thoracique et vasculaire. Nous avons su préserver une base culturelle et de formation commune qui a permis l’appropriation rapide des techniques chirurgicales vidéo et robot-assistées, le développement de l’assistance dans toutes ses indications hémodynamiques et respiratoires, et le renouveau de la transplantation d’organes thoraciques.

Le second est la cohésion de notre communauté, conséquence de sa modeste taille, qui nous permet de nous connaître tous individuellement, et favorise les actions solidaires. Depuis plus de soixante ans, forte de ces deux atouts, la Société Française de Chirurgie Thoracique et Cardio-Vasculaire a pu suivre la stratégie du « guichet unique » qui a fait son succès. Tout ce qui concerne la formation, l’exercice professionnel et la diffusion des avancées scientifiques est coordonné par elle, grâce et parfois en dépit de l’émergence régulière de nouvelles entités ou structures comme le furent successivement le Collège de Chirurgie Thoracique et Cardio-Vasculaire, les Syndicats, l’Organisme d’Accréditation (OA), le Conseil National Professionnel (CNP) et l’Organisme du Développement Professionnel Continu (ODPC). Cette stratégie s’est concrétisée par le succès, unique à ce jour, de nos bases de données Epithor® et Epicard®. Une des premières décisions du conseil d’administration que vous avez élu en décembre dernier a d’ailleurs été de renforcer encore ces outils qui nous permettent en temps réel de suivre le volume et la qualité de nos activités, capacité qui nous met en position de force dans nos rapports avec les tutelles. Le passage de nos bases sur Internet va grandement simplifier la participation à celles-ci, et nous permettre dans un avenir proche d’atteindre l’exhaustivité de la saisie de nos activités. Dans le même but, le développement des bases nationales dédiées à l’assistance mécanique et à la chirurgie des pathologies cardiaques congénitales est en cours de finalisation. Enfin, un accord se dessine avec nos partenaires chirurgiens vasculaires pour le développe- ment d’une base de données commune et développée sur le modèle Epithor®/Epicard® avec l’aide de la SFCTCV. Cette capacité à suivre quantitativement et qualitativement nos activités, tant au niveau des individus et des équipes qu’au plan national, n’a pas pour unique finalité l’évaluation des pratiques. Elle permet aussi d’anticiper les futurs besoins de santé dans notre discipline, aussi bien en termes de démographie médicale que de formation. Cette anticipation est le principal levier dont nous disposons pour éviter le chaos qui résulterait d’une formation basée quantitativement sur une filiarisation dictée principalement par la volonté de contrôler les dépenses de santé, et dissociée des évolutions épidémiologiques des pathologies que nous traitons et technologiques des procédures que nous effectuons.

 

Les enjeux et défis de la formation

Pour la formation initiale, ces enjeux et défis sont conditionnés par la conjonction de la mise en place de façon effective de la Directive européenne sur le temps de travail des médecins en formation qui devrait réduire de près de la moitié le temps de présence des internes dans les services, et de la réforme du 3e cycle des études médicales qui prévoit la réduction à 6 années de la durée du cursus dans les disciplines chirurgicales, dont la nôtre.

L’impact est doublement délétère. Ce contexte de pénurie va profondément perturber le fonctionnement des services hospitaliers, sans que ces changements aient été anticipés. Il pose clairement la question du transfert d’un certain nombre de tâches, aujourd’hui assurées par les internes, vers des personnels paramédicaux dont la durée de formation est moins longue et moins onéreuse. Ils impliquent de suivre de très près les trajectoires individuelles des internes de la filière afin de les amener à satisfaire les critères quantitatifs et qualitatifs de formation exigés par le Collège. À cet égard, nous avons soutenu financièrement l’initiative de l’Association des Jeunes Chirurgiens Thoraciques et Cardio-vasculaire (AJCTCV) de la plateforme numérique EPIFORM que nous souhaitons rendre obligatoire pour tout interne engagé dans le cursus.

Ces changements imposent surtout de réinventer la pédagogie autour des pratiques interventionnelles avec le développement de la simulation et de la réalité virtuelle. D’un point de vue pragmatique, le temps d’apprentissage peut être au moins partiel- lement dissocié du temps hospitalier, ce qui pallie de facto la réduction du temps de présence hospitalier. La dématérialisation que représente la simulation en santé per- met aussi de satisfaire le paradigme éthique émergent, et pour le moins disruptif en chirurgie, du « Jamais la première fois chez le patient ». Elle permet surtout l’amélio- ration du savoir-faire, l’analyse et la modification des comportements des individus et

des équipes, tout particulièrement en situation de crise, ce que l’on pensait jusque-là du domaine privilégié voire exclusif de l’urgence par la participation des internes aux gardes et astreintes. À l’évidence, l’intégration de ces outils est aussi nécessaire pour le DPC avec la dématérialisation de ses programmes, le développement de l’e-learning et des e-congrès, la certification ou la recertification des chirurgiens et des équipes et l’accréditation des centres au moyen de référentiels validés. Enfin, l’utilisation de nos bases de données interconnectées et capables de suivre la trajectoire des patients mais aussi des acteurs devient la clé de voûte de cette révolution. Il sera en effet possible de tracer tant le chirurgien que le formateur tout du long de leur carrière, de quantifier et évaluer la transmission du savoir, apportant ainsi une dimension factuelle à un domaine jusqu’alors très subjectif.

 

Hasards et nécessités

Si le pire ou le meilleur ne sont jamais certains, le hasard ne profite qu’aux esprits préparés. À cet effet, la SFCTCV modifie sa configuration et proposera en conséquence une réforme de ses statuts au vote de l’assemblée générale de ses membres en juin prochain. Cette réforme transcrit la volonté de mettre tous les acteurs de ces changements disruptifs autour de la même table de réflexions et de décisions : toutes celles et tous ceux impliqués dans la formation initiale et continue, la certification, l’accréditation, les avancées scientifiques et technologiques, la représentation syndicale et la dimension académique de notre discipline.

Des évolutions radicales dans le format de nos rencontres bisannuelles des Journées de Printemps et d’Automne vous seront proposées. Le « tout numérique » dominera notre environnement. Ainsi, à l’heure des engagements planétaires sur la solidarité climatique, le congrès de Nantes sera notre premier congrès « sans papier ». Les Journées d’Automne 2016 devraient proposer nos premiers e-évènements. Notre journal et le nouveau site Internet de la SFCTCV porteront aussi ces changements. Leur rythme sera soutenu, car nous souhaitons que vous en perceviez les effets dès cette année. Le succès de cette entreprise ambitieuse repose sur l’adhésion et la participation active de notre communauté au projet. Celles de nos jeunes sont d’ores et déjà acquises. Leur enthousiasme est communicatif. Ils sont notre avenir.

L’ampleur de la tâche nécessite un appareil administratif renforcé, ce qui a été assuré par le recrutement d’un directeur exécutif adjoint en janvier 2016. Tout ceci a un coût, et les modifications réglementaires contraignant le financement par les industriels de la santé et qui devraient être appliquées en janvier 2018 offrent des perspectives il est vrai assez inquiétantes pour la pérennité de nos actions. Mais ces contraintes pour- raient finalement ne pas être un problème, mais plutôt la solution menant à un modèle économique innovant qu’il nous reste à inventer.

Nul doute qu’avec cette nouvelle génération de chirurgiens thoraciques et cardio- vasculaires l’imagination soit au pouvoir.